LE ROMAN DE LA RENAISSANCE
Publié le 12/02/2018
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années du siècle. Elle distrait son ennui et oublie le malheur public dans des entretiens auxquels elle demande d'abord d'être « facétieux », mais où elle recherche aussi et de plus en plus le plaisir du beau langage et l'exercice de la réflexion. C'est le siècle des conteurs, et du plus grand de tous, Rabelais. Rabelais précisément a montré comment les connaissances intellectuelles se sont répandues : « je voy les brigans, les boureaulx, les avanturiers, les palefreniers de maintenant, plus doctes que les docteurs et prescheurs de mon temps », écrit Gargantua à Pantagruel. Enthousiasme de géant : tout le monde ne peut pas s'acheter de livres, ni s'adonner aux études encyclopédiques dont le programme est tracé par Ponocrates. Les riches bourgeois, les seigneurs seuls se constituent des bibliothèques; théologiens, philologues, juristes, médecins, savants versés dans toutes les disciplines collaborent à la formation de la pensée moderne, et donnent à leurs lecteurs et à leurs auditeurs, mondains ou non, le goût des discussions intellectuelles, de l'érudition, de la polémique même, la curiosité des phénomènes naturels dont l'explication est encore loin du rationalisme; la découverte de pays et de peuples nouveaux, le sentiment que les forces de la nature agissent par elles-mêmes d'une façon obscure et secrète suscitent un grand intérêt pour l'étrange et le monstrueux; on croit toujours aux sorciers; l'occultisme et l'astrologie ne sont pas les formes d'une pensée retardataire mais des méthodes d'investigation; le naturalisme de la Renaissance est volontiers magique : de tout cela le roman offrira un reflet avec ses « histoires prodigieuses ' », ses récits de voyages et de navigations. Loin de s'effrayer et de capituler devant le mystère, les hommes cherchent à le comprendre. L'univers s'ouvre à leur appétit, les géants de Rabelais symbolisent cette ambition de tout connaître et de tout posséder. On admire les individualités puissantes, les passions fortes, même les beaux crimes (les Histoires tragiques de Bandello sont traduites par Boaistuau êlès 1559), mais leur description énergique et pittoresque est bientôt remplacée par une pompeuse rhétorique qu'imposera avant la fin du siècle la politesse mondaine; la convention règnera sur la psychologie comme sur l'expression, et le roman écarté de la nature et de la vérité ne les rejoindra qu'un siècle et demi plus tard. Les romanciers n'avaient pas pu demander à l'Antiquité les modèles de perfection qu'elle offrait aux poètes lyriques. A défaut de la beauté architecturale, le roman posséda pourtant, avant d'être envahi par la convention, une beauté stylistique plus riche de ressources et d'effets que la frêle élégance médiévale; la langue française devenue langue d'une grande nation (l'édit de Villers-Cotteret, qui en rend l'usage obligatoire dans les cours provinciales de justice, est de 1539) s'incorporait le langage coloré des provinces, s'enrichissait du vocabulaire scientifique et philosophique que les savants adaptaient du latin ou du grec; l'élan de la Renaissance vers la vie sauva la prose romanesque du langage ampoulé qui la menaçait dès le xve siècle a : mais n'ayant pas encore trouvé la netteté qui fera son mérite à l'époque classique, lorsqu'elle perdit son éclat et sa plénitude il ne lui resta que l'emphase monotone qui rend illisibles les romans sentimentaux des Nervèze et des Olenix du Mont Sacré.
LE ROMAN DE LA RENAISSANCE
Nous ne nous hasarderons pas à donner une définition de la Renaissance 1, mais nous garderons le mot qui, dans sa confusion même, est plus expressif qu'une simple désignation chronologique comme celle de Seizième siècle. Les transformations économiques et sociales qui marquent cette époque $, l'affermissement d'une royauté centraliste, l'établissement d'une politesse de cour et d'une société mondaine, la diffusion de l'imprimerie, l'étude des œuvres antiques, la connaissance des littératures étrangères, les relations avec le Nouveau Monde, les guerres de religion ont certainement eu sur l'évolution du genre romanesque une influence plus ou moins directe. C'est l'é.Poque où la bonne société se sépare du reste de la nation pour former une élite ayant le monopole de la culture. Elle se réunit dans les villes, de plus en plus importantes par rapport aux campagnes, ou dans les châteaux. Il faut croire qu'elle a beaucoup de temps libre, puisqu'elle se passionne pour des romans interminables et insipides, romans de chevalerie à partir de isso, romans sentimentaux dans les dernières
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années du siècle.
Elle distrait son ennui et oublie le malheur public dans des
entretiens auxquels elle demande d'abord d'être« fa cétieux », mais où elle recherche
aussi et de plus en plus le plaisir du beau langage et l'exercice de la réflexion.
C'est
le siècle des conteurs, et du plus grand de tous, Rabelais .
Rabelais précisément a
montré comment les connaissances intellectuelles se sont répandues : « je voy les
brigans, les boureaulx, les avanturiers, les palef reniers de maintenant, plus doctes
que les docteurs et prescheurs de mon temps », écrit Gargantua à Pantagruel.
Enthousiasme de géant : tout le monde ne peut pas s' acheter de livres, ni s'adonner
aux études encyclopédiques dont le programme est tracé par Ponocrates.
Les
riches bourgeois, les seigneurs seuls se constituent des bibliothèques; théologiens,
philologues, juristes, médecins, savants versés dans toutes les disciplines collaborent
à la formation de la pensée moderne, et donnent à leurs lecteurs et à leurs auditeurs,
mondains ou non, le goût des discussions intellectuelles, de l'érudition, de la
polémique même, la curiosité des phénomènes naturels dont l'explication est encore
loin du rationa lisme; la découverte de pays et de peuples nouveaux, le sentiment que
les forces de la nature agissent par elles-mêmes d'une façon obscure et secrète susci
tent ungrand intérêt pourl'étrange etle monstrueux ; on croit toujours aux sorcie rs ;
l'o ccultisme et l'astrologie ne sont pas les formes d'une pensée retardataire mais des
méthodes d'investigatio n; le naturalisme de la Renaissance est volontiers magique:
de tout cela le roman offrira un reflet avec ses « histo ires prod igieuses 1 », ses récits
de voyages et de navigatio ns.
Loin de s'effrayer et de capituler devant le mystère,
les hommes cherchent à le comprendre.
L'univers s'ouvre à leur appétit, les géants
de Rabelais symbolisent cette ambition de tout connaître et de tout posséder.
On admire les individualités puissantes, les passions fortes, même les beaux crimes
(les Histoires tragiques de Bandello sont traduites par Boaistuau êlès 1559), mais
leur description énergique et pittoresque est bientôt remplacée par une pompeuse
rhétorique qu'imposera avant la fin du siècle la polites se mondaine ; la convention
règnera sur la psychologie comme sur l'expression, et le roman écarté de la nature
et de la vérité ne les rejoindra qu'un siècle et demi plus tard.
Les romanciers
n'avaient pas pu demander à l'Antiquité les modèles de perf ection qu'elle offrait
aux poètes lyriques .
A défaut de la beauté architecturale, le roman posséda pour
tant, avant d'être envahi par la convention, une beauté stylistique plus riche de
ressources et d'eff ets que la frêle élégance médiévale ; la langue française
devenue langue d'une grande nation (l'édit de Villers- Cotteret, qui en rend
l'usage obligatoire dans les cours provinciales de justice, est de 1539) s'incorporait
le langage coloré des provinces, s'enrichissait du vocabulaire scientifique et
philosophique que les savants adaptaient du latin ou du grec; l'élan de la
Renaissance vers la vie sauva la prose romanesque du langage ampoulé qui la
menaçait dès le xve siècle 2 : mais n'ayant pas encore trouvé la netteté qui fera
son mérite à l'époque classique, lorsqu'elle perdit son éclat et sa plénitude il ne
lui resta que l'emphase monotone qui rend illisibles les romans sentimentaux des
Nervèze et des Olenix du Mont Sacré.
1.
Pierre BoAISTUAU, Histoires prodigieuses, 1560.
2.
Cf.
La Fille du comte de Ponthieu, troisième version.
Au xve siècle l'emphase était le
fait des clercs et des basochie ns ; au XVI8 elle sera le fait des human istes et des mondains..
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