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Le Clézio - Désert - Le passage d'une caravane

Publié le 17/01/2022

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Ils étaient les hommes et les femmes du sable, du vent, de la lumière, de la nuit. Ils étaient apparus, comme dans un rêve, en haut d'une dune, comme dureté de l'espace. Ils portaient avec eux la faim, la soif qui fait saigner les lèvres, le silence dur où luit le soleil, les nuits froides, la lueur de la Voie lactée, la lune ; ils avaient avec eux leur ombre géante au coucher du soleil, les vagues de sable vierge que leurs orteils écartés touchaient, l'horizon inaccessible. Ils avaient surtout la lumière de leur regard, qui brillait si clairement dans la sclérotique de leurs yeux. Le troupeau des chèvres bises et des moutons marchait devant les enfants. Les bêtes aussi allaient sans savoir où, posant leurs sabots sur des traces anciennes. Le sable tourbillonnait entre leurs pattes, s'accrochait à leurs toisons sales. Un homme guidait les dromadaires, rien qu'avec la voix, en grognant et en crachant comme eux. Le bruit rauque des respirations se mêlait au vent, disparaissait aussitôt dans les creux des dunes, vers le sud. Mais le vent, la sécheresse, la faim n'avaient plus d'importance. Les hommes et le troupeau fuyaient lentement, descendaient vers le fond de la vallée sans eau, sans ombre. J.-M.G. Le Clézio, Désert, 1980. Dans un commentaire composé, vous pourrez étudier par exemple comment ce texte, par ses qualités poétiques, suggère le déroulement de la marche et ce qui fait le drame et la grandeur de la vie dans le désert. Introduction: Nous avons ici en apparence un texte descriptif : le passage d'une caravane. Pourtant, la description laisse une impression bizarre. Elle ne paraît jamais circonstancielle, factuelle. Elle a en même temps l'allure et la valeur d'une méditation générale qui n'est pas sans faire penser (par la facture, le rythme, la valeur symbolique des détails, et non par le cadre évoque, évidemment) à certains poèmes en prose (Baudelaire, mais sans l'humour ; le Rimbaud des Illuminations, mais sans l'imaginaire...). Cela tient au fait que l'auteur gomme systématiquement tout pittoresque, tout caractère individuel, non pas pour créer un effet choral à proprement parler, une sorte d'unanimisme, mais pour insister sur le caractère de fusion organique entre ces hommes et cet espace. Les personnages sont donc l'expression des lois impitoyables du désert ; ils sont modelés par son caractère brut, violent, élémentaire — au sens où ce décor ne contient que les données élémentaires de l'espace : lumière, nuit, silence, sable, vent... Presque pas de contours, une quasi-abstration, s'il n'y avait justement les hommes, avec leur drame sobre, les besoins premiers : la faim, la soif, la marche, substitués à la psychologie. D'où la nécessité d'étudier ce qui fait 1 âpreté du paysage, et la manière dont l'auteur y met en place le mouvement.

« sable, aux creux des dunes, au fond de la vallée : haut / bas ; crêtes / fond ; tout au plus des ondulations, unmouvement général du décor.• De la même façon on est frappé par le peu de matière, à la fois uniforme et désagrégée : le sable vierge (avec uneconnotation de stérilité) ; on verra de même à la fin que la vallée (habituellement douce et accueillante) est sanseau et sans ombre, donc tout le contraire du locus amoenus.

En tant que matière, ce lieu présente les caractèresde l'inhospitalité radicale.• Tout le reste est impalpable : le vent ; la lumière du soleil, de la lune ou de la voie lactée ; la nuit ; le silence ;l'ombre des hommes traitée comme un phénomène céleste (elle est géante au coucher du soleil) plutôt que commela projection d'une matérialité); l'horizon inaccessible.• Les contrastes : cette dématérialisation du paysage est en fait «radicalisation », élimination de toute douceur etde tout pittoresque au profit d'une pureté élémentaire.

Les contrastes tranchés renforcent cette rigueur d'absolu :« ils étaient les hommes ...

de la lumière, de la nuit » ; « le silence dur où luit le soleil, les nuits froides»; «fuyaientlentement » ; ou encore, de manière plus subtile : « Ils avaient surtout la lumière de leur regard, qui brillait siclairement dans la sclérotique de leurs yeux ».

Si l'on se souvient que la sclérotique est le blanc de l'oeil et que lesnomades doivent avoir les yeux noirs, on s'aperçoit que cette pupille sombre brille clairement par rapport à lablancheur !• La dureté.

Enfin, toute une série de qualificatifs évoque directement cet aspect impitoyable : « ils avaient dansleurs membres la dureté de l'espace » ; « la soif qui fait saigner les lèvres, le silence dur ...

les nuits froides » ; « lebruit rauque des respirations » ; « la vallée sans eau, sans ombre ».• De même, toute sentimentalité, toute psychologie, est exclue de la vie des nomades.

Celle-ci se réduit à desbesoins également élémentaires : la soif, la faim, le froid, qui expliquent cette fuite en avant à laquelle ils sontlivrés. III.

L'errance. • Ses étapes : la course lente des nomades est jalonnée, dans la progression du texte, par une série de points derepère.

Dans la 2' phrase, « ils étaient apparus»; puis dans le 2, paragraphe, le troupeau marchait, les bêtesallaient; un homme guidait les dromadaires ; le bruit des respirations disparaissait vers le sud (paradoxalementcomme pour s'enfoncer davantage dans le désert) ; les hommes et le troupeau fuyaient, descendaient.• Les seules notations physiques particulières concernent les organes de la marche : orteils des nomades et sabotsdes bêtes ; ou plus indirectement les borborygmes du guide qui entraîne les chameaux ; ou la fatigue (les membresmarqués par la dureté de l'espace).• Enfin, il faut noter que le mouvement est illimité, inscrit dans un «horizon inaccessible », effectué dans l'absencede buts précis : les bêtes « allaient sans savoir où » ; « le vent, la sécheresse, la faim n'avaient plus d'importance »; le fait d'aller non vers une oasis mais vers une vallée stérile... Conclusion Au fond, le texte apparaît comme une vision à la fois terrible, bouleversante et éphémère, entre une apparition (audébut) et une disparition (« disparaissait aussitôt »).

Englouti par la vallée, le cortège paraît sorti du désert pourretourner au désert.

Il est composé en somme par des personnages qui sont à la fois ceux de l'absolu et ceux dunéant.. »

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