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La question de l'auteur: Le Chevalier à la charrette, de Chrétien de Troyes

Publié le 05/08/2014

Extrait du document

question

 

À l'époque moderne, l'identité de l'auteur d'un livre ne pose en général

pas de problème: l'anonymat est un phénomène rare, employé délibérément

dans quelques cas très précis. Au contraire, au Moyen Âge, et particulièrement

au xne et au XIIIe siècle, c'est la norme. Même lorsque l'on

dispose du nom d'un écrivain, d'ailleurs, on n'est souvent pas plus avancé,

puisqu'aucune autre information à son sujet n'est disponible. Chrétien de

Troyes constitue une exception : avec cinq romans rassemblés sous son

« autorité «, il est l'auteur le plus et Je mieux connu de son époque. Et

pourtant. ..

question

« E X P 0 S É S F 1 C H E S rien faire d'autre que traduire.

On retrouve constamment cette tendance dans les Prologues de Chrétien de Troyes.

Mais dans le cas de La Charrette, Chrétien va plus loin encore : non seulement il mentionne le « conte » primitif qui lui a fourni l'argument de son roman, et joue · le rôle de !' auctoritas* derrière laquelle s'efface sa responsabilité, mais en outre il attribue le choix du sujet, et l'orientation idéologique de son traitement, à un « auteur » par rapport auquel il se présente comme un simple exécutant.

Cet auteur, c'est aussi son commanditaire, la comtesse Marie de Champagne.

Fille de la reine Aliénor d'Aquitaine et du roi de France Louis VII, épouse du comte de Champagne, la comtesse Marie est renommée pour son rôle de mécène et son im­ portance dans la diffusion en pays« d'oïl »de l'idéologie courtoise, importée du sud de la France par sa mère lors de son premier mariage.

Sa cour rassemble appa­ remment de nombreux artistes, poètes ou théoriciens de la courtoisie, tel André le Chapelain, auteur du célèbre Traité de l'amour courtois qui codifie les règles de la « fin'amor »et constitue la base de tous les développements romanesques ulté­ rieurs.

Tout en lui décernant des louanges dithyrambiques, Chrétien prend soin de lui attribuer l'entière responsabilité d'une histoire qui semble effectivement aller contre ses goûts et prendre le contre-pied de sa thématique habituelle .

....

Ill -GODEFROI DE LOIGNY Ce refus d'assumer la responsabilité de l'œuvre en cours est si accentué que Chrétien n'achève pas lui-même son roman.

Du moins est-ce ce que nous révèle l'épilogue, où nous apprenons avec stupeur que depuis environ mille vers, ce n'est plus Chrétien l'auteur du récit, mais un certain« Godefroi de Loigny», clerc de son état (cela garantit sa compétence), parfaitement inconnu par ailleurs, et qui proclame avoir agi sur l'ordre de !'écrivain en titre et avec son accord.

Coup de théâtre qui laisse perplexe, d'autant que rien, au niveau de la forme, ne permet de repérer la solution de continuité entre les deux auteurs, et que si Godefroi de Loi­ gny ne révélait pas la supercherie, personne ne s'en apercevrait.

On s'est même de­ mandé si cet épilogue n'était pas un pur et simple mensonge, une manière radicale pour Chrétien de prendre ses distances par rapport à un texte exécuté sur com­ mande, et dont il désapprouvait les orientations idéologiques.

Conclusion : Sans aller si loin, il reste que La Charrette pose de manière aiguë le problème de l'auteur au xne siècle : doit-on dire que c'est un roman de Chrétien de Troyes, alors que celui-ci en a confié l'achèvement à un continuateur obscur, et saisit par ailleurs toutes les occasions de se dis­ tancer de sa matière en désignant la comtesse de Champagne comme l'ins­ tigatrice de l'œuvre? Faut-il parler de composition collégiale, à laquelle participent, pour ainsi dire à parts égales, le commanditaire, l'auteur au sens moderne du terme, et le continuateur ? Questions sans réponse, qui ne font que souligner l'ambiguïté du statut de l'écriture et de !'écrivain au Moyen Âge.. »

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