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Le Bonheur de Henri de Regnier, Vestigia Flammae (commentaire)

Publié le 30/03/2011

Extrait du document

Si tu veux être heureux, ne cueille pas la rose Qui frôle au passage et qui s'offre à ta main ; La fleur est déjà morte à peine est-elle éclose, Même lorsque sa chair révèle un sang divin. N'arrête pas l'oiseau qui traverse l'espace ; Ne dirige vers lui ni flèche ni filet Et contente tes yeux de son ombre qui passe Sans les lever au ciel où son aile volait ; N'écoute pas la voix qui te dit : « Viens «. N'écoute Ni le cri du torrent, ni l'appel du ruisseau, Préfère au diamant le caillou de la route ; Hésite au carrefour et consulte l'écho. Prends garde... Ne vêts pas ces couleurs éclatantes Dont l'aspect fait grincer les dents de l'envieux ; Le marbre du palais, moins que le lin des tentes, Rend les réveils légers et les sommeils heureux. Aussi bien que les pleurs le rire fait des rides, Ne dis jamais : Encore, et dis plutôt : Assez... Le Bonheur est un Dieu qui marche les mains vides Et regarde la Vie avec des yeux baissés. Henri de Regnier, Vestigia Flammae, (1864-1936)  

Faites un commentaire composé de ce poème en montrant comment, par une évocation concrète de la nature et des gestes habituels des êtres, l'auteur définit de façon symbolique le bonheur humain.   

« « N'écoute pas la voix qui te dit : « Viens ».

N'écoute Ni le cri du torrent, ni l'appel du ruisseau » (v 9 et 10), la tentation est partout, elle trompe l'homme sur les vraiesvaleurs et cherche à l'égarer.

Henri de Regnier reprend ainsi la vieille métaphore chrétienne et morale du carrefour,symbolisant le choix entre la voie du Mal, attirante, séduisante et finalement dangereuse qui s'oppose à la voie duBien, rebutante d'aspect, mais gratifiante. « Préfère au diamant le caillou de la route » (v 11), la nature par son débordement de vitalité est porteuse dedangers, elle contraste avec la sagesse mesurée prônée par le poète.

Tout ce qui relève de l'instinct, de la passion,bref de la nature, est également condamné chez l'homme. * Henri de Regnier blâme toutes les attitudes qui tendent à exacerber l'individualisme humain, que ce soit l'ambitionsociale, l'affirmation de soi, la recherche du bonheur dans l'instant et le dépassement : en un mot tout ce quiappelle une transgression de la norme, tout ce qui est excès. L'ambition sociale est flétrie comme le montre la quatrième strophe à travers les deux métaphores du vêtement etde l'habitation.

Les allusions font plutôt songer à l'antiquité gréco-latine, mais l'avertissement est intemporel.

Le poète prendrésolument le contre pied de l'adage populaire : « Mieux vaut faire envie que pitié ».

Les autres sont ici jaloux. « Prends garde...

Ne vêts pas ces couleurs éclatantes Dont l'aspect fait grincer les dents des envieux.

» (v 13 et14), on ne doit pas chercher à se distinguer des autres notamment par la possession des biens matériels.

Le riche apeur d'être dépouillé, il tremble pour ses richesses comme le puissant redoute de perdre le pouvoir. « Le marbre du palais, Moins que le lin des tentes Rends les sommeils légers et les réveils heureux » (v 15 et 16),l'homme ne doit pas se démarquer socialement des autres, il doit également masquer sa personnalité, ne pasl'affirmer avec éclat.

Henri de Regnier fait l'éloge de la discrétion de la modestie en recommandant aussi les couleursternes (v 13).

L'homme doit réfléchir avant toute décision, peser le pour et le contre.

Il ne doit céder ni à lapassion, ni à l'emportement : « Hésite au carrefour et consulte V écho » (v 12).

Même la joie est redoutable comme le souligne le vers 17 quiassimile les deux autonymes « joie » et « tristesse ». « Aussi bien que les pleurs le rire fait des rides » (v 17), il parait évident dans ces conditions que le but principal del'homme n'est pas la quête du bonheur, du moins pas dans le sens où le mot est habituellement reçu.

Ainsi Henri deRegnier s'oppose à l'hédonisme, cette philosophie du bonheur, à laquelle on peut apparenter certains poèmes deRonsard.

La première strophe du poème de Regnier peut-être comprise comme l'inverse d'un « carpe diem ».

Cetteexpression latine signifie « cueille le jour ».

Le bonheur est éphémère, les fleurs, les femmes, les sentimentsmeurent, aussi faut-il profiter, instant après instant, des joies fugaces qu'offre le vie.

C'est la leçon de nombreuxsonnets amoureux de Ronsard.

Citons la fin de « Mignonne allons voir si la rose » : « Cueillez, cueillez votre jeunesseComme à cette fleur, la vieillesse Fera ternir votre beauté » ou du non moins célèbre sonnet à Hélène « Quand vous serez bien vieille » : « Vivez si m'en croyez, n'attendez à demain Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie ».

Henri de Regnier part de la même constatation, la brièveté del'existence, de la beauté : « La fleur est déjà morte à peine est-elle éclose » (v 3), ce qui est le cadre narratif de « Mignonne allons voir...

», ilaboutit à une leçon de morale inverse. « Si tu veux être heureux, ne cueille pas la rose » (v 1). L'homme doit se satisfaire de sa condition, il ne doit pas en grandir les limites, ne chercher à les oublier dans leplaisir éphémère.

La passion, l'idéal, le rêve sont également proscrits.

La deuxième strophe par la métaphore filée del'oiseau évoque le mythe d'Icare et symbolise les aspirations humaines vers l'infini, lui aussi interdit à l'homme. « Et contente tes yeux de son ombre qui passe Sans les lever au ciel ou son aile volait » (v 7 et 8). Ni Icare, ni Prométhée, l'homme, de crainte d'irriter les hommes et les dieux, ne doit s'élever, se distinguer ou serebeller.

La sagesse est celle du juste milieu.. »

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