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La littérature roumaine

Publié le 10/11/2018

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UNE ÉTERNELLE QUETE D'IDENTITE

 

Qui sommes-nous ? Comment être roumain ? Ne perdons-nous pas notre âme sous l’influence de la pensée étrangère ? Et, si tel est le cas, où donc trouver notre « fond » originel et authentique ? Sommes-nous des Occidentaux, des Latins, ou autre chose ? Bref, comment entrer dans la modernité culturelle sans perdre notre « spécificité nationale » ?

 

C'est bien cette interrogation lancinante, parfois obsédante, sans cesse reprise et réaménagée d'une génération littéraire à l'autre depuis l'époque des « bâtisseurs » (1848), qui structure, depuis deux siècles, l'ensemble de la scène intellectuelle et philosophique roumaine. Cette quête identitaire s'explique bien sûr par la longue domination des empires - turc et russe - et par l'accès tardif des Roumains à l'indépendance nationale : 1859 pour la réunion des principautés de Moldavie et de Valachie, et 1920 seulement pour l'avènement de ce qu'on appelle la « Grande Roumanie » unifiée (avec la Transylvanie).

 

C'est ce que le jeune Cioran nommait, en 1936, la « tragédie des petites cultures » : ces cultures déchirées entre tradition et modernité, entre leur désir de conformité (à l'Occident) et leur souci d'originalité. Appartenir â une petite culture, écrivait alors Cioran, c'est appartenir à une nation dont l'existence ne va jamais de soi, dont la raison d'être demeure perpétuellement à démontrer et â conquérir de haute lutte -une tâche qui reviendra en grande partie aux écrivains.

 

En ce sens, toute la littérature roumaine gravite autour de ce dilemme inaugural : c'est vrai des grands débats qui, avant comme après la Première Guerre mondiale, vont durement opposer les écrivains occidentalistes à leurs adversaires traditionalistes, autochtonistes ou populistes ; et cela restera vrai sous le national-communisme de Ceausescu, qui verra s'affronter les tenants du « protochronisme » (nationalisme) aux écrivains partisans d'une conception plus ouverte des « valeurs roumaines ».

« LE MICHEUT ROUMAIN Nicolae Iorga (1871-1940), parfois qualifié de Michelet roumain, est très célèbre pour son abondante œuvre d'historien.

Également poète, critique et dramaturge, il incarne au début du siècle l'aile droite et passéiste du populisme roumain.

En 1901 , il fonde dans cet esprit, avec les poètes George Cosbuc (1866-1918) et Alexandru Vlahuta (1858-1919 ), la revue Samanatorul (Le Semeur), qui donnera naissance à l'école dite " samanatoriste li.

Selon sa conception, la littérature se doit d'exprimer« l'âme du peuple li et travailler à l'exaltation des valeurs paysannes traditionnelles .

Ennemi acharné de la littérature dite " décadente li, symboliste ou moderniste, Iorga deviendra, entre les deux guerres, l'un des maîtres à penser du nationalisme ethnique.

Tragique ironie de l'Histoire : il mourra assassiné par les fascistes roumains de la Garde de fer en 1940.

« 0CCIDENTALISTES » CONTRE « AUTOCHTONISTES » Le grand débat qui va opposer occidentalistes et autochtonistes constitue une sorte de remake de la grande querelle des Anciens et des Modernes .

Tout au long des années 1920 et 1930 , ce clivage va polariser la scène littéraire .

En un sens, ce sont les mêmes débats qu'au XIX' siècle qui font rage : s'abandonner à l'influence étrangère ou s'en retirer? Comment faire pour s'approprier et assimiler certaines valeurs de la culture universelle tout en demeurant soi­ même ? Cette controverse, qui eut de fortes répercu ssions politiques , envenime jusqu'aux rapports personnels des écrivains entre eux.

Leurs chefs-d'œuvre illustrent pleinement et contradictoirement, tantôt l'une, tantôt l'autre de ces thèses .

• Dès les années 1920 , le modernisme trouve en Eugen Lovinescu (1881-1943), auteur d 'une monumentale Histoire de la littérature roumaine contemporaine f------------__, (1926-1929), son chef de file incontesté .

L'ENTRE-DEUX-GUERRES l'ÉPOQUE DU GRAND ROMAN Du point de vue romanesque , la période de l'entre-deux-guerres voit éclore plusieurs grands talents.

À Bucarest qu'on appelle alors le " petit Paris des Balkans li, des auteurs comme Proust, Gide ou Cocteau font école .

D'une manière générale, tous les grands courants de la littérature européenne s'y retrouvent : surréalisme et dadaïsme , poésie pure, roman social ou psychologique, théâtre symboliste, naturaliste , expressionniste .

• Liviu Rebreanu (1885-1944) ouvre ainsi la voie du grand roman avec quelques œuvres majeures, dont lon (1920), La Forêt des pendus (1922) ou La Bête immonde (1938).

Tudor Arghezi (1880-1967), à la fois baudelairien et poète du terroir , invente , lui, une langue poétique nouvelle , tandis que Camil Petrescu (1874-1957) se lance dans des romans stendhaliens qui reflètent admirablement la socié té roumaine de l'époque, comme Le Lit de Procuste (1933).

Ce grand critique littéraire favorable à l ' influence française et à une évolution «synchronique li avec l 'Europe , violemment attaqué pour son cosmopolitisme, défend la liberté artistique et s'attache à dissocier clairement les critères esthétiques , d ' une part , des critères moraux et nationaux , de l'autre.

• Autour de Lovinescu et de Sburotorul (L'Homme volant), la revue qu'il fonde en 1919 , gravitent de nombreux écrivains pour qui la quête d'un fond roumain éternel n'a guère de sens.

Ainsi du romancier Paul Zarifopol (1874-1934), chez qui l'on sent l'influence de Proust et de Joyce, du poète Perpessismus (1891-1971) ou de Pompiliu Constantinescu (1901- 1946) , auteur d'un essai au titre programmatique , L'Humanisme érudit et esthétique (1934).

• Face aux modernistes , la mouvance autochtoniste évolue, au tournant des années 1930, vers un nationalisme antidémocratique exacerbé.

Pour les uns, l'esprit de la civilisation roumaine ne peut être que byzantin ; d'autres , oubliant que leurs pairs avaient r----------------1 autrefois combattu l'influence russe L'ÉCRIVAIN VAGABOND JllriNif/strtlti (1884-1935) occupe, dans ce paysage, une place à part.

Fils d'une paysanne et blanchisseuse roumaine et d 'un épicier grec, contrebandier à ses heures, qui mourra alors que Pana ·ll n'est âgé que de quelques mois, il mène une vie vagabonde autour de la Méditerranée.

Son œuvre, directement écrite en français , relate avant tout des histoires de haïdoucs, ces bandits de grand chemin qui, au XIX' siècle, luttaient pour défendre les pauvres et les opprimés : Kyra Kyralina (1924), Domnitza de Snagav (1926), Les Chardons du Barogan (1928).

On lui doit aussi l'un des premiers récits de retour d'URSS, Vers une autre flamme (1927), un témoignage extraordinairement lucide qui lui vaudra bien des déboires, des ruptures et de nombreuses calomnies.

au nom de la latinité, conseillent de ne pas négliger le " fonds slave li ; d'autres encore croient découvrir l'esse nce du" roumanisme li dans la Thrace préhistorique .

Ces thèses s'incarnent notamment dans les œuvres du dramaturge et poète lyrique Octavian Goga (1881-1938), qui, en 1937, s'illustrera en politique en dirigeant le premier gouvernement ouvertement antisémite de l'entre­ deux-guerres .

Même type d'évolution chez le romancier Virgil Gheorghiu (1905-1977), bien connu en France pour son best-seller , La Vingt­ Cinquième Heure (1959), mais qui est aussi l'auteur de textes beaucoup moins avouables.

Ainsi en est-il du volume Les rives du Dniestr brûlent (1942), qui réunit ses reportages sur le front de l'Est et dans lequel il se félicite de voir les juifs déportés dans les camps de Transnistrie par les troupes roumaines et allemandes.

• En philosophie, ce courant fascisant et antisémite pour lequel l'art et la littérature devaient se mettre au service d 'une politique visant à la « réalisation de l'être ethnique li s'est enorgueilli de plusieurs mentors , comme le très charismatique Nae lonescu (1890 - 1940) , maitre à penser incontesté de la « Jeune Gén ération li.

LA NAISSANCE DE LA« JEUNE GÉNÉRATION » : CIORAN , ELIADE, IONESCO La naissance de la "Jeune Génération li contestataire qui s'affirme en 1927 est l'un des phénomènes culturels les plus remarquables de l'entre -deux-guerres.

Elle présente de frappantes similitudes avec l'apparition de groupes comme Esprit ou Ordre nouveau en France .

• À Bucarest , ce groupe rassemble les écrivains les plus brillants , dont certains jouiront , après 1945 , d'une renommée internationale : il y a ainsi l'historien des religions Mirceo Eliode (1907- 1986) , le leader du groupe, dont le roman Les Hooligans parait en 1935.

Il y a encore Emil Cioran (1911-1995) et Eugène Ione sco (1909-1994), qui, en 1934, publient respectivement Sur les cimes du désespoir et Non.

On y trouve également des philosophes de 1'« être national >>, dont deux des plus importantes figures de la philosophie roumaine au xX' siècle : Mircea Vulcanescu (1904-1952), pour La Dimension roumaine de l'existence (1938), et Constantin Noïca (1907- 1987), auteur d 'un ouvrage intitulé Le Sentiment roumain de l'être (1987).

Mihail Sebastian, romancier et dramaturge d'origine juive, à qui l'on doit un extraordinaire Journal (1935-1944) racontant le basculement de ses amis dans le fascisme, fait lui aussi partie de la « Jeune G énération >>, ou« Génération 1927 >>.

• Ces jeunes écrivains anticonformistes vantent la" primauté du spirituel>> , disent leur révolte contre l'ordre établi et communient dans le culte de l'irrationnel , du concret, de l'expérience -raison pour laquelle on les appellera aussi les « expérienciers >>, sortes d'existe ntialistes avant la lettre .

La politisation du groupe survient à partir de 1933-1934, quand la majorité de ses représentants apporteront leur soutien à la Garde de fer.

Cette évolution vaut notamment pour l'historien des religions Mircea Eliade et pour le moraliste Emil Cioron .

Si leurs écrits nettement fascisants de l'époque restent inaccessibles en français, leur basculement vers l'extrême droite sera décrit par Eugène Ionesco dans sa pièce la plus célèbre, Rhinocéros (1959) .

LE JEUNE IONESCO À PROPOS DE LA LITTÉRATURE ROUMAINE DES ANNÉES 1!130 «Je ne cesse d'être stupéfié par l'intrans igeance , l 'acharnement avec lesquels nous tenons à notre spécificité de Roumain plutôt qu'à celle de poète, de romancier, de philosophe[ ...

].

Je sais très bien qu'on ne peut pas rejeter une nation comme on jette une chemise ou une vieille chaussette.

Mais on peut la dépasser.

Dépasser ne signifie pas abandonner mais englober, maîtriser.

Se vouloir autochtone et rien d'autre, c'est véritablement mettre sa chemise sur son costume[ ...

].

C'est parce que nous sommes si entêtés de notre authenticité et de notre spécificité que nous sommes si inauthentiques et si peu spécifiques.

Perdons-nous donc pour mieux nous trouver .

[ ...

] Et d'ailleurs, cette interrogation sans fin -voilà cent ans que nous butons dessus -et cet intermina ble discours sur nous-mêmes se sont avérés parfaitement inutiles et oiseux.

[ ...

] Pour naître, une culture doit contredire le spécifique national, s'opposer à lui, car elle commence toujours par être un éloignement.

•• Extraits de Non (Bucarest, 1934; Gallimard, 1986).

profondément subjective où la voie du rêve et de l'imaginaire permettait de déjouer la censure .

Beaucoup seront finalement poussés à l'exil.

Tel est le cas de Virgil Tanase (Zoia, 2003) ou de la romancière Maria Ma.llat (La Cuisse de Kafka, 2003) qui écrit désormais en français .

• Il faut à ce propos citer Gheorghe Craciun, dont le Composition aux parallèles inégales (1999 ) révéla la puissance d'évo cation de la réalité d 'une époque.

Professeur de théorie littéraire à Brasov (Réduction à l'échelle , 1999), il est le principal théoricien de la Génération 80, prônant le jeu avec la syntaxe et la réinterprétation des grands mythes transposés dans un contexte moderne (La Belle sans corps, 1993 ; La Poupée russe , 2004) .

• Le début de la décennie 80 fut également marqué par la parution de deux grands romans en forme de réquis itoires contre la période stalinienne, épuisés en quelques jours : Le Plus Aimé d'entre les mortels, de Marin Preda, et Les Voix de la nuit, d 'Augustin Buzura .

• Un grand nom de la poésie marque également cette époque: il s'agit d'Ana Blandiana.

Née en 1942 à proximité de Timisora, elle fut, selon ses propres dires, « d'abord connue comme poète interdite avant de l'être comme poète >>.

Ses œuvres, qui furent bannies par le pouvoir communiste de Ceausescu, sont aujourd 'hui unanimement saluées pour leur " dimension supratemporelle •• 1--------------i ainsi que les salua le jury Herder , qui lEs SURRÉALISTES Le mouvement surréaliste fut très important en Roumanie.

Il y trouva même quelques -uns de ses pionniers : Urmuz (1883- 1923) et surtout Triston TZoro (1896-1963 ).

Parmi les autres écrivains surréa listes roumains de grand talent , mentionnons encore Gherasim Luca (1913-1994), l'auteur de Héros-Limite (1953), ainsi que ses amis Gellu Naum (1915-2001 ) et Paul Paun (né en 1916) , avec qui Luca animera encore un groupe surréaliste dans l'immédiat après-guerre -avant que le régime communiste ne s'empare du pouvoir.

La plupart de ces auteurs s'exileront alors en France .

SOUS LE COMMUNISME (1945-1989) ET DEPUIS • Après la longue nuit des années 1950 , la décennie 1960 , période de relatif dégel, connaîtra une sorte d'explosion lyrique .

En témoignent L'Hiver des hommes (1965), de Stefan Banulescu , En l'absence des maitres (1983 pour l'édition française), de Nicolae Breban , ou encore les « oniristes li, courant littéraire animé par le prosateur Dumitru Tsepeneag .

Après les années 1970 , dominées par l'entrée en dissidence du romancier Paul Goma (Gherla, 1973 ; Les Chiens de mort , 1981 ), les années 1980 seront les plus noires de l'épo que Ceause scu .

S'y affirme toutefois la « Génération 80 >>, une littérature de l'interstice lui décerna son prix.

Auteur, entre autres, de Scripta hostilia (1985) et de L'Étoile de proie (1991), elle a fondé l'Académie mondiale de poésie , dont le siège est à Vérone.

• Depuis la chute du régime communiste en 1989 , le nom qui se détache le plus nettement est sans doute celui de Mirceo Cortorescu , né en 1956 et ancienne figure emblématique de la Génération 80, avec Rêve (1989), Lulu (1996}, Orbitor (2002) et Pourquoi nous aimons les femmes (2004).

Son impressionnante puissance imaginative , sons sens du spectaculaire et son génie de la langue en font , aux yeux de certains, un fils roumain de Jorge Luis Borges.

Lui aussi fin théoricien littéraire , il est notamment le promoteur de la " !existence >>, conception fondatrice du postmodernisme roumain prônant un nouveau rapport avec le réel.

• Parmi la toute jeune génération, on peut enfin citer Ceci lia Stefanescu , née en 1975 , dont le premier ouvrage, Liaisons maladives (2002), qui fit grand bruit en Roumanie , parait en langue française en 2006.

Très influencée elle aussi par la Génération 80 et le cercle animé par Mircea Cartarescu, elle en revendique les conceptions littéraires et sociales, opérant , au cœur d 'une œuvre incandescente conçue comme un conte , un parcours autobiographique et initiatique très novateur.. »

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