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LE RÔLE DÉTERMINANT DE LA DESCRIPTION DANS LES ROMANS DE BALZAC

Publié le 29/06/2011

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Avec la tournure d'esprit que maintenant nous lui connaissons, nous ne serons pas surpris que Balzac accorde une très grande place, dans l'économie de ses romans, aux descriptions et une importance capitale à leur rôle. C'est un procédé significatif par méthode composante : dessin précis, palette chargée, détails reproduits avec minutie. En outre les lignes et les couleurs mettent très fortement en relief et en lumière quelques objets, « quelques singularités « où l'observateur voit avec raison « plus d'un problème à résoudre «. Les Scènes de la Vie Privée sont comme une galerie où le faire de l'artiste trahit son intention : il n'assouvit pas seulement le plaisir de dominer la nature en la captant sur sa toile, il l'introduit comme une actrice, qui joue son rôle à part, intervient dans le jeu des péripéties et les mouvements de l'intrigue. Dès qu'on la saisit, cette particularité condamne le décri où certains veulent maintenir ces descriptions, à cause de leur abondance et de leurs « interminables « longueurs. Nous voudrions la définir par quelques exemples, empruntés,, les uns aux Scènes de la Vie Privée (1830-1832), les autres aux romans composés vers la fin (1846).

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« dans cette rupture d'une tradition immémoriale, symbolisée, protégée jusque-là par la vénérable maison ; Augustinecède aux attraits de son amour.

Individualiste, elle rejette les conseils de ses parents ; elle épouse le peintre.Voici la deuxième description et le deuxième contraste.

Après qu'ils eurent savouré pendant une année, les délicesde la lune de miel, l'incompréhension s'établit insensiblement entre les deux conjoints.

L'éducation d'Augustine nel'avait point préparée à vivre dans un milieu d'artistes ; elle est incapable de s'y adapter, de correspondre auxfantaisies que provoque l'enthousiasme de Théodore pour son art.

Trop prude, trop rigide dans l'application desprincipes qu'elle tient de sa mère, elle inspire à son époux une froideur qui va croissant : il se détourne d'elle.L'insignifiance de son esprit ne parvient pas à reléguer ses préjugés.

Quoiqu'elle s'efforce de reconquérir le cœur deson mari, c'en est fait de son bonheur.

Théodore de Sommervieux déserte fréquemment l'appartement conjugal bienqu'un enfant y soitIl s'attache à la duchesse de Carigliano une « célèbre coquette de la cour impériale ».

Désespérée, « pleurant deslarmes de sang », Augustine décide de recourir aux conseils et aux consolations de sa famille.Un petit hôtel bourgeois de la rue du Vieux-Colombier s'ouvre devant nous.

Le ménage Guillaume s'y consume dansl'ennui, après avoir cédé son fonds de commerce à la fille aînée Virginie, la sage, et prudente et sensée, celle quis'est mariée avec le premier commis de son père, Joseph Lebas.

Le luxe froid doré et argenté, sans goût, fait decette demeure « un bazard », et de chaque pièce « une chapelle ».

Tout cela paraît aux yeux d'Augustine,maintenant jeune femme évoluée, comme l'image d'un monde artificiel, arriéré, vide des sentiments et « des idéesqui font vivre ».

La crise se complique.

Comment attendre des lumières, des avis éclairés, une aide dans sonmalheur, de gens aussi mesquins, pour qui la carte du Tendre et ses tracés sentimentaux sont des niaiseries, descontes à dormir debout.

Il faut chercher ailleurs.

Même impression, même contraste, quand Augustine, le cœurendolori, se présente devant Joseph et Virginie Lebas.

Leur ménage continue, dans le vieux magasin, l'existencepondérée, mécanique qui assure l'antique honneur du Chat-qui-pelote.

Près d'eux l'âme plaintive de leur sœur netrouve aucun écho.

Ils lui répondent par des lieux communs sur la morale de la rue Saint-Denis ; celle-là suffit à leursimple conduite.

Augustine, par son évasion, avait depuis longtemps répudié ces préceptes.

La rupture est totale.L'infortunée fuit avec soulagement ces gens à l'esprit obtus, et leur horrible maison.

Ces deux visites n'en faisaientqu'une ; ces deux locaux différents d'aspect, n'en faisaient qu'un ; l'hôtel sans élégance des parents, morne, étaitcomme un arrière-magasin, plus orné, voué au repos des patrons.

Elle sort de là écœurée, considérant que sa vieest man- quée, accusant de cette infortune les gens confinés dans ces murs fermés sur le dehors.

C'était entre cesmurs, par eux, que son cœur contraint, accablé de leçons qui le rabaissaient à des exigences étroites, vulgaires,avait vu barrer tout élan vers l'altitude sentimentale.

Qui donc l'aurait initiée aux secrets exaltants d'un amour quidompte et domine les hommes ? Il est trop tard.La troisième description par un contraste plus violent, plus compliqué, va révéler à la jeune femme l'abîme qui lasépare de son mari, où sombre déjà son bonheur.

S'armant d'un courage « surnaturel », la timide Augustine résolutd'affronter la Duchesse de Carigliano, la grande dame altière, qu'on lui avait révélée comme sa triomphante rivale.Comment la modeste violette supporte- ra-t-elle la touffeur des antiques et somptueux hôtels du Faubourg Saint-Germain ? Elle n'y était jamais entrée.

« Quand elle parcourut ces vestibules majestueux, ces escaliers grandioses,ces salons immenses ornés de fleurs malgré les rigueurs de l'hiver, et décorés avec ce goût particulier aux femmesqui sont nées dans l'opulence ou avec les habitudes distinguées de l'aristocratie, Augustine eut un affreux serrementde cœur.

Elle envia les secrets de cette élégance dont elle n'avait jamais eu l'idée ; elle respira un air de grandeurqui lui expliqua l'attrait de cette maison pour son mari ».

Venue dans l'intention de s'instruire auprès de la Duchessedes artifices qui lui avaient enlevé l'amour de Sommervieux, elle commence de comprendre.

Nouveau contraste : iciencore, le lieu, l'ambiance de cet hôtel au luxe raffiné est le symbole d'une coquetterie compliquée.

Quand elle estadmise dans le boudoir où, voluptueusement couchée, l'idole, « comme une statue antique », reçoit le culte rendu àsa beauté par un admirateur assidu, en l'occurrence un jeune colonel de cavalerie, Augustine s'irrite contre sonpassé : « Ah ! si j'avais été élevée comme cette sirène ! » Oui, les choses dominent les êtres.

Oubliant sa morgue,abandonnant son égoïsme cruel, excitée par sa vanité, la duchesse, fait profiter la petite épouse éplorée de sonexpérience, en lui révélant les secrets qui assurent à la femme la supériorité sur son mari, a Les choses extérieuressont pour les sots la moitié de la vie ; et pour cela plus d'un homme de talent se trouve un sot malgré tout songénie ».

« Science de bagatelles, d'ailleurs assez importantes » : mais totalement ignorée dans la vieille maison d'unmarchand drapier.

Quelle ironie ! La duchesse est « une âme forte » ; la fille du drapier, une âme faible.

Elles sontles produits d'un milieu différent.

Augustine n'était point faite « pour les puissantes étreintes du génie ».

Et lacomparaison finale ramène le principe de l'habitat ; l'humble et modeste fleur éclose dans la vallée meurt quand elleest transplantée dans les hautes régions où se forment les orages, où le soleil est brûlant.Cette démonstration, nous pourrions la recommencer à propos de vingt romans, avec Eugénie Grandet (1833), LeCuré de Village (1837), où deux vieilles maisons figurent et produisent le complexe psychophysiologique de deuxjeunes filles nées à leur ombre : Eugénie Grandet et Véronique Sauviat.

De même, dans les Illusions perdues (1837),l'imprimerie de Séchard père par son apparence délabrée, crasseuse, par ses meubles vermoulus, revêt laphysionomie du vieillard, qui est avare, et hostile à son fils.

La situation morale d'Augustine Guillaume devant laDuchesse de Carigliano nous la retrouverons identiquement reproduite dans La Cousine Bette.

La très vertueuseBaronne Hulot va demander à la grande cantatrice de l'Opéra, Josépha Mirah, de lui rendre son mari qu'elle croit êtreemprisonné dans les rets de la célèbre artiste, mais qu'un autre protecteur a déjà remplacé.

Ici encore le contrastedes lieux produit le contraste des âmes ; ici encore la splendeur du cadre tendue comme un piège, « la puissancedes séductions du vice » étonnent les yeux émerveillés de la Baronne par un vrai luxe d'ameublement.

Bien queblasée, comme la Duchesse de Carigliano, la cantatrice se laisse émouvoir aussi devant la sublime et naïve grandeurde l'épouse éplorée ; encore une fois, la candeur de la vertu désarme le cynisme, et la pécheresse se fait laservante de la femme au cœur pur.Le symbolisme des choses matérielles, leur répercussion dans l'activité des âmes, marquera très profondément lesconceptions du romancier.

Comme des ressorts invisibles, ils meuvent les grands drames, au point que les objetsinanimés eux-mêmes, agissent, par leur fluide magnétique, sur les destinées, tout comme les vivants.

On pressent le. »

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