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Le repas: de << Les deux jeunes gens >> à << des étendards >> - Une partie de campagne de Maupassant

Publié le 14/09/2018

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La rencontre des canotiers: de << "C'est prêt" >> à << sans table ni sièges >> - Une partie de campagne de Maupassant. Les deux jeunes gens portèrent leur couvert quelques pas plus loin et se remirent à manger. Leurs bras nus, qu'ils montraient sans cesse, gênaient un peu la jeune fille. Elle affectait même de tourner la tête et de ne point les remarquer, tandis que Mme Dufour, plus hardie, sollicitée par une curiosité féminine qui était peut-être du désir, les regardait à tout moment, les comparant sans doute avec regret aux laideurs secrètes de son mari. Elle s'était éboulée sur l'herbe, les jambes pliées à la façon des tailleurs, et elle se trémoussait continuellement, sous prétexte que des fourmis lui étaient entrées quelque part. M. Dufour, rendu maussade par la présence et l'amabilité des étrangers, cherchait une position commode qu'il ne trouva pas du reste, et le jeune homme aux cheveux jaunes mangeait silencieusement comme un ogre. " Un bien beau temps, monsieur ", dit la grosse dame à l'un des canotiers. Elle voulait être aimable à cause de la place qu'ils avaient cédée. " Oui, madame, répondit-il ; venez- vous souvent à la campagne ? - Oh ! une fois ou deux par an seulement, pour prendre l'air ; et vous, monsieur ? - J'y viens coucher tous les soirs. - Ah ! ça doit être bien agréable ? - Oui, certainement, madame. " Et il raconta sa vie de chaque jour, poétiquement, de façon à faire vibrer dans le cœur de ces bourgeois privés d'herbe et affamés de promenades aux champs cet amour bête de la nature qui les hante toute l'année derrière le comptoir de leur boutique. La jeune fille, émue, leva les yeux et regarda le canotier. M. Dufour parla pour la première fois. " Ça, c'est une vie ", dit-il. Il ajouta : " Encore un peu de lapin, ma bonne. - Non, merci, mon ami. " Elle se tourna de nouveau vers les jeunes gens, et montrant leurs bras : " Vous n'avez jamais froid comme ça ? " dit-elle. Ils se mirent à rire tous les deux, et ils épouvantèrent la famille par le récit de leurs fatigues prodigieuses, de leurs bains pris en sueur, de leurs courses dans le brouillard des nuits ; et ils tapèrent violemment sur leur poitrine pour montrer quel son ça rendait. " Oh ! vous avez l'air solides ", dit le mari qui ne parlait plus du temps où il rossait les Anglais. La jeune fille les examinait de côté maintenant ; et le garçon aux cheveux jaunes, ayant bu de travers, toussa éperdument, arrosant la robe en soie cerise de la patronne qui se fâcha et fit apporter de l'eau pour laver les taches. Cependant, la température devenait terrible. Le fleuve étincelant semblait un foyer de chaleur, et les fumées du vin troublaient les têtes. M. Dufour, que secouait un hoquet violent, avait déboutonné son gilet et le haut de son pantalon : tandis que sa femme, prise de suffocations, dégrafait sa robe peu à peu. L'apprenti balançait d'un air gai sa tignasse de lin et se versait à boire coup sur coup. La grand-mère, se sentant grise, se tenait fort raide et fort digne. Quant à la jeune fille, elle ne laissait rien paraître, son œil seul s'allumait vaguement, et sa peau très brune se colorait aux joues d'une teinte plus rose. Le café les acheva. On parla de chanter et chacun dit son couplet, que les autres applaudirent avec frénésie. Puis on se leva difficilement, et, pendant que les deux femmes, étourdies, respiraient, les deux hommes, tout à fait pochards, faisaient de la gymnastique. Lourds, flasques, et la figure écarlate, ils se pendaient gauchement aux anneaux sans parvenir à s'élever ; et leurs chemises menaçaient continuellement d'évacuer leurs pantalons pour battre au vent comme des étendards.

Psychologie : des couples menacés

 

La place réduite réservée à Mlle Dufour appelle deux commentaires. Dans une chronique de 1884, Maupassant note que « la jeune fille [est] un sujet difficile pour des hommes comme Goncourt et Zola >> (qui venaient de publier respectivement Chérie et La Joie de vivre) : comment un écrivain épris de vérité peut-il réussir à connaître cet << être secret, encore voilé, mystérieux >> ? << Comment deviner ces ombres d’idées, ces commencements de passions, ces germes de sentiments, tout ce confus travail d’un caractère qui se forme ? >> Le narrateur réaliste place donc le lecteur devant cette énigme vivante, en lui donnant quelques indices d'une évolution intérieure, secrète et peut-être même inconsciente (ce que suggère l’adverbe << vaguement»). C’est aussi le moyen de ménager son intérêt, Mlle Dufour semblant, en raison de son mystère même, appelée à devenir l'héroïne d’une aventure qui la fera davantage connaître.

 

Quatre indices trahissent ce début de métamorphose : sa gêne devant les bras nus des canotiers fait place à un premier regard (elle est << émue » par leurs discours), puis à un regard plus long (<< La jeune fille les examinait de côté maintenant ») qui dit à la fois l’intérêt et la pudeur, puis à un éclat du regard et des joues qui est généralement donné comme le signe du désir2. Rien ne la lie, à première lecture, à celui qui doit être bientôt son mari, mais le propre de cette nouvelle est d’impo ser une lecture rétrospective qui donne sens à des faits d’abord perçus comme insignifiants. 

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« Action: vers l'éclatement de la famille Dufour Le déroulement du repas obéit à deux logiques contraires.

Il est d'abord conforme aux mœurs des petits-bourgeois pour lesquels une partie de campagne est l'occ asion de quelques débo rdements contrôlés (excès de soleil, de nourriture, de boisson, relâchement de la tenue habituelle) ; il conduit logi­ quement à une sieste répara trice, d'autant que l'on s'est > (2A).

Mais à ce compor te­ ment attendu (et convenu), qui est surtout celui des deux hommes, s'oppose celui des deux femmes qui se montrent de plus en plus sensibles à l'élément perturbateur que constitue la présence des canotiers.

La progression de l'action s'effectue ainsi en quatre mou­ vements : 1.

De > à > : la tension entre les deux comportements est visible dans l'oppo sition de la mère, dé jà en proie à une certaine excitation, et de l'apprenti, tout à son repas.

Chez le père et la fille , cette contradiction prend la forme d'une gêne ou d'u ne mauvaise humeur.

2.

De à : Mme Dufour, sous prétexte d'amabilité, engage la conver­ sation avec les canotiers, qui prof itent de l'occasion pour donner d'eux une image poétique.

Chez la grosse dame, le repas passe au second plan: elle refuse le lapin que lui offre son mari.

Sa fille commence à s'intéresser aux canotiers.

3.

De à : après l'inter­ ruption de son mari, qui a remis le repas au premier plan, Mme Dufour relance > la conversation avec les canotiers.

La jeune fille montre de plus en plus son intérêt.

Le mari et l'apprenti sont mis ou restent hors jeu.

4.

De : la logique du repas champêtre reprend ses droits, la famille semble à nouveau unie dans un compor tement festif (emploi de > et >).

Mais les excès de table servent le dessein des canotiers, qui n'a uront pas de mal à briller devant des femmes > et des hommes ridicules.

La scène du repas a donc précisé et modif ié les relations entre les couples, les deux femmes ayant maintenant tendance à s'é loig ner de leurs compa gnons habituels.. »

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