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La Tombe de Chateaubriand

Publié le 12/02/2012

Extrait du document

chateaubriand

Flaubert décrit, se souvient, rêve icl, plus qu'il ne juge. Il a voyagé, en 1846, avec son ami Maxime du Camp, à travers la Bretagne. Leurs impressions et souvenirs ont été cmisignés en un volume : Par les Champs et par les Grèves. Détail assez bizarre : Flaubert s'est réservé les chapitres impairs; à du Camp sont échus les chapitres pairs. Le tombeau du Grand Bey est encore vide; Chateaubriand n'y sera déposé que deux ans plus tard : il vit, dans une solitude morose et chagrine....

Ces textes sont l'oeuvre de deux de nos .meilleurs prosateurs du XIXe siècle. Ils se rapportent à celui que l'on a appelé «il duce, il maestro«, le chef et le maître de tous les grands écrivains de ce temps : Chateaubriand. lis représentent deux hommes, deux opinions, deux styles presque diamétralement opposés; c'est dire quel intéret offre leur analyse....

chateaubriand

« exactement; en bon naturaliste, .qui objective le plus possible ses sensations. Tout le premier alinea est, a cet egard, on ne peut plus concluant.

C'est une froide analyse, un inventaire ou ne figurent toutefois que des particularites significatives : les unes tendent a representer la realite en ce qu'elle a d'exceptionnel; les autres nous acheminent vers l'ame de Rene.

Dans le second alinea s'eveille le romantique : apres la description pure, la pens& et le rave.

Nest -ce point la tout l'ecrivain? «Il y a en moi, litterai- rement parlant, ecrivait-il en 1852, deux bonshommes distinctsun qui est epris de gueulades, de lyrisme, de grands vols d'aigle, de toutes les sonorites de la phrase et des sommets de l'idee; un autre qui creuse et qui fouille le vrai tant qu'il peut, qui aime a accuser le petit fait aussi puissamment que le grand, qui voudrait vous faire sentir presque materiellement les choses qu'il reproduit.

» Et que Tlense-t-il de Chateaubriand? Quels raves lui suggere ce tombeau solitaire? Il note d'abord que rile est deserte.

Et il pense que la vie du maitre, elle aussi, fut « deserte des autres et tout entouree d'orages ».

Seuls ces mots ont quelque apparence de jugement.

Encore I'auteur se borne-t-il a cons- tater.

Il ne pousse pas plus loin, ne recherche pas les causes de cette solitude morale, de cette eternelle inquietude.

Il se defend d'être un moraliste.

Sa pensee est courte.

Par contre, il est tres capable de s'evader de ce reel sur lequel it s'appuie, pour se perdre dans la reverie.

Son imagination est puis- sante, enorme.

Il voit 4 les vagues avec les siecles », bondissant aux pieds de Rene; it apercoit les voiles revenant d'Amerique, les hirondelles taut aimees lui rapportant la volupte melancolique des horizons barites par le voyageur, et la caresse des larges brises; it assiste a Ia lente dispersion du cceur de Rene.

Et cela n'est plus du realisme : c'est du lyrisme pur. Ce texte est done un echantillon complet du style, ou plutot des deux styles de Flaubert.

Quand it decrit, quand it peint, il est la precision meme, poussee jusqu'a la minutie.

II s'efforce de 4 representer » vivement ce qu'il a sous les yeux. II y met une sorte de rudesse, de brutalite, de erudite, ou, si l'on veut, de negligence affectee.

4 II y a sur le sommet, une casemate delabree...

» L'ilot portait jadis un Fortin; et la casemate en ruines logeait un canon au temps de Duguay-Trouin.

La cour qui Vend& est, elle aussi, deflnie : « ses vieux murs s'ecroulent »...

« En dessous de ces debris »...

« on a coupe a meme Le tombeau est «fait de trois morceaux ».

« II dormira la-dessous...

3 Le procede reparait a chaque ligne; ce n'est pas impuissance a trouver des termes plus beaux, mais savant calcul.

La desolation sauvage du lieu est, semble-t-il, plus vigoureusement rendue par ces expressions populaires, abruptes.

Le 4 naturaliste » entend bien ne point trahir la realite, mais la peindre nue, telle quelle.

L'artiste, par ailleurs, n'abdique pas ses droits : it se reserve de 4 choisir ».

De la sorte, ces details nous renseignent avec exac- titude et concourent tous a une impression d'ensemble : solitude au milieu des Hots, sauvagerie primitive du site, simplicite orgueilleuse de la tombe. Quand il se laisse alter au fil de la reverie, on croit entendre Chateau- briand lui-meme.

On dirait un pastiche.

L'imperturbable propriete des termes subsiste, ,mais toute raideur, toute aprete disparait.

Rien plus ne heurte ou l'oreille ou l'esprit; c'est de Ia musique, une sorte de berceuse, douce et puissante, digne de celui qui bientOt viendra sur ce rocher, dormir son dernier somme.

Ces phrases, fortement, amplement rythmees, ont, a coup stir, passé par le « gueuloir » de l'ermite de Croisset.

On ne se lasse pas de les relire, ou mieux de les redire: 1 Les vagues avec les siecles murmureront longtemps autour de ce grand souvenir...

» ou celle-ci, qui peint, par le balan- cement des mots, le va-et-vient de la maree : « Et les jours ainsi s'ecoulant, pendant que les Hots de la grave natale iront se balancant toujours entre son berceau et son tombeau...

» Quant an point d'orgue final, il est d'une majeste souveraine et semble se prolonger jusque dans l'eternite : « Le cur de Rene - ce « demon » ardent comme I'enfer - devenu froid - antithese romantique - lentement, s'eparpillera dans le 'leant, au rythme sans fin de cette musique eternelle...

» Il ne nous parait guere possible de faire rendre davantage aux mots et aux phrases, de les plier plus docilement a un dessein; de les transformer en une melodie et une harmonie plus expressives. Et nous sommes amenes a conclure : « Ces lignes sont le digne hommage rendu par un homme de lettres qui ne veut titre que cela, qui se flatte d'igno- rer tout le reste, a celui qui fut son initiateur et qui reste son modele.

» exactement; en bon.

naturaliste, qui objective .le plus possible ses sensations.

Tout le premier ali~éa est,, à cet égard, on ne peut J?lus concluant.

~'est ~~e froide analyse, un mventaire ou ne figurent toutefois que des particularites significatives : les unes tendent à ·représenter la réalité en ce qu'eUe a d'exceptionnel; les autres nous acheminent vers l'âme de René.

Dans le second alinéa s'éveiile le romantique : après la description pure, la pensée et le rêve.

N'est-ce point là tout .J'écrivain'? «Il y a en moi, littérai­ rement parlant, écrivait-il en 1852, deux bonshommes distincts, ,un qui est épris de gueulades, de lyrisme, de grands vols d'aigle, de toutes les sonorités de la phrase et des sommets de l'idée; un autre qui creuse et qui fouille le vrai tant qu'~l peut, qui aime ~ accuse!' le petit fait a~s.si puissamment que le grand, qm voudrait vous fmi'e senhr presque materiellement les choses qu'il reproduit.

» · Et que pense-t-il de Chateaubriand'? Quels rêves lui suggère ce tombeau solitaire? Il note d'abord que l'île est déserte.

Et il pense que la vie du maître, elle aussi, fut «déserte des autres et tout entourée d'orages ».

Seuls ces mots ont quelque apparence de jugement.

Encore l'auteur se borne-t-il à cons­ tater.

Il ne pousse pas plus loin, ne recherche pas les causes de cette solitude morale, de cette éternelle inquiétude.

Il se défend d'être un moraliste.

Sa pensée est courte.

Par contre, il est très capable de s'évader de ce réel sur lequel il s'appuie, pour se perdre dans la reverie.

Son imagination est puis­ sante, énorme.

Il voit « les vagues avec les siècles », bondissant aux pieds de René; il aperçoit les voiles revenant d'Amérique, les hirondelles tant aimées .lui rapportant la volupté mélancolique des horizons hantés par le voyageur, et la caresse des larges brises; il assiste à la lente disperswn du cœur de René.

Et cela n'est plus du réalisme : c'est du lyrisme pur.

Ce texte est donc un échantillon complet du style, ou plutôt des deux styles de Flaubert.

Quand il décrit, quand il.

peint, il est la précision même, poussée jusqu'à la minutie.

Il s'efforce de « représenter » vivement ce qu'il a sous les yeux.

Il y met une sorte de rudesse, de brutalité, de crudité, ou, si l'on veut, de négligence affectée.

« Il y a sur le sommet, une casemate délabrée ...

» L'îlot portait jadis un fortin; et la casemate en ruines logeait un canon au temps de Du~uay-Trouin.

La cour qui l'enclôt est.

elle aussi, définie : « ses vieux murs s écroulent » ...

« En dessous de ces débris » ...

« on a coupé à même » ...

Le tombeau est « fait de trois morceaux ».

« Il dormira là-dessous ...

» Le procédé reparaît à chaque ligne; ce n'est pas impuissance à trouver des termes plus beaux, mais savant calcul.

La désolation sauvage du lieu est, semble-t-H, plus vigoureusement rendue par ces expressions populaires, abruptes.

Le « naturaliste » entend bien ne point trahir la réalité, mais la peindre nue, telle quelle.

L'artiste, par ailleurs, n'abdique pas ses droits : il se réserve de « choisir ».

De la sorte, ces détails nous renseignent avec exac­ titude et concourent tous à une imJ?ression d'ensemble : solitude au milieu des flots, sauvagerie primitive du site, simplicité orgueilleuse de la tombe.

Quand il se laisse aller au fil de Œa rêverie, on croit entendre Chateau­ briand lui-même.

On dirait un pastiche.

L'imperturbable propriété des termes subsiste, mais toute raideur, toute âpreté disparaît.

Rien plus ne heurte ou l'oreille ou l'esprit; c'est de ~a musique, une sorte de berceuse, douce et puissante, digne de celui qui bientôt viendra sur ce rocher, dormir son dernier somme.

Ces phrases, fortement, amplement rythmées, ont, à coup sûr, passé par le « gueuloir » de l'ermite de.

Croisset.

On ne se lasse pas de les relire, ou mieux de les redire: «Les vagues avec les siècles murmureront longtemps autour de ce grand souvenir ...

» ou celle-ci, qui peint, par Je balan­ cement des mots, le va-et-vient de la marée : «Et les jours ainsi s'écoulant, pendant que les flots de la grève natale iront se balançant toujours entre son berceau et son tombeau ...

» Quant au point d'orgue final, il est d'une majesté souveraine et semble se prolonger jus~ue dans l'éternité : « Le cœur de René - ce « démon » ardent comme l enfer - devenu froid - antithèse romantique -lentement, s'éparpillera dans le néant, au rythme sans fin de cette musique éternelle ...

» Il ne nous paraît guèr-e possible de faire rendre davantage aux mots et aux phrases, de les plier plus docilement à un dessein; de les transformer en une mélodie et une harmonie plus expressives.

Et nous sommes amenés à conclure : « Ces lignes sont le digne hommage rendu par un homme de lettres qui ne veut être que cela, qui se flatte d'igno­ rer tout le reste, à celui qui fut son initiateur et qui reste son modèle.

». »

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