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La misère de l'homme dans Fin De Partie de Beckett

Publié le 25/07/2012

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beckett

... condamné à la souffrance, à la mutilation et à l’absurde, et cette misère, cette dérision gratuite ne peut qu’être le résultat des caprices d’un “Dieu” dont la nature est constituée des mêmes éléments –les mots- et qui comprend le mal qu’il fait.” (Coe, 1971:117). Ils ne veulent donc plus vivre, ils ne croient plus en la vie qui devient leur objet de dégoût: “Mais réfléchissez, réfléchissez, vous êtes sur terre, c’est sans remède!”(p.188) ajoute Hamm. Et justement, ces êtres beckettiens vont ardemment désirer la mort pour enfin fuir l’existence qui est sans aucune contestation un espace maléfique. A partir de là, leur aspiration à la mort va s’apparenter à une idée de reconstruction notamment comme moyen de délivrance de cette vie déficiente. Ainsi, dans la quête du néant se dégage une certaine apothéose de la mort au profit d’un non-être originel au nom d’une nouvelle affirmation, d’un nouveau recommencement ...

beckett

« dehors).

Voyons voir...

(Il regarde, en promenant lalunette.) Zéro...(il regarde)...

zéro...

(il regarde)...

et zéro.(Il baisse la lunette, se tourne vers Hamm.) Alors?Rassuré?Hamm : Rien ne bouge.

Tout est...Clov : ZéroHamm(avec violence):Je ne te parle pas!(Voix normale) Tout est..

tout est...

tout est quoi? (Avec violence)Tout est quoi?Clov: Ce que tout est? En un mot? C'est ça que tu veux savoir?Une seconde.(Il braque la lunette sur le dehors, regarde, baisse la lunette, se tourne vers Hamm.) Mortibus.

(p.168).Rien qu'en lisant les dialogues de Hamm et de Clov nous comprenons d'emblée qu'un air apocalyptique s'empare du monde; celui-ci confirme nettement la solitudedes êtres et le néant dans lequel ils baignent.Là-bas tout est “zéro”...

tout s'éteint irrémédiablement tant à l'extérieur qu'à l'intérieur de cet espace-refuge.

Lorsque soudain “une puce” apparaît aussitôt que Clov ladistingue Hamm exige qu'il la rattrape : “Une puce! Il y a encore des puces? Mais à partir de là l'humanité pourrait se reconstituer!Attrape-là, pour l'amour du ciel!”(p.171).

Il en est de même pour “le rat” dans la cuisine.

Stupéfait, il demande “s'il y a encore des rats?”et ordonne à Clov de “l'extermine(r)”(p.189).

C'est là en effetl'aspiration à une disparition, un anéantissement total à l'intérieur même du refuge; faisant cela, Hamm semble se révolter contre toute signe de vie y compris lasienne.

D'ailleurs c'est la raison pour laquelle il qualifie son père de “maudit progéniteur”(p.150) , responsable de son existence.Quant à l'impotence physique, Hamm semble résolument avoir compris la règle du “jeu” lorsqu'il explique à Clov :“Un jour tu seras aveugle.

Comme moi.

Tu serasassis quelque part, petit plein perdu dans le vide,pour toujours, dans le noir.

Comme moi.”(p.173).

Peu importe si c'est Hamm, Clov, Nagg ou Nell...

l'essentiel c'est qu'ils sont tous condamnés à une déchéancephysique voire à une dégénérescence progressive qui, apparemment, n'a pas de fin.

Ils figurent la parfaite incarnation de l'être ayant perdu toutes ses qualitéshumaines; rien que de voir “vivre” les éclopés comme Nagg et Nell dans des poubelles, perdant progressivement l'ouïe, la vue ou les dents expliquent parfaitement lesupplice, la misère dont ils souffrent; “corps souffrant qui crie malheur, il signale à tout instant son existence par les maux qui le torturent.” (Hubert, 1987:77).

Eneffet, on les entend crier à chaque instant; qu'importe si c'est Nagg qui constate: “J'ai perdu ma dent, je l'avais hier”(p.155) ou Hamm qui interroge Clov à plusieursreprises: “Comment vont tes yeux? Comment vont tes jambes?”(p.149).

Outre la misère qu'implique ces questions ou constatations nous remarquons qu'elles révèlentune vérité encore plus cruelle: les personnages de Beckett réduits à un morcellement corporel prennent conscience de leur propre anéantissement :Clov: Je me dis-quelquefois, Clov, il faut que tu arrives à souffrir mieux que ça, si tu veux qu'on se lasse de te punir un jour.

Je me dis-quelquefois, Clov, il faut quetu sois là mieux que ça, si tu veux qu'on te laisse partir-un jour.(...)puis un jour, soudain, ça finit, ça change, je ne comprendspas, ça meurt, ou c'est moi, je ne comprends pas, ça non plus.(...) Je me dis que la terre s'est éteinte, quoique je ne l'aie jamais vue allumée.(p.214).Clov semble avoir lui aussi compris que l'existence et la souffrance vont de pair ; vivre une peine qui provient bien de notre destin inéluctable, insurmontable parexcellence.

Les hésitations de Clov sont causées par la souffrance morale car il est difficile d'accepter, de comprendre l'arbitraire du mal qui le cerne de toute part oumieux dire l'insoutenable légèreté de l'être...

Il ne sait rien hormis “le cogito renversé de Beckett” : “Je pleure donc je suis.”(Manteau, 2000:88).

Dès lors, de cettevision désespérée de la condition humaine découle le constat de “la souffrance d'être” donnant au personnage la possibilité d'accéder à la conscience de soi-mêmedans les profondeurs de son fondement ontologique.Les personnages de Fin de Partie comprennent que l'existence n'est faite que de misère et par là nous voyons que Hamm fait allusion à Dieu lorsqu'il crie avecdésespoir “le salaud il n'existe pas.” (p.190); “ (...)condamné à la souffrance, à la mutilation et à l'absurde, et cette misère, cette dérision gratuite ne peut qu'être le résultat des caprices d'un “Dieu” dont la nature estconstituée des mêmes éléments –les mots- et qui comprend le mal qu'il fait.” (Coe, 1971:117).

Ils ne veulent donc plus vivre, ils ne croient plus en la vie qui devientleur objet de dégoût: “Mais réfléchissez, réfléchissez, vous êtes sur terre, c'est sans remède!”(p.188) ajoute Hamm.

Et justement, ces êtres beckettiens vontardemment désirer la mort pour enfin fuir l'existence qui est sans aucune contestation un espace maléfique.

A partir de là, leur aspiration à la mort va s'apparenter àune idée de reconstruction notamment comme moyen de délivrance de cette vie déficiente.

Ainsi, dans la quête du néant se dégage une certaine apothéose de la mortau profit d'un non-être originel au nom d'une nouvelle affirmation, d'un nouveau recommencement débarrassé de toutes les douleurs du monde comme l'indiqueHamm à travers ses paroles :Hamm: (...) La fin est dans le commencement et cependant oncontinue.

(Un temps) Je pourrais peut-être continuer mon histoire,la finir et en commencer une autre.

(Un temps).

Je pourrais peut-êtreme jeter par terre.

(Il se soulève péniblement, se laisse retomber.)Enfoncer mes ongles dans les rainures et me traîner en avant,à la force du poignet.(Un temps.) Ce sera la fin et je me demanderaice qui a bien pu l'amener et je me demanderai ce qui a bien pu...(il hésite)...

pourquoi elle a tant tardé.

(Un temps).

Je serai là, dansle vieux refuge, seul contre le silence et...(il hésite)...

l'inertie.(p.201).Cette réplique met bien en valeur que les personnages attendent l'anéantissement envisagé en tant que “re-commencement”; mourir devient donc la clef pour accéderdans le néant salvateur.

Ce faisant, lespersonnages visent une nouvelle réalité pour retourner à leur position initiale d'avant la naissance dans l'espérance de pouvoir renaître.

En effet, dans cette volonté derégénérescence réside une lueur d'espoir pour ces êtres qui ressentent au plus profond de leur moi le malaise existentiel, la misèreirrémédiable de l'homme “sans Dieu”.

Par ailleurs, la trajectoire naissance-mort-renaissance pourrait être rapprochée à la structure circulaire de la pièce puisqu'audénouement nous voyons Hamm se couvrir le visage de “son mouchoir taché de sang ” tout comme dans l'exposition :“(...) Puisque ça se joue comme ça...

(il déplie le mouchoir)...

jouons ça comme ça...

(il déplie)...

et n'en parlons plus...

(il finit de déplier)...

ne parlons plus.(Il tient àbout de bras le mouchoir ouvert devant lui.) Vieux linge! (Un temps.)Toi-je te garde.” Un temps.

Il ramène le mouchoir vers lui, s'en couvre le visage, laisse retomberles bras sur les accoudoirs et ne bouge plus.

(p.215).

Apparemment, à travers ces derniers gestes Hamm confirme bel et bien ce commencement résidant dans toutefin; ici,“le mouchoir” est révélateur de sa détresse humaine; par ce geste il veut peut-être dissimuler l'expression de son visage sur lequel est inscrit à jamais ladouleur...Reste à savoir si ce “re-commencement” sera toujours teinté de malédiction ou s'il sera synonyme d'un état de béatitude... ConclusionDécidément tout comme Hamm les personnages beckettiens sont bien une image de l'humain, de cet humain qui fait preuve du point ultime du désespoir lié à lapulsion de la mort.

Dans Fin de Partie se dévoile une différente conception de la vie; en effet, ces êtres marchant dans les chemins de la liberté se sont engagés versun tout autre moyen quant à l'élaboration de leur existence.

Peu importe si ce trajet passe par le néant, le constat amer de la contingence, l'essentiel c'est que l'êtrehumain soit libre dans ses actes en vue de passer au-delà de ses souffrances.

Précisément, comme le note Martin Esslin dans Le Théâtre de l'Absurde, “ les pièces deBeckett révèlent son expérience de la temporalité et de l'évanescence, du sens de la tragique difficulté qu'il y a à se saisir soi-même dans le processus sans merci derénovation et de destruction qu'entraîne l'écoulement du temps.”(p.66).

Cette tentation de définition de l'être oscillé entre la plénitude et le vide, la temporalité etl'intemporalité, l'immanence et la transcendance,la destruction et la “re-naissance” est, certes, l'une des preuves de base de son ontologie où l'homme ne peut plus être considéré comme la “partie” des systèmes toutfaits, mais une entité autonome à partir de laquelle un“système”, une nouvelle expérience peut se fonder.. »

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