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Le privilège des grands, c'est de voir les catastrophes d'une terrasse. Giraudoux

Publié le 22/02/2012

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Cette phrase est dite par Ulysse à l'adresse d'Hector, vers la fin de la pièce en deux actes de Jean Giraudoux (1882-1944) intitulée La Guerre de Troie n'aura pas lieu. Représentée sous la direction et avec la participation directe de Louis Jouvet (qui incarnait Hector), cette pièce a vu le jour au Théâtre de l'Athénée le 21 novembre 1935 et traite essentiellement du thème de la guerre. S'inspirant librement du poète grec Homère (VIII' siècle avant le Christ), et presque exclusivement de l'Iliade, épopée exaltant les exploits des héros grecs, Giraudoux fait revivre quelques-uns des héros campés par Homère (Hector, Ulysse, Priam, Pâris) et, bien entendu, Hélène, qui est à l'origine de la guerre de Troie.
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« partie.

Nous assistons à une «pesée» des chances qui ne tourne à l'avantage d'Ulysse que pour autant que celui-ci, à son corps défendant, est investi de la puissance de conquête de son peuple. Si Ulysse ne doute pas un instant que la catastrophe se produise, Hector, naïf, s'imagine que « rien n'est perdu» (acte II, scène 13).

Ulysse lui explique alors combien l'apparence est trompeuse.

Fidèle à la réputation d'hommesage et clairvoyant que lui a prêtée Homère, il s'appuie sur sa connaissance des hommes et, faisant preuve d'unelucidité implacable, il décèle, d'un regard infaillible, la fatale réalité qui se fait jour. Avec le recul nécessaire, Ulysse, de ce fait, apprécie comme il convient, c'est-à-dire avec l'humanité la plusfraternelle, ce moment unique et précaire qui le rapproche, pour la dernière fois, de son futur ennemi. Ainsi les deux hommes, animés par les mêmes convictions relatives à la paix et à la guerre, à la haine et à l'amour,bénéficient-ils de l'insigne faveur d'établir une parfaite union au sein d'une virtuelle désunion, de parvenir à cetaccord momentané des contraires qui, faute de pouvoir conduire à une «victoire sur l'inéluctable », comme l'affirme Ulysse, fonde cette précieuse et irremplaçable «fraternité d'ennemis». Bien entendu, un tel privilège est sans lendemain.

Le lieu de cette fraternité d'armes est désigné par Giraudouxcomme étant, en ce deuxième acte où se produit l'entrevue, un «square clos de palais.

A chaque angle, échappée sur la mer.

» Au premier acte, le décor avait pour cadre la « terrasse d'un rempart dominé par une terrasse et dominant d'autres remparts».

11 s'agit donc d'un lieu en surplomb, propice à cette hauteur de vues dont se réclame Ulysse. Ce n'est pas que les deux hommes soient insensibles au drame qui se prépare.

Ils sont tout bonnement les premiersà le voir avec un détachement lucide, fruit de leur réflexion et de leur expérience : les «grands » se trouvent placésdans une position privilégiée pour connaître une catastrophe qui, toutefois, ne les épargnera pas plus que lesautres.

Le destin est en marche : « ULYSSE. — Vous êtes jeune, Hector!...

A la veille de toute guerre, il est courant que deux chefs des peuples en conflit se rencontrent seuls dans quelque innocent village, sur la terrasse au bord d'un lac, dans l'angle d'unjardin.

Et ils conviennent que la guerre est le pire fléau du monde, et tous deux, à suivre du regard ces reflets et ces rides sur les eaux, à recevoir sur l'épaule ces pétales de magnolias, ils sont pacifiques, modestes,loyaux.

Et ils s'étudient.

Ils se regardent.

Et, tiédis par le soleil, attendris par un vin clairet, ils ne trouvent dans levisage d'en face aucun trait qui justifie la haine, aucun trait qui n'appelle l'amour humain, et rien d'incompatible nonplus dans leurs langages, dans leur façon de se gratter le nez ou de boire.

Et ils sont vraiment combles de paix, dedésirs de paix.

Et ils se quittent en se serrant les mains, en se sentant des frères.

Et ils se retournent de leurcalèche pour se sourire...

Et le lendemain pourtant éclate la guerre...

Ainsi nous sommes tous deux maintenant...Nos peuples autour de l'entretien se taisent et s'écartent, mais ce n'est pas qu'ils attendent de nous une victoiresur l'inéluctable.

C'est seulement qu'ils nous ont donné pleins pouvoirs, qu'ils nous ont isolés, pour que nous goûtionsmieux, au-dessus de la catastrophe, notre fraternité d'ennemis...

Goûtons-la.

C'est un plat de riches.

Savourons-la...

Mais c'est tout.

Le privilège des grands, c'est de voir les catastrophes d'une terrasse.

» (acte II, scène 13) Le symbolisme universel qu'expriment le haut et le bas trouve une traduction particulière dans le va-et-vient desvieillards qui, au premier acte, témoignent ainsi leur vénération à Hélène.

Ils se sont rendu compte, en effet, qu'ilsdoivent descendre les escaliers des remparts s'ils veulent voir correctement Hélène; mais pour qu'elle entende leursacclamations, ils savent qu'ils ne peuvent rester en bas car ce n'est qu'en haut qu'Hélène les entend.

Comme leurpassion leur interdit de se passer un seul jour de la vue d'Hélène, ils montent et descendent sans trêve les escaliers,pour autant que leur âge et leur souffle s'en accommodent (acte I, scène 5). Sûre de l'effet produit, Hélène se promène chaque jour sur les terrasses des remparts.

Tous les hommes sont fousd'elle, spécialement les vieillards, comme le constate Cassandre : « Et tous nos frères, et tous nos oncles, et tous nos arrière -grands -oncles!...

Hélène a une garde d'honneur, qui assemble tous nos vieillards.

Regarde.

C'est l'heure de sa promenade...

Vois aux créneaux toutes ces têtes à barbe blanche...

On dirait les cigognes caquetant sur les remparts.

» (acte 1, scène 4) Ce n'est pas Hélène qu'Ulysse voit du haut des remparts ou de la terrasse, on s'en doute, bien qu'Hélène soitsusceptible de constituer un casus belli commode pour les va-t-en guerre.

Si les vieillards tombent sous le charme,se laissent fasciner, du même coup, par la catastrophe à laquelle Hélène demeure identifiée, Ulysse, qui connaît bienHélène, pour l'avoir observée depuis une quinzaine d'années, sait discerner, du haut de la terrasse, par-delàl'anecdote ou le fait divers, la marche inéluctable du destin : «ULYSSE.

- Nous parlons d'Hélène.

Vous vous êtes trompés sur Hélène, Pâris et vous.

Depuis quinze ans, je la connais, je l'observe.

Il n'y a aucun doute.

Elle est une des rares créatures que le destin meten circulation sur la terre pour son usage personnel.

». »

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