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L'arrestation de Vautrin («Bientôt le silence... regarda sa perruque», pp. 262-264) - Le père Goriot de Balzac

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

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- Ah ! ma foi, dit Bianchon, mademoiselle Michonneau parlait avant-hier d'un monsieur surnommé Trompe-la-Mort ; ce nom-là vous irait bien. Ce mot produisit sur Vautrin l'effet de la foudre : il pâlit et chancela, son regard magnétique tomba comme un rayon de soleil sur mademoiselle Michonneau, à laquelle ce jet de volonté cassa les jarrets. La vieille fille se laissa couler sur une chaise. Poiret s'avança vivement entre elle et Vautrin, comprenant qu'elle était en danger, tant la figure du forçat devint férocement significative en déposant le masque bénin sous lequel se cachait sa vraie nature. Sans rien comprendre encore à ce drame, tous les pensionnaires restèrent ébahis. En ce moment, l'on entendit le pas de plusieurs hommes, et le bruit de quelques fusils que des soldats firent sonner sur le pavé de la rue. Au moment où Collin cherchait machinalement une issue en regardant les fenêtres et les murs, quatre hommes se montrèrent à la porte du salon. Le premier était le chef de la police de sûreté, les trois autres étaient des officiers de paix. - Au nom de la loi et du roi, dit un des officiers dont le discours fut couvert par un murmure d'étonnement. [Le texte à commenter commence ici.] Bientôt le silence régna dans la salle à manger, les pensionnaires se séparèrent pour livrer passage à trois de ces hommes qui tous avaient la main dans leur poche de côté et y tenaient un pistolet armé. Deux gendarmes qui suivaient les agents occupèrent la porte du salon, et deux autres se montrèrent à celle qui sortait par l'escalier. Le pas et les fusils de plusieurs soldats retentirent sur le pavé caillouteux qui longeait la façade. Tout espoir de fuite fut donc interdit à Trompe-la-Mort, sur qui tous les regards s'arrêtèrent irrésistiblement. Le chef alla droit à lui, commença par lui donner sur la tête une tape si violemment appliquée qu'il fit sauter la perruque et rendit à la tête de Collin toute son horreur. Accompagnées de cheveux rouge brique et courts qui leur donnaient un épouvantable caractère de force mêlée de ruse, cette tête et cette face, en harmonie avec le buste, furent intelligemment illuminées comme si les feux de l'enfer les eussent éclairées. Chacun comprit tout Vautrin, son passé, son présent, son avenir, ses doctrines implacables, la religion de son bon plaisir, la royauté que lui donnaient le cynisme de ses pensées, de ses actes, et la force d'une organisation faite à tout. Le sang lui monta au visage, et ses yeux brillèrent comme ceux d'un chat sauvage. Il bondit sur lui-même par un mouvement empreint d'une si féroce énergie, il rugit si bien qu'il arracha des cris de terreur à tous les pensionnaires. A ce geste de lion, et s'appuyant de la clameur générale, les agents tirèrent leurs pistolets. Collin comprit son danger en voyant briller le chien de chaque arme, et donna tout à coup la preuve de la plus haute puissance humaine. Horrible et majestueux spectacle ! sa physionomie présenta un phénomène qui ne peut être comparé qu'à celui de la chaudière pleine de cette vapeur fumeuse qui soulèverait des montagnes, et que dissout en un clin d'oeil une goutte d'eau froide. La goutte d'eau qui froidit sa rage fut une réflexion rapide comme un éclair. Il se mit à sourire et regarda sa perruque.
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« Le choix dramatique de l'encerclement L'encerclement, première étape de cette mise en scène, se repère aisément dans le lexique et met en valeur lepersonnage de Vautrin. Encerclement auditif d'abord, en deux étapes, dont la première avant le début du texte : «En ce moment, Vonentendit le pas de plusieurs hommes et le bruit de quelques fusils que les soldats firent sonner sur le pavé de larue».

Les agents ne sont guère discrets, mais ils le font exprès, le narrateur ayant ses raisons.

Peu après, le cerclese resserre, les bruits se rapprochent : «Le pas et les fusils de plusieurs soldats retentirent sur le pavé caillouteuxqui longeait la façade», c'est-à-dire dans le jardin.

Collin décidément aura été prévenu ! Encerclement visuel ensuite, la place est investie : «quatre hommes se montrèrent à la porte du salon...» Ilsentrent, «les pensionnaires se séparèrent pour livrer passage à trois de ces hommes...».

D'autres paraissent auxissues : «Deux gendarmes qui suivaient les agents occupèrent la porte du salon, et deux autres se montrèrent àcelle qui sortait par l'escalier».

La souricière s'est refermée.

Huit agents dans la maison, plus toute une escouadedans la rue et le jardin ! Tant d'hommes contre un seul, cela ajoute à la redoutable auréole du forçat. L'encerclement a une fonction théâtrale : grâce à ces assaillants nombreux, dont l'emprise se resserre, un cerclescénique est délimité autour de Vautrin, un espace clos comme au théâtre, avec en son centre deux protagonistes,le forçat et le chef de la sûreté, des comparses, les soldats, et un rang de spectateurs, les pensionnaires, figésdans l'attention, comme à l'instant du lever de rideau : «Bientôt le silence régna dans la salle à manger...» Cetteexcellente mise en scène est la seule possible.

Imaginons moins de soldats, des trous dans les mailles du filet, lafuite de Jacques Collin, la poursuite dans le jardin et c'était le fiasco, le narrateur manquait sa grande scène, lespectacle se diluait hors de vue dans des lieux multiples ! La stature du personnage est maintenue intacte grâce à l'encerclement : Collin reste immobile, mais exonéré dureproche de pusillanimité ; il ne pouvait rien faire, « Tout espoir de fuite fut donc interdit à Trompe-la-Mort».

Non, lemaître de l'évasion n'a pas failli à sa réputation ; son prestige et son audace demeurent.

Maintenant tout est enplace pour l'affrontement décisif. Le dévoilement et l'illumination Dans cette phase, la scène se resserre autour du personnage principal et du coup de théâtre. L'affrontement de deux figures représentatives, le chef de la police qui s'avance face au patron des forçats, donneà la scène son intensité et sa signification symbolique.

Ce face à face est lourd de sens entre les championséminents des forces sociales antagonistes la loi et le crime, l'ordre et la révolte, le Bien et le Mal.

Une hostilitéconcentrée s'exprime par la brutalité du geste : «Le chef alla droit à lui, commença par lui donner sur la tête unetape si violemment appliquée...» ; par là, le spectacle bascule soudain dans l'univers policier, où les rapports avecles criminels sont de force brute. La vérité éclate visuellement comme le visage d'un comédien sous le halo du projecteur.

Deux notions ici, et d'abordcelle de révélation lumineuse, tout devient clair instantanément, «cette tête et cette face...

furent intelligemmentilluminées...» Ensuite s'impose une présence diabolique : «cheveux rouge brique...

comme si les feux de l'enfer leseussent éclairés».

Cette apothéose dans la défaite fait penser au Don Juan de Molière «s'abîmant au milieu degrands éclairs».

L'expression du visage est effrayante en effet par l'abîme qu'on y découvre : «un épouvantablecaractère de force mêlée de ruse». La complète lisibilité de cette physionomie s'affiche alors avec une aveuglante évidence : «Chacun comprit toutVautrin...» Analysons avec précision tout ce que le narrateur nous donne à comprendre : l'unité d'une existence, laconstance de l'être à travers le temps : «son passé, son présent, son avenir» ; les convictions de l'homme : «sesdoctrines implacables» (le théoricien de l'ordre social) ; son égoïsme exacerbé : «la religion de son bon plaisir», pasd'autre dieu que lui-même ; sa volonté de puissance : «la royauté que lui donnait le cynisme de ses pensées» ;enfin, au service du moi, un don primordial : «la force d'une organisation faite à tout».

Au théâtre, comprendre c'estvoir : pensionnaires et lecteurs, tous spectateurs, nous avons tout compris en effet d'un seul regard. L'expression de la force Alors même qu'il est aux mains des policiers qui l'ont démasqué, Vautrin-Jacques Collin demeure le personnage fortde la scène. Tout un jeu de métaphores est mis en œuvre pour exalter la force physique de Collin survolté par le danger ; cesmétaphores sont empruntées au registre noble de la colère animale.

Vautrin devient un grand fauve : «ses yeuxbrillèrent comme ceux d'un chat sauvage...

il rugit si bien qu'il arracha des cris de terreur...

A ce geste de lion...»Substantifs, verbes et épithètes, toutes les ressources du lexique montrent un homme hors de la sphère humainepar la puissance sauvage qui émane de lui. Le temps du récit est le passé simple pour marquer la vivacité, les actions brèves, l'irruption des surprises visuelles.. »

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