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LA DIXIÈME (10e) SATIRE DE JUVENAL : PAS DE VOEUX IMPRUDENTS.

Publié le 02/05/2011

Extrait du document

I

La dixième Satire n'est, en son fond, elle aussi, qu'un lieu commun, plus d'une fois touché déjà par les moralistes grecs et latins, avant même que Juvénal songeât à y mettre sa marque. Le plan général, étayé comme dans la Satire VIII d'exemples historiques, n'est pas non plus exempt d'un certain pédantisme. Mais, dans le détail, que de descriptions vigoureuses, que de tableaux saisissants ! Victor Hugo, qui lisait Juvénal avec une évidente prédilection s'en est aperçu ; et, nous le verrons, il a su y glaner à l'occasion. Déjà, avant lui, au XVIIIe siècle, Samuel Johnson, dont j'ai déjà cité l'imitation qu'il fit dans son London de la Me Satire de Juvénal, avait transposé cette Xe Satire dans une pièce qui en est souvent l'imitation presque littérale. Rien de plus aisé que de donner une vue d'ensemble d'une composition aussi régulièrement ordonnée.

« Et Sénèque lui-même, mort en 65, une quarantaine d'années avant l'époque où Juvénal devait commencer à écrire,que disait-il ? Quels conseils donnait-il à son ami Lucilius ? « Aborde, lui écrivait-il, au port d'une vie meilleure : les dieux te sont propices, mais non point comme à ceuxauxquels, avec un visage riant et serein, ils accordent de magnifiques infortunes, faveurs cuisantes et douloureuses,que justifient seuls les voeux qui les ont arrachés'...

Sois sourd pour ceux qui t'aiment le plus.

Ils forment du meilleurcoeur les plus funestes voeux ; et si tu veux être heureux, prie les dieux qu'ils ne t'envoient rien de ce qu'on tesouhaite...

Qu'est-il besoin de voeux ? Fais-toi heureux toi-même.

» Et ailleurs : « En es-tu encore à former les vœux que formaient pour toi ta nourrice, ou ton pédagogue, ou ta mère ? Necomprends-tu pas encore que de maux ils te souhaitent ? Ah 1 combien ils nous sont contraires les voeux de ceuxqui nous aiment ! Et d'autant plus contraires qu'ils sont mieux exaucés ! Je ne m'étonne plus que, dès le berceau,tous les maux s'attachent à nos pas : nous avons grandi au milieu des malédictions de nos parents...» IIILes Anciens s'étaient, de tout temps, trop préoccupés de la question du bonheur humain, et des moyens d'yatteindre dans la mesure où notre condition le permet, pour que la sottise de certaines prières et de certainssouhaits leur eût échappé.L'idée qui remplit cette dixième Satire n'est donc pas une idée originale.

Mais là où Juvénal — que nul ne songe àprésenter comme un penseur — récupère ses avantages et marque sa supériorité, c'est dans la manière dont ilillustre ces vérités, souvent exprimées avant lui, et dont il les justifie.Voyez, par exemple, le passage sur la vanité de la gloire militaire des grands conquérants :« Des dépouilles guerrières, une cuirasse attachée à des trophées tronqués, une jugulaire pendant à un casquebrisé, un char écourté de son timon, la poupe d'une trirème vaincue, un captif e n posture accablée au sommet d'unarc de triomphe, voilà ce qui passe pour préférable à, tous les biens du monde.

C'est pour cela que bande sesefforts le conquérant romain, grec, barbare ; c'est pour cela qu'il affronte tant de périls et de labeurs.

Tant il estvrai qu'on a plus soif de gloire que de vertu ! Et cependant vient un jour où elle perd la patrie, cette gloire, privilègede quelques-uns, cette avidité d'éloges et d'épitaphes à graver sur la pierre, gardienne des cendres.

Ce tombeau,pour le désagréger, il suffit de la force sournoise d'un figuier stérile, car les sépulcres, eux aussi, sont destinés àpérir.

Pesez la cendre d'Hannibal.

Combien de livres trouverez-vous à ce général fameux 1 ? C'est pourtant lui quene suffit pas à contenir l'Afrique, battue d'un côté par l'Océan maure et qui confine de l'autre à la tiédeur du Nil, etplus loin encore aux peuples d'Ethiopie et à l'autre région des éléphants.

Il annexe l'Espagne à son empire, il enjambeles Pyrénées.

La nature lui oppose les Alpes et leurs neiges : il ouvre les rochers, il brise la montagne dissoute par levinaigre.

Déjà il tient l'Italie, mais il vise plus loin encore : « Nous n'avons rien fait, s'écrie-t-il, si mes soldats nefracassent les portes de Rome et si je ne plante mon étendard au milieu de Subure.

» Quelle étrange figure ! Quelsujet pour un peintre que ce général borgne juché sur son éléphant de Gétulie ! Mais la fin de cette aventure? Ogloire ! Le voilà vaincu, ce même Hannibal, il fuit précipitamment en exil, et là, cet illustre, cet extraordinaire clientreste assis près du prétoire royal jusqu'à ce qu'il plaise à un tyran de Bithynie de s'éveiller. A cette vie, qui bouleversa naguère l'humanité.

ne mettront fin ni le glaive, ni les rochers, ni les flèches ; non, c'estun anneau qui vengera Cannes et châtiera tant de sang répandu.

Va donc, insensé, cours à travers lesescarpements des Alpes, afin d'émerveiller des écoliers et de devenir pour eux matière à déclamation ! »José-Maria de Hérédia s'est souvenu dans ses Trophées de ce passage éloquent.Le sonnet intitulé Après Cannes n'en a retenu qu'un détail, dans le dernier tercet : Et chaque soir la foule allait aux aqueducsPlèbe, esclaves, enfants, femmes, vieillards caducsEt tout ce que vomit Subure et l'ergastule.Tous anxieux de voir surgir, au dos vermeilDes Monts Sabirs, où luit sanglant du soleilLe chef borgne monté sur l'éléphant gétule. Un autre sonnet en met en relief l'idée maîtresse, avec un bonheur d'expression auquel Juvénal a manifestementcontribué : A un TriomphateurFais sculpter sur ton arc, Imperator illustre,Des files de guerriers barbares, de vieux chefsSous le joug, des tronçons d'armures et de nefs,Et la flotte captive et le rostre et l'aplustre.Quel que tu sois, issu d'Ancus ou né d'un rustre,. »

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