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Le motif de la charrette

Publié le 23/12/2019

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Chrétien de Troyes n'a pas intitulé son roman Lancelot, mais Le Chevalier de la charrette1 (v. 24 et 7103). Or ses lecteurs connaissaient Lancelot du Lac : il appartenait à une légende déjà établie, et son nom figure dans Érec et Énide. Comment deviner qu'un personnage aussi célèbre se cache derrière une formule aussi énigmatique? En outre, ce titre renferme un oxymore2 : une charrette ne saurait être compatible avec la dignité chevaleresque. La lecture du roman amènera la résolution du suspense (par la révélation du nom de Lancelot, au vers 3660) et la justification du scandale (par la morale courtoise, selon laquelle l'amour entraîne le sacrifice des valeurs sociales). En insistant sur le motif de la charrette, le titre laisse entendre qu'il ne s'agit pas d'un accessoire secondaire, mais d'un élément essentiel qui fonde l'identité du héros et le sens du roman. Or la signification de ce motif a donné lieu, chez les commentateurs, à trois hypothèses : certains lui attribuent une origine celtique3, d'autres lui donnent une valeur christique, d'autres enfin y voient un symbole courtois. 

« (une roue sur laquelle on attachait les suppliciés), c'est une marque d'infamie, réservée aux traîtres ou aux assassins, aux vaincus en champ clos 1 et aux voleurs[ ...

] (v.

328-330).

La présence du nain, qui passait pour avoir des accointances avec les divinités infernales, suggère aussi un rapprochement avec un autre motif celtique, le char de la mort.

En effet.

dans une légende galloise, le dieu Maelwas enlève la reine Guenièvre chaque premier mai et l'emmène au royaume de la Mort.

Dans Le Chevalier de la charrette, le personnage de Méléagant pour­ rait être une incarnation de ce dieu.

Car le nain qui conduit la charrette a pour mission de guider Lancelot sur les traces de la reine, dans le royaume «dont ne revient nul étranger» (v.

641 ).

Comme le char de la mort, la charrette présage le malheur.

Celui qui la rencontre doit se signer pour conjurer le mauvais sort.

Un dicton le rappelle: quand charrette verras et rencontreras, fais sur toi le signe de croix et pense à Dieu, qu'il ne t'arrive malheur! (v.

341-344).

Mais, pour séduisante qu'elle soit, la lecture celtique ne s'accorde pas avec tout le roman, et appelle des réserves.

Les éléments qui réfutent cette thèse Si la charrette est un char de la mort, présenté à un héros appelé à franchir les frontières de l'Autre Monde, on ne voit pas pourquoi elle le disqualifierait.

Au contraire, elle devrait le couvrir de gloire: accepter d'y monter, c'est montrer qu'on n'a pas peur de la mort, et qu'on est prêt à affronter les puis­ sances infernales.

Or Lancelot encourt par ce geste une dis­ grâce soulignée tout au long du roman.

Déshonoré, il doit subir le mépris des populations qu'il croise.

Il est conspué par les habitants du château au lit défendu (v.

402-417) et injurié par le gardien du Passage des Pierres (v.

2214-2219).

Il a choisi de s'humilier dans des conditions que nul autre 1.

En duel judiciaire.

'126. »

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