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Le privilège des grands, c’est de voir les catastrophes d’une terrasse. Giraudoux in La Guerre de Troie n’aura pas lieu.

Publié le 19/03/2020

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giraudoux

«ulysse. — Vous êtes jeune, Hector!... A la veille de toute guerre, il est courant que deux chefs des peuples en conflit se rencontrent seuls dans quelque innocent village, sur la terrasse au bord d’un lac, dans l’angle d’un jardin. Et ils conviennent que la guerre est le pire fléau du monde, et tous deux, à suivre du regard ces reflets et ces rides sur les eaux, à recevoir sur l’épaule ces pétales de magnolias, ils sont pacifiques, modestes, loyaux. Et ils s’étudient. Ils se regardent. Et, tiédis par le soleil, attendris par un vin clairet, ils ne trouvent dans le visage d’en face aucun trait qui justifie la haine, aucun trait qui n’appelle l’amour humain, et rien d’incompatible non plus dans leurs langages, dans leur façon de se gratter le nez ou de boire. Et ils sont vraiment combles de paix, de désirs de paix. Et ils se quittent en se serrant les mains, en se sentant des frères. Et ils se retournent de leur calèche pour se sourire... Et le lendemain pourtant éclate la guerre... Ainsi nous sommes tous deux maintenant... Nos peuples autour de l’entretien se taisent et s’écartent, mais ce n’est pas qu’ils attendent de nous une victoire sur l’inéluctable. C’est seulement qu’ils nous ont donné pleins pouvoirs, qu’ils nous ont isolés, pour que nous goûtions mieux, au-dessus de la catastrophe, notre fraternité d’ennemis... Goûtons-la. C’est un plat de riches. Savourons-la... Mais c’est tout. Le privilège des grands, c’est de voir les catastrophes d’une terrasse. »

(acte II, scène 13)

«Ecoute-la, dit-il à Cassandre, sa sœur, à propos d’Hélène. Ecoute ce bloc de négation qui dit oui. Tous m’ont cédé. Pâris m’a cédé, Priam m’a cédé, Hélène me cède. Et je sens qu’au contraire, dans chacune de ces victoires apparentes, j’ai perdu. »

(acte I, scène 5)

 

«ULYSSE. — Nous parlons d’Hélène. Vous vous êtes trompés sur Hélène, Pâris et vous. Depuis quinze ans, je la connais, je l’observe. Il n’y a aucun doute. Elle est une des rares créatures que le destin met en circulation sur la terre pour son usage personnel. »

(acte II, scène 13)

«Et tous nos frères, et tous nos oncles, et tous nos arrière-grands-oncles!... Hélène a une garde d’honneur, qui assemble tous nos vieillards. Regarde. C’est l’heure de sa promenade... Vois aux créneaux toutes ces têtes à barbe blanche... On dirait les cigognes caquetant sur les remparts. »

(acte I, scène 4)

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« 19 • GUERRE (et fatalité) / 143 tous les vieillards de la pièce, il est fasciné par les charmes d'Hélène.

Hector doit donc s'entremettre auprès d'Hélène et même il menace de la tuer si elle ne consent pas à partir.

Conciliante, Hélène accepte; son oui n'engage en rien l'avenir, néanmoins.

Dotée du don de double vue, Hélène entrevoit-la suite des événements comme autant de « chro­ mos», de « scènes colorées» qui démentent les prévisions pacifistes d'Hector.

C'est illusoirement qu'Hector se prévaut d'avoir prise sur le cours de !'Histoire, ou mieux, du destin: il se heurte à la résistance sournoise et invincible d'un ordre qui le surpasse: «Ecoute-la, dit-il à Cassandre, sa sœur, à propos d'Hé­ lène.

Ecoute ce bloc de négation qui dit oui.

Tous m'ont cédé.

Pâris m'a cédé, Priam m'a cédé, Hélène me cède.

Et je sens qu'au contraire, dans chacune de ces victoires apparentes, j'ai perdu.» ( acte I, scène 5) Dès lors, tout au long de l'acte II, malgré les dénégations d'Hector relatives à la guerre («La guerre n'aura pas lieu», acte II, scène 5), malgré l'ordre, mis à exécution mais bientôt désavoué, de fermer les portes de la guerre (symbole de la paix annoncée), l'échéance de la guerre, de plus en plus sensible, va de pair avec l'impuissance accrue de cet homme raisonnable.

Quand Ulysse, ambassadeur plénipotentiaire des Grecs, s'entretient avec lui, en principe pour lui réclamer Hélène, on pressent d'emblée que la rencontre au sommet, commandée par le protocole, n'est que l'ultime répit avant l'affrontement.

Chacun des deux hommes, au demeurant, se déclare exempt de haine et d'esprit belliqueux, tout à la fois juge et partie.

Nous assistons à une «pesée» des chances qui ne tourne à l'avantage d'Ulysse que pour autant que celui-ci, à son corps défendant, est investi de la puissance de conquête de son peuple.

Si Ulysse ne doute pas un instant que la catastrophe se produise, Hector, naïf, s'imagine que « rien n'est perdu». »

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