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La tirade du Roi (Le Roi se meurt de Ionesco): "Bonjour, Marie... Va donc les nettoyer"

Publié le 10/11/2010

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ionesco

LE ROI, à .Marie, puis à Marguerite.

 

 

 

Bonjour, Marie. Bonjour, Marguerite. Toujours là ? Je veux dire, tu es déjà là ! Comment ça va ? Moi ça ne va pas ! Je ne sais pas très bien ce que j’ai, mes membres sont un peu engourdis, j’ai eu du mal à me lever, j’ai mal aux pieds! Je vais changer de pan toufles. J’ai peut‑être grandi ! J’ai mal dormi, cette terre qui craque, ces frontières qui reculent, ce bétail qui beugle, ces sirènes qui hurlent, il y a vraiment trop de bruit. Il faudra tout de même que j’y mette bon ordre. On va tâcher d’arranger cela. Aïe, mes côtes! (Au Docteur.) Bonjour, Docteur. Est‑ce un lumbago ? (Aux autres,) J’attends un ingénieur... étranger. Les nôtres ne valent plus rien. Cela leur est égal. D’ailleurs, nous n’en avons pas. Pourquoi a‑t‑on fermé l’École Polytechnique? Ah, oui ! Elle est tom bée dans le trou. Pourquoi en bâtir d’autres puis qu’elles tombent dans le trou, toutes. J’ai mal à la tête, par‑dessus le marché. Et ces nuages... J’avais interdit les nuages. Nuages ! Assez de pluie. Je dis assez. Assez de pluie. Je dis : assez. Ah l Tout de même. Il recommence. Idiot de nuage. Il n’en finit plus celui‑là avec ces gouttes à retardement. On dirait un vieux pisseux. (A Juliette.)Qu’as‑tu à me regar der? Tu es bien rouge aujourd’hui. C’est plein de toiles d’araignées dans ma chambre à coucher. Va donc les nettoyer.

 

Le théâtre de l'absurde. Ionesco appartient à la génération de l'après-guerre, marquée par l'existentialisme et la pensée de Camus. Son œuvre appartient au théâtre de l'absurde et reflète la solitude de l'homme dans un univers dépourvu de sens, sans Dieu. Ce sentiment d'absurdité métaphysique se traduit d'abord, chez Ionesco, par une désarticulation du langage, comme dans La Cantatrice chauve, où le dialogue, reproduisant les phrases stéréotypées d'un manuel de conversation en langue étrangère, s'engloutit dans un déluge de lieux communs.

ionesco

« son Virgile travesti, franche caricature sans malice.

Ici, l'enjeu est grave et le ton semble «à côté», grimace du langage tragique.

Ionesco lui-même, qui se méfiait de toute sentimentalité, conseillait aux acteurs d'accentuer cettediscordance qui intensifie le tragique: «Sur un texte burlesque, un jeu dramatique. Sur un texte dramatique, un jeu burlesque.» Il faut imaginer cette scène jouée avec les jeux de scène parfois clownesques qui démentent ironiquement lepathétique de ce roi et le rendent plus poignant.

Ainsi, le roi change d'interlocuteur, fait varier sans crier gare lasituation d'énonciation jusqu'à aller s'adresser, suprême absurdité, aux...

nuages.

On imagine les gestes deBérenger, bien que Ionesco soit très avare de didascalies. Le roi, à la fois émouvant et comique, tragique et grotesque, dérisoire et pitoyable, prend une dimension tragiquetoute moderne. [3.

L'image d'un univers incohérent et en pleine dégradation] Cette dégradation du protagoniste s'accompagne en toile de fond de celle de tout un univers qui se détraque. [3.1.

Un univers de la négation] La tirade du roi dessine autour de lui un monde marqué par la négation.

La plupart de ses phrases sont à la tournurenégative, qui exprime un manque proche du néant: «ça ne va pas», «je ne sais pas...», « les nôtres ne valent plusrien...», « nous n'en avons pas...», «il n'en finit plus...».

Le royaume et l'univers même semblent se désagréger àl'image du roi. [3.2.

Le détraquement du monde] Quand ce ne sont pas des négations, ce sont les mots de l'incertitude qui les relaient, — tels que « peut-être », «on dirait...

» — ou encore les interrogations sans réponse («Pourquoi...? Pourquoi ?...

»). La tirade abonde de termes péjoratifs qui signalent un total dérèglement du royaume: sont touchés les minéraux («la terre qui craque»), le règne animal représenté par la métonymie du «bétail qui beugle» et qui laisse la place auxanimaux symboles de malheur, tels que les «araignées», les êtres humains (il n'y a plus d'ingénieurs), enfin par lesinventions de la civilisation (« les sirènes qui hurlent») et les institutions du savoir, l'élite intellectuelle qui pourraitassurer la relève: «L'École Polytechnique est tombée.» L'ensemble donne l'image d'un monde cacophonique d'où l'harmonie a disparu, remplacée par un concert dehurlements et de « bruit » trop intenses. [3.3.

La contagion du malaise au monde] Au-delà du royaume, c'est l'univers entier qui semble en proie au malaise, qui devient absurde.

La tirade de Bérengerse termine par une sorte d'invocation dérisoire aux nuages désobéissants face à la mégalomanie malade du roi, quimarque le malaise de tout l'univers autour de lui.

Bérenger en est réduit à revenir à des «sujets» plus faciles, bienque récalcitrants: les «araignées» dont les toiles viennent enserrer le palais de toutes parts et qui «repoussent»obstinément, comme un sort qui s'acharne. [Conclusion] En dénaturant la tragédie et ses nobles personnages, en mélangeant les registres pour mieux faire comprendre letragique de la destinée humaine à laquelle même les rois ne peuvent échapper, Ionesco donne au théâtre un tonmoderne bien loin de l'emphase que Diderot déplorait dans les pièces classiques.

Mais au fond, il n'en renonce paspour autant à la convention dramatique qui veut que le langage sur scène ait un «ton poétique».

Il s'agit seulementd'un nouveau type de poésie. »

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