LA PRESSE & BEL-AMI
Publié le 11/09/2018
Extrait du document
faut y toucher moins encore qu’aux jeunes filles, et d’une main plus délicate et plus souple. Il
prétend exercer sa profession dans toutes ses libertés et dans toutes ses fantaisies et avoir du
respect par-dessus le marché, comme si cela se payait en publicité, ainsi que les places de
théâtre et les places de chemin de fer. Quand, par hasard,une voix, timidement, se fait
entendre, dans ce concert unanime de joueurs de flûte, une voix qui se plaint des abdications
chaque jour multipliées et des tripotages à peine dissimulés, aussitôt mille voix la couvrent,
sortant on ne sait de quels bouges, où il est à remarquer que ce sont les personnalités
notoirement tarées qui crient le plus haut et sont les premières sur la brèche, drapeau en main.
Dans toutes les professions et réunions d’hommes, il y a des sanctions aux infamies
commises. Si quelqu’un triche au cercle, on le chasse ; si un avocat commet une action
honteuse, on le raye du tableau ; si un soldat déserte, on le fusille. Le journalisme n’a à sa
disposition ni expulsion, ni tableau, ni peloton d’exécution. Ses membres peuvent se
permettre toutes les coquineries, et cabrioler tout de même gentiment dans leur journal
respectif. Pourtant il dispose d’une force plus terrible que l’affichage d’un cercle, un trait noir
sur un tableau, des balles dans le ventre : la publicité. Quand un journaliste est indigne, c’est
bien le moins qu’on s’en serve. Et si, au lieu de s’acharner, comme on le fait, à cacher les
hontes, on les dévoilait d’une façon retentissante, j’imagine que tout n’en serait que mieux , et
qu’il y aurait autour de cette profession moins de défiance et plus de respect.
La France, 10 juin 1885
«
que possible, un épisode de la vie du journaliste.
Mais avouez que, tout en restant dans la
vérité, j’ai mis quelque discrétion, et vous auriez dû m’en savoir gré.
« Je n’ai point tout dit de ce que je sais, de ce que j’ai vu, de ce que je vois tous les
jours .
Les turpitudes, les infamies que l’on se raconte négligemment, je ne les ai dévoilées
qu’en partie.
Je n’ai fait montre à quelles besognes obscures et malpropres travaille un
journal, ce qu’il y a, sous l’étiquette menteuse, de violences quotidiennement accomplies et de
sottises éternellement irrémédiables.
Pensez -vous donc que j’aie dit – ce que vous savez
mieux que personne – ce que le journalisme
d’aujourd’hui, devenu une sorte d’esclave abruti
aux mains des partis politiques et des coteries mondaines, élève de canailles et ce qu’il
rabaisse de braves gens !
« J’ai fait l’histoire d’un journaliste et non pas celle du journalisme, histoire d’ailleurs
bien au-dessous de la réalité, non pas dans les résultats obtenus, mais dans les moyens
employés.
Et si quelques-uns s’en plaignent, c’est que j’ai frappé fort et visé juste.
Les
honnêtes gens se sentent -ils donc atteints parce qu’on condamne un voleur ? Quant au
journalisme, c’est une histoire terrible, qui n’est pas faite, qui ne sera jamais faite, car elle va
d’écroulements en écroulements, jusqu’à l’abrutissement d’un peuple et la fin d’un monde .
»
Depuis quelque temps le journalisme est devenu sacré.
Il n’entend pas qu’on lui dise
ses vérités.
Plus il se galvaude et plus il est susceptible sur le point d’honneur.
Le voilà
maintenant qui ne veut même plus être soupçonné.
C’est un être si chaste, si respectable, qu’il
faut y toucher moins encore qu’aux jeunes filles, et d’une main plus délicate et plus souple.
Il
prétend exercer sa profession dans toutes ses libertés et dans toutes ses fantaisies et avoir du
respect par-dessus le marché, comme si cela se payait en publicité, ainsi que les places de
théâtre et les places de chemin de fer.
Quand, par hasard,
une voix, timidement, se fait
entendre, dans ce concert unanime de joueurs de flûte, une voix qui se plaint des abdications
chaque jour multipliées et des tripotages à peine dissimulés, aussitôt mille voix la couvrent,
sortant on ne sait de quels bouges, où il est à remarquer que ce sont les personnalités
notoirement tarées qui crient le plus haut et sont les premières sur la brèche, drapeau en main.
Dans toutes les professions et réunions d’hommes, il y a des sanctions aux infamies
commises.
Si quelqu’un triche au cercle, on le chasse ; si un avocat commet une action
honteuse, on le raye du tableau ; si un soldat déserte, on le fusille.
Le journalisme n’a à sa
disposition ni expulsion, ni tableau, ni peloton d’exécution.
Ses membres peuvent se
permettre toutes les coquineries, et cabrioler tout de même gentiment dans leur journal
respectif.
Pourtant il dispose d’une force plus terrible que l’affichage d’un cercle, un trait noir
sur un tableau, des balles dans le ventre : la publicité.
Quand un journaliste est indigne, c’est
bien le moins qu’on s’en serve.
Et si, au lieu de s’acharner, comme on le fait, à cacher les
hontes, on les dévoilait d’une façon retentissante, j’imagine que tout n’en serait que mieux , et
qu’il y aurait autour de cette profession moins de défiance et plus de respect.
La France, 10 juin 1885.
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