Devoir de Philosophie

LA BANDE DESSINÉE (Histoire de la littérature)

Publié le 15/11/2018

Extrait du document

histoire
BANDE DESSINÉE. Cette expression aujourd'hui familière n'est repérée que vers 1929. Elle traduit l’anglais comic strip, en évitant l’élément comic, pour des raisons compréhensibles. Elle est tout aussi imparfaite dans la mesure où elle identifie le genre à une de ses modalités. En effet, la « page dessinée » ne se laisse pas réduire à une suite de bandes. En revanche, le mot anglo-américain comics (écrit comix), met sans retenue l’accent sur la finalité distractive et caricaturale.
Bande dessinée, trop long, a donné naissance à BD ou bédé, mais les dérivés nécessaires (bédéique, bédéiste...) sont peu ou non employés. Le domaine est donc envahi par l’anglicisme : on parle de comic book (« livre » ou plutôt « livret dessiné »), de cartoonist, etc., et la terminologie du genre est à peu près incohérente.
Image et texte : un récit
Bande dessinée/texte littéraire : deux types d’organisation narrative comparables, profondément différents. Littérature/BD : deux modes de communication sociale et deux structures créatrices en contact ou en opposition. Pour une opinion conservatrice, répandue dans les milieux qui se disent avancés (politiquement) autant qu’ailleurs, la BD est la mort du littéraire, la perversion du jeune lecteur et la crétinisation du lecteur adulte, un « vice punissable » et qu’il convient de punir.
Deux interfaces, dans cette mise en rapport. En quoi la bande dessinée intègre-t-elle, adapte-t-elle, déforme-t-elle, reprend-elle les trames narratives de nature ou d'intention « littéraire »? En quoi le genre est-il en concurrence avec la littérature, par l’articulation formelle, par la circulation sociale, par la concrétion d'un imaginaire?
La première question est superficielle et formelle, et cependant significative. Elle n’est guère différente de celle que l’on peut poser à propos du cinéma, de la télévision et, plus généralement, de l’adaptation du contenu narratif littéraire à un autre système de communication [voir Adaptation]. On note immédiatement et contrastivement que la BD, par rapport au cinéma, à la télé, garde, vis-à-vis du corpus des récits littéraires préexistants, une autonomie presque complète. Les scénarios des grandes bandes dessinées sont originaux, quand ils n'adaptent pas des textes méprisés, à peine « paralittéraires », comme le Tarzan de Burroughs, ou bien des films, et même des personnages filmiques librement employés, qu’ils soient humains (Chariot, Laurel et Hardy) ou graphiques (la production Disney).
Il existe pourtant trois types de rapports explicites entre récit littéraire et bande dessinée : la parodie, l’influence diffuse et le didactisme. Dans le premier cas, les bandes s’adressent à un public cultivé, connaissant ou du moins pouvant repérer l’objet parodié : ainsi le magazine américain Mad met en dessins cocasses le Corbeau, d’Edgar Poe, serinage de classe; Gotlib, en France, utilise grotesquement le best-seller de la bonne littérature enfantine, le Petit Prince, de Saint-Exupéry. Le premier exemple fonctionne exactement comme les dérisions — dont Mad était coutumier — de films, de bandes dessinées connues ou d’émissions télévisuelles; le second utilise tous les procédés cocasses, graphiques et langagiers de l’auteur des Dingodossiers. C’est dire que la parodie y est prétexte et ne s’astreint jamais à respecter un contenu narratif complexe. Ce sont des phrases, des situations, des personnages, arrachés à leur origine — laquelle peut être, mais est rarement, littéraire —, qui déclenchent ou stimulent un univers graphique préexistant et fondamental. Ce n’est jamais la littérarité qui y est attaquée, mais la narrativité sociale que répercutent de puissants moyens techniques ou institutionnels — souvent les deux.
Plus subtile, mais plus spécifique, est l’évocation en bande dessinée d’une atmosphère narrative particulière, très rarement due, en ce qui concerne le scénario, à un écrivain reconnu (on cite comme une chose étonnante la collaboration de Dashiel Hammet avec Alex Raymond pour une célèbre bande policière : Secret Agent X 9). Ainsi, aucun critique n’a laissé échapper le fait que les récits de Hugo Pratt, tel Corto Maltese, baignent dans la couleur propre du récit conradien. Affaire de thèmes, de situations, de rapports entre personnages, plutôt que de textualité. En fait, c’est une implication narrative, diégé-tique, plus qu’une spécificité textuelle, qui est visée.
En outre, les deux phénomènes évoqués portent sur une part infime de la production en bande dessinée. Celle-ci a peu d’affinités volontaires avec les récits reconnus comme « littéraires »; elle préfère de beaucoup les influences plus conformes à sa nature de communication de masse : celles, notamment, du cinéma et du récit paralittéraire, « populaire ».
On comparera le rapport entre BD et texte littéraire avec celui que la « bande » entretient avec l’art pictural : dans les deux cas, à d’infimes exceptions près, ce rapport est indirect, toujours appuyé sur des formes esthétiques fortement socialisées : l’« art nouveau » influence Win-sor McCay et son admirable Little Nemo ou George McManus dans son Bringing up Father (la Famille Illico); l’op’art agit dans Pravda, la survireuse, de Guy Pellaert, et chez plusieurs Américains de l’Underground. Les grands peintres, pas plus que les grands écrivains, ne collaborent directement au genre ni ne l’influencent.
Pourtant, le pont entre discours littéraire, du moins sous sa forme pédagogique, et figuration narrative était jeté dès l’origine. Rodolphe Tôpffer en est témoin, car ses récits utilisent dans un même dynamisme les suites de phrases destinées à l’impression et un jeu complexe, subtil et vivant de textes et de dessins, tracés du même geste, qui se répondent et se ponctuent mutuellement. Mais cette communication active entre les deux projets narratifs, « littéraire » et graphique, reste unique ou presque. En outre, il s’agit, avec Tôpffer, d’un genre inexistant, non compromis par le succès. Après sa prise en charge par les puissants moyens de diffusion que sont le journal quotidien pour le « strip », rangée de quelques dessins en une seule bande et le supplément du dimanche pour la page dessinée, puis le comic book (aux États-Unis) ou l’album (en Europe), la bande dessinée, dans sa masse, rejette ou ignore une telle relation, génétique ou même de simple influence, avec la littérature.
Symétriquement, la littérature se sert peu de la bande dessinée pour y couler le contenu de ses récits, alors que fleurissent les adaptations pour le cinéma ou la télévision et même les indigentes et indigestes réductions textuelles nommées « digests ». La pédagogie littéraire en français ne supporte guère le traitement infantilisant qu’admettent certains professeurs d'histoire. Deux exceptions, l’une motivée par la pédagogie : les contes populaires servant à la meilleure maîtrise d’une langue (contes en créole d’Haïti, par exemple), l’autre justifiée par la sémiotique : le théâtre. Il est en effet licite, sans mutiler un dialogue qui peut être aussi littéraire qu’on voudra, de l’insérer au moyen de « bulles » en des séries d’images plates qui jouent le rôle d’une mise en scène mouvante et tridimensionnelle. L’image, figeant le ou les personnages, au moment privilégié de leur énonciation, joue un rôle analytique récupérable en didactisme.


histoire

« exemple fonctionne exactement comme les dérisions - dont Mad était coutumier -de films, de bandes dessinées connues ou d'émissions télévisuelles; le second utilise tous les procédés cocasses, graphiques et langagiers de l'auteur des Dingodossiers.

C'est dire que la parodie y est prétexte et ne s'astreint jamais à respec­ ter un contenu narratif complexe.

Ce sont des phrases, des situations, des personnages, arrachés à leur origine - laquelle peut être, mais est rarement, littéraire-, qui déclenchent ou stimulent un univers graphique préexis­ tant et fondamental.

Ce n'est jamais la littérarité qui y est attaquée, mais la narrativité sociale que répercutent de puissants moyens techniques ou institutionnels - souvent les deux.

Plus subtile, mais plus spécifique, est J'évocation en bande dessinée d'une atmosphère narrative particulière, très rarement due, en ce qui concerne le scénario, à un écrivain reconnu (on cite comme une chose étonnante la collaboration de Dashiel Hammet avec Alex Raymond pour une célèbre bande policière : Secret Agent X 9).

Ainsi, aucun critique n'a laissé échapper Je fait que les récits de Hugo Pratt, tel Corto Maltese, baignent dans la couleur propre du récit conradien.

Affaire de thèmes, de situations, de rapports entre personnages, plutôt que de textualité.

En fait, c'est une implication narrative, diégé­ tique, plus qu'une spécificité textuelle, qui est visée.

En outre, les deux phénomènes évoqués portent sur une part infime de la production en bande dessinée.

Celle-ci a peu d'affinités volontaires avec les récits reconnus comme« littéraires »; elle préfère de beaucoup les influences plus conformes à sa nature de communica­ tion de masse : celles, notamment, du cinéma et du récit paralittéraire, « populaire ».

On comparera le rapport entre BD et texte littéraire avec celui que la« bande » entretient avec l'art pictural : dans les deux cas, à d'infimes exceptions près, ce rapport est indirect, toujours appuyé sur des formes esthétiques fortement socialisées : l'« art nouveau >) influence Win­ sor McCay et son admirable Little Nemo ou George McManus dans son Bringing up Father (la Famille Illico); l'op'art agit dans Pravda, la survireuse, de Guy Pellaert, et chez plusieurs Américains de J'Underground.

Les grands peintres, pas plus que les grands écrivains, ne collaborent directement au genre ni ne l'influencent.

Pourtant, le pont entre discours littéraire, du moins sous sa forme pédagogique, et figuration narrative était jeté dès J'origine.

Rodolphe Topffer en est témoin, car ses récits utilisent dans un même dynamisme les suites de phrases destinées à l'impression et un jeu complexe, subtil et vivant de textes et de dessins, tracés du même geste, qui se répondent et se ponctuent mutuellement.

Mais cette communication active entre les deux projets narratifs, « littéraire » et graphique, reste unique ou pres­ que.

En outre, il s'agit, avec Topffer, d'un genre inexis­ tant, non compromis par le succès.

Après sa prise en charge par les puissants moyens de diffusion que sont le journal quotidien pour Je « strip », rangée de quelques dessins en une seule bande et le supplémenr du dimanche pour la page dessinée, puis le comic book (aux États­ Unis) ou l'album (en Europe), la bande dessinée, dans sa masse, rejette ou ignore une telle relation, génétique ou même de simple influence, avec la littérature.

Symétriquement, la littérature se sert peu de la bande dessinée pour y couler le contenu de ses récits, alors que fleurissent les adaptations pour le cinéma ou la télévision fvoir ADAPTATION] et même les indigentes et indigestes réductions textuelles nommées «digests ».

La pédagogie littéraire en français ne supporte guère le traitement infantilisant qu'admettent certains professeurs d'his­ toire.

Deux exceptions, J'une motivée par la pédagogie : les contes populaires servant à la meilleure maitrise d'une langue (contes en créole d'Haïti, par exemple), J'autre justifiée par la sémiotique : le théâtre.

Tl est en effet licite, sans mutiler un dialogue qui peut être aussi littéraire qu'on voudra, de l'insérer au moyen de « bul­ les» en des séries d'images plates qui jouent le rôle d'une mise en scène mouvante et tridimensionnelle.

L'image, figeant le ou les personnages, au momenr privi­ légié de leur énonciation, joue un rôle analytique récupé­ rable en didactisme.

Cependant, la culture américaine s'est montrée plus accueillante au nouveau médium, pour diffuser la littéra­ ture.

Ce ne sont pas seulement des dialogues scéniques que les Classic lllustrated mettent en bandes -de manière respectueuse et ringarde -mais aussi le stock narratif romanesque, Scott, Dickens, Dumas ou Feni­ more Cooper assurant la recette de lisibilité maximale : trame aventureuse et sentimentale à laquelle s'ajoute une notoriété absolue dans Je milieu de réception.

Mais c'est ici, encore, la question de J'adaptation nar­ rative et de la dégradation pédagogique qui est soulevée; elle s'articule parfaitement à celle de la parodie, qui adopte volontairement le déplacement au lieu de prati­ quer sans le souhaiter l'aplatissement.

Bande dessinée et littérarité L'essentiel du problème est à saisir plus profondé­ ment, dans Je rapport entre narrativité, textualité litté­ raire et imagerie narrative.

La « traduction >) figurative d'un fragment narratif est une vieille affaire, sans même évoquer le récit en images indépendant.

Mais le parallélisme entre la broderie de la reine Mathilde (la « tapisserie de Bayeux ») et une geste en ancien français n'est guère contrôlable, non plus que les concrétions picturales de fragments significatifs des grands récits mythiques, gréco-latins ou judéo­ chrétiens : l'iconographie, en principe, s'en charge.

Lorsque la sensibilité graphique de chaque époque arrête une structure temporelle et la (re)présente, le rap­ port entre texte et image devient alors explicite et réci­ proque.

Or, dans le processus illustratif, des tendances peuvent se faire jour vers un découpage du récit annon­ ciateur de la bande dessinée.

L'un des plus curieux est sans doute l'édition illustrée de Paul et Virginie par Curmer.

De l'illustration systématique au texte illustré, l'évolution est homogène.

Puis le Xtx• smècle voit appa­ r�ître l'histoire en images en tant que genre populaire (Epinal) et comme avatar privilégié de la littérature pour enfants ou adolescents.

Il ne s'agit pas encore de vraie bande dessinée, mais Christophe, l'auteur du Sapeur Camember et de la Famille Fenouillard, sait donner au récit en mots un contrepoint régulier d'images qui ren­ verse le processus de la lecture : au lieu que les phrases du texte soient sporadiquement réinterprétées par des images qui canalisent l'imaginaire mais re stimulent sur de nouvelles bases -ce qui est le fait de l'illustration -, la suite de vignettes propose son propre dynamisme narratif, Je texte servant à la fois d'interprétant et d'in­ terprété, de signifiant et de signifié.

Le phénomène se précise lorsque la page se construit en tableau (comme dans Bécassine, de Joseph Pinchon, ou dans les albums de Benjamin Rabier) et surtout lorsque apparaissent les bulles figurant paroles et bruits : alors seulement se dégage la spécificité de la bande dessinée.

Un cas extrême : l'histoire sans paroles, suite d'ima­ ges non commentées, révèle, comme le cinéma muet (mais ce dernier recourt aux intertitres), le narratif pur, isolé du textuel.

Au contraire, la textualité de 1 'histoire en images reste importante, et l'on s'en aperçoit avec surprise en consta­ tant que le texte des Pieds-Nickelés, de Louis Forton, privé de ses vignettes, reste étonnammernt lisible.

Dans le champ de la « paralittérature >>, champ qualifié de. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles