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LA CRITIQUE ET L'ESSAI DEPUIS LE XIX (19)e SIÈCLE

Publié le 20/11/2011

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Le xviiie siècle avait vu le triomphe de l'esprit critique, tournant d'ailleurs parfois à l'esprit de critique. Mais la manière plus chaleureuse de DIDEROT, dans ses Salons, ouvrait déjà la voie à une forme moderne de la prose : la critique littéraire conçue non plus seulement comme un instrument de combat, mais comme une méditation sensible où, pour reprendre la formule de Proust, se devine sous le lecteur d'autrui le lecteur de soi-même. BAUDELAIRE est le type même du critique moderne et du poète qui porte un critique en lui-même. S'il lui est arrivé de prendre des positions combatives dans la querelle du réalisme ou à propos de l'école païenne, il nous intéresse surtout par ses analyses pénétrantes de la modernité, « le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l'art, dont l'autre moitié est l'éternel et l'immuable «. Aux normes de Boileau il substitue l'attention accordée à la touche géniale, au détail insolite qui doit permettre le brusque passage au spirituel.

« A la veille de la prem1ere guerre mondiale, l'exaspération des esprits élève le débat sur la critique à la hauteur d'un conflit « national :..

Charles MAURRAS (1868-1952) réhabilite la cri­ tique normative.

Charles PÉGUY (1873-1914), emporté par sa ferveur patriotique, s'emporte contre la Sorbonne, bastion de l' « esprit histo­ rique », du « parti intellectuel », et voit dans le lansonisme une invasion de l'esprit germa­ nique.

C'était vouloir à tout prix , ici comme ailleurs , faire une mauvaise querelle.

Mais la raison réelle était plus profonde et plus intéres­ sante.

Bergson était passé par là:, « rompant les fers » en dénonçant l'intelligence comme un mode dé connaissance imparfait, très inférieur à l'intuition plus accordée à l'infinie fluidité du courant de conscience dont, en définitive, est bien issue l'œuvre d'art.

Au lieu de juger, au lieu d'expliquer, ne faut-il pas plutôt subtile­ ment pénétrer dans « ce que voit un autre de cet univers qui n 'est pas le même que le nôtre » (Proust), saisir le mouvement intime de la création littéraire en le revivant soi-même ? L'étude de Marcel PROUST sur Flaubert, dans Chroniques est bien supérieure, en ses quelques pages, au Flaubert publié en 1922 par Albert Thibaudet parce qu'au lieu de s'appuyer sur des critères extérieurs, elle dégage les deux aspects du style où les battements du cœur de l ' œuvre ne parviennent pas à être étouffés par la volonté , tendue à l'extrême, de l'écrivain.

Le danger d'une telle interprétation critique est de substituer inconsciemment à l'auteur étudié un autre auteur : soi-même.

Les écrits critiques de Paul VALÉRY (1871-1945), quelque brillants qu'ils soient, n'échappent pas toujours à ce piège .

Hugo devient, pour lui, un « créa­ teur par la forme », comme l'auteur de Charmes lui-même; Bossuet lui apparaît comme « un trésor de figures, de combinaisons et d'opérations coordonnées », comme un temple dont l'architecture splendide cache un sanc­ tuaire aujourd'hui désert.

Bref, chaque écri­ vain devient un mythe où s'exprime la philo­ sophie de la genèse littéraire propre à Valéry.

L'apparente « variété » ne recouvre qu'une monotonie réelle, et dans le miroir du passé Narcisse ne cesse de retrouver sa propre image.

La critique spiritualiste court un risque ana­ logue.

Elle feint de trouver, au terme d'un travail d'approximation, une dimension trans­ cendante qu'elle ne fait en réalité que retrouver, puisqu'il s'agissait bien, sans que l'esprit en eftt conscience, d'un a priori véritable.

Les admi­ rables pages de Péguy sur Corneille dans Victor-Marie comte Hugo et dans la Note Con­ jointe témoignent moins d'une connaissance de l'auteur du Cid et de Polyeucte que d'une recon­ naissance, à travers le prétexte qu'il constitue, des thèmes familiers à Péguy lui-même : la tragédie du salut, le mystère de la communion des saints, l'enracinement du spirituel dans le charnel.

Charles du Bos (1882-1939), récem­ ment remis à l'honneur par les beaux livres de Charles Dédéyan, fouille la « forêt obscure » de « l'âme d'autrui :.

pour en découvrir l'âme au sens religieux du terme.

La « voie sacrée » de Stefan George, la bénédiction de la douleur chez Baudelaire, « le parfum d'éternité de la beauté spirituelle » chez Marcel Proust, mais aussi « l'esprit souterrain » de Dostoïevski ou le satanisme de Gide sont tributaires de la quête même « du spirituel dans l'ordre litté­ raire ».

De pénétrante, la critique se fait inter­ prétative et s'éloigne délibérément de l'ordre des sciences exactes.

Aussi viennent se dresser en face de ces « hérétiques » les gardiens, ombrageux ou sou­ riants, du rationalisme.

Avec vigueur, et parfois même avec hargne, Julien BENDA (1867-1955) oppose à la « critique pathétique » des cher­ cheurs d'ineffable les droits d'un examen objec­ tif.

De Belphégor à La Trahison des clercs l'auteur essaie de se désincarner pour juger de toutes choses, intelligence pure, sulJ.

specie aeternitatis, pour comprendre, au lieu de sentir.

Pour ALAIN (1868-1951) non plus, comprendre n'a pas de fin, et tout , même la page écrite, mérite d'être passé au crible de l'élaboration abstraite.

Clarifiée, elle devra aussi en sortir enrichie.

De fait, ses Propos sur la Littérature, souvent lumineux, font saisir en un instant la vie ou la beauté d'une œuvre.

Parfois aussi, le retour au texte original nous oblige à cons­ tater l'appauvrissement du texte par le com­ mentaire, dans ses pages trop vantées sur Charmes ou sur La jeune Parque, par exemple .

Dans le sillage d'Alain ou de Benda, comment ne pas citer aussi des critiques comme Paul LÉAUTAUD (1872-1956), l'auteur du Théâtre de Maurice Boissard, acharné à déceler toute trace de romantisme intempestif et, à une date plus récente, mais tout aussi intraitable sur la pureté du langage, ETIEMBLE , fougueux défenseur d'une « hygiène des lettres » qui restitue en particulier au mot « poète » son sens étymo­ logique de « faiseur » ? L'après-guerre a vu se mêler les tendance s les plus diverses entre lesquelles il est encore difficile de faire un tri.

La décadence de l'im ­ pressionnisme littéraire s'est accentuée : la for­ mule d'Emile Faguet, « le bon goftt, c'est mon goftt » n'est plus guère appliquée que par les journalistes ou feuilletonistes littéraires, tels, pour ne citer que les morts, un Robert Kemp ou un Emile Henriot.

La critique « lanso­ nienne », au bon sens du terme, n'a cessé de s'affirmer, enrichissant à la fois ses méthodes et les directions de son investigation.

Après un Albert THIBAUDET (1874-1936), un Daniel MonNET et un Paul HAZARD qui projetèrent l'un et l'autre bien des lueurs nouvelles sur le xvn1• siècle, les nouvelles générations d'univer­ sitaires ont compté ou comptent bien des éru­ dits fervents et sensibles dont il vaut mieux ne citer aucun tant il faudrait les citer tous.

La biographie, que l'on reprocha tant jadis à Sainte-Beuve, a trouvé en André MAUROIS (1885- 1967) un maître singulièrement original qui contribua à lancer une mode où se sont illus­ trés entre autres Henri MoNDOR et Henri TROYAT.

La tendance la plus frappante, mais aussi la plus dangereuse, est la critique d'inspiration philosophique qui tend à se confondre avec l'essai proprement dit.

Jean-Paul SARTRE, après avoir donné, dans L'Etre et le Néant un exposé proprement philosophique de sa vision du. »

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