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L'art et le style de STENDHAL dans « Rouge et Noir »

Publié le 14/03/2011

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stendhal

Le Rouge et Noir est une grande œuvre d'art, dont rien dans les précédents écrits de Stendhal n'avait fait pressentir l'éclosion prochaine. Peu de romans donnent une aussi complète illusion de réalité. Je défie celui qui commence à la lire de ne pas aller jusqu'au bout de sa lecture, de ne pas se prendre à l'intérêt qui s'en dégage, comme s'il assistait à un drame de la vie, à une bataille ou à un duel. Et pourtant, quand, arrivé à la dernière page, on referme le livre, quand on réfléchit à ce qu'on a lu, on s'aperçoit qu'il s'y mêle beaucoup de romanesque et d'assez fortes invraisemblances, du moins dans le tome second. Je n'en vois guère dans le premier, sauf une peut-être. Julien, au moment où il entre chez les Rénal, est en somme un ignorant; quelques leçons de théologie qu'il a reçues de l'abbé Chélan, quelques leçons de latin que lui a données un vieux médecin militaire, et le peu qu'il a pu apprendre dans une quarantaine de volumes à lui légués par ce dernier, voilà tout son bagage scolaire; et sous sa direction ses deux élèves n'en font pas moins, nous dit-on, des progrès étonnants. 

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« la parenté des deux drames saute aux yeux.

De l'un à l'autre, les personnages principaux correspondent exactement: Antoine Berthet et Julien Sorel, le ménage Michaud et le ménage de Rénal, M.

de Cordon et M.

de La Môle, MlleCordon et Mathilde.

Les épisodes sont à peine transposés, la double entreprise de séduction, la dénonciation de laservante, le séminaire, le meurtre à l'église, le jugement, l'exécution.

» Il faudrait même ajouter que dans le roman,la lettre accusatrice de Mme de Rénal à M.

de La Môle provoque le dénouement sanglant, ainsi qu'avait fait dans lecas de Berthet la lettre de Mme Michaud à M.

de Cordon. Il y aurait à noter bien d'autres figures et d'autres faits que Stendhal a pris dans la vie, non plus dans celle deBerthet, mais dans la sienne.

Il avait connu un abbé Chélan, une Mme Derville, le géomètre Gros, le philanthropeAppert, auxquels il a conservé leurs vrais noms, le libraire Falcon qui, sous sa plume, devient Falcoz, et ce Napolitainsurvivant à une condamnation à mort, Di Fiori, qui devient le comte Altamira.

Dans la Vie d'Henri Brulard, en parlantdu Dauphinois Michel Faure, jadis capitaine de la garde impériale et plus tard directeur du dépôt de mendicité àSaint-Robert près Grenoble, il dit : « J'ai fait de lui M.

Valenod dans le Rouge.

» Verrières a beau porter un nomfictif, les mœurs y sont celles qu'il avait observées et exécrées à Grenoble, et les paysages qui l'encadrent sontceux de son Dauphiné natal.

La faute d'orthographe, cella pour cela, qu'il prête au jeune secrétaire du marquis de LaMôle, est de celles qu'il faisait à dix-sept ans sous la dictée de Pierre Daru; et le prince Korasoff enseigne à l'amantde Mathilde cet art de réussir auprès des femmes auquel Martial Daru avait autrefois initié tant bien que mal le jeunesous-lieutenant du 6e Dragons.

Ce régiment se trouve être celui qui, défilant un jour dans les rues de Verrières,enivre de gloire militaire l'enfance de Julien Sorel.

S'étonne-t-on de voir apparaître chez les Rénal le chanteurGeronimo ? Geronimo n'est autre que Labache, l'illustre basse du Théâtre italien que Stendhal avait tant applaudidans le Matrimonio Segreto ; et il fallait bien, n'est-ce pas, qu'ici, de même que dans presque tous ses ouvrages, lecher Matrimonio Segreto eût sa place. Sans cesse, Stendhal s'inspire de ce qu'il a vu, de ce qu'il fait, de son expérience.

En analysant le trouble et leshésitations de Julien avant de saisir dans sa main celle de Mme de Rénal, il se rappelle les défis qu'il se portait à lui-même, le serment qu'il s'était fait de se brûler la cervelle si, dans un délai prescrit, il ne se déclarait pas à Menta ;en analysant les souffrances de Julien épris de l'orgueilleuse Mathilde, il n'oublie rien de ce que l'orgueil de MéthildeDembowski lui avait fait souffrir.

Quant à l'échelle qui sert tour à tour au jeune homme pour grimper chez Mme deRénal et chez Mlle de La Môle, si nous disons que Stendhal est allé la chercher dans Roméo et Juliette ou dansquelque conte italien, ne nous répondra-t-il pas qu'elle avait servi à la belle Menta pour le rejoindre au fond d'unecave et l'empêcher d'y mourir de faim ? Mais pour qu'un roman ait, comme on dit, l'air de la vie, il n'a jamais suffi qu'il fût bourré de faits authentiques, etd'ordinaire les pires de tous sont les romans à clés.

Si l'histoire qu'il nous conte dans Rouge et Noir nous semblevraie, c'est qu'elle l'était pour lui, c'est qu'il y croyait, c'est que, semblable en cela à l'abbé Prévost, à Balzac, àTolstoï, il était de bonne foi même lorsqu'il inventait.

Il aime les êtres qu'il nous présente, et ils ne vivent pour nousque parce qu'ils ont d'abord vécu dans son imagination.

Il a vécu leur vie, il s'est identifié à eux; il les voit agir, il lesentend penser et parler.

Il y a bien autre chose que lui-même dans Rouge et Noir, mais avant tout il y a lui, non pasprécisément tel qu'il a été mais tel qu'il a si longtemps souhaité d'être.

Ce Julien qui a le culte de l'énergie et quidomine les autres hommes, ce Julien qui est beau, qui est éperdument aimé, qui reste beau jusque dans la mort,c'est son fils chéri, son moi idéal, son rêve incarné, sa revanche de toutes les déceptions dont son existence avaitété faite.

En lui il se réalise.

Et c'est pourquoi le livre est si supérieur à tout ce qu'il avait produit jusqu'alors.Jusqu'alors il tâtonnait, il se cherchait et se dispersait.

Soudain, le procès Berthet est venu lui fournir l'occasion deramasser, de concentrer toute sa vie intérieure, tous ses songes d'action et de passion, en une œuvre d'art.

« Cequ'il n'était pas capable de faire, il l'a écrit.

» LE STYLE Il l'a écrit, mais, nous dit-on, en homme qui ne savait pas écrire, et rien n'est plus ordinaire que d'entendre critiquerson style.

Victor Hugo et Flaubert, entre autres, ne s'en sont pas fait faute, et il est vrai que sur ce chapitre lui-même ne se jugeait pas à l'abri de tout reproche. II existe un exemplaire interfolié de Rouge et Noir qui l'a suivi dans presque toutes ses allées et venues à partir de1830.

Il le relisait quand il n'avait pas autre chose à lire, et sur la feuille blanche, il inscrivait ses observations.Souvent elles lui sont favorables, et s'expriment en un : « Very well », ou en une comparaison tout à son avantageavec des contemporains plus goûtés que lui du grand public.

lia scène où Julien reste silencieux dans le jardin deVergy entre Mme de Rénal et Mme Derville lui suggère cette réflexion : « De quel style néologique et admiré GeorgeSand eût traduit tout ceci ! Le roman est-il une composition essentiellement éphémère ? Si vous voulez plaireinfiniment aujourd'hui, il faut vous résoudre à être ridicule dans vingt ans.

» Mais il lui arrive de se chercher chicane,de signaler des retouches en vue d'une réimpression : « Haché...

saccadé...

Mettre plus de nombre...

Ajouter desmots pour aider l'imagination à se figurer », etc. En fait, il n'a pas retouché son texte.

Peut-être estimait-il comme Hugo que pour un écrivain la seule manière de secorriger est de créer des œuvres nouvelles, et c'est ce qu'il a fait en écrivant la Chartreuse.

Il n'a paru de sonvivant qu'une seconde édition de Rouge et Noir, et sauf qu'elle forme six volumes in-12° au lieu de deux in-8°, elleest identique à la première. On peut évidemment lui reprocher des négligences, de fréquentes répétitions de mots, et même des fautes defrançais tout à fait indignes de lui :. »

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