Le romancier doit-il necessairement faire de ses personnages des êtres extraordinaires ?
Publié le 12/09/2018
Extrait du document
Texte 3: Jean Giono. Un Roi sans divertissement 1947
Mme Tim est la femme du châtelain de Saint Baudille. Autour d'elle s'organisent des fêtes familiales dont le narrateur garde le souvenir.
[ ... ] Mme Tim était abondamment grand-mère. Les filles occupaient aussi des situations dans les plaines, en bas autour.
À chaque instant, sur les chemins qui descendaient de Saint-Baudille on voyait partir le messager et, sur les chemins qui montaient à Saint-5 Baudille, on voyait monter ensuite des cargaisons de nourrices et d’enfants. L’aînée à elle seule en avait six. Le messager de Mme Tim avait toujours l’ordre de faire le tour des trois ménages et de tout ramasser.
C’étaient, alors, des fêtes à n’en plus finir : des goûters dans le labyrinthe de buis 1 ; des promenades à dos de mulets dans le parc ; des jeux sur les terrasses et, en cas de pluie, pour calmer le fourmillement de jambes de tout ce petit monde, des sortes de bamboulas2 dans les grands combles3 du château dont les planchers grondaient alors de courses et de sauts, comme un lointain tonnerre.
Quand l’occasion s’en présentait, soit qu’on revienne de Mens (dont la route passe en bordure d’un coin de parc), soit que ce fût pendant une journée d’automne, au retour d’une petite partie de chasse au lièvre, c’est-à-dire quand on était sur les crêtes qui dominent le labyrinthe de buis et les terrasses, on ne manquait pas de regarder tous ces amusements. D’autant que Mme Tim était toujours la tambour-major.
Elle était vêtue à l’opulente d’une robe de bure, avec des fonds énormes qui se plissaient et se déplissaient autour d’elle à chaque pas, le long de son corps de statue. Elle avait du corsage et elle l’agrémentait de jabots de linon À la voir au milieu de cette cuve d’enfants dont elle tenait une grappe dans chaque main, pendant que les autres giclaient autour d’elle, on l’aurait toute voulue. Derrière elle, les nourrices portaient encore les derniers-nés dans des cocons blancs. Ou bien, en se relevant sur la pointe des pieds et en passant la tête par dessus la haie. on la surprenait au milieu d’un en-cas champêtre, distribuant des parts de gâteaux et des verres de sirop. encadrée, à droite. d'un laquais (qui était le fils Onésiphore de Prébois) vêtu de bleu. portant le tonnelet d’orangeade et, à gauche, d'une domestique femme (qui était la petite fille de la vieille Nanette d’Avers), vêtue de zinzolins7 et de linge blanc. portant le panier à pâtisserie. C’ était à voir!
Éditions Gallimard.
• Commentaire
Vous commenterez l'extrait de Jean Giono (texte 3).
• Dissertation
Le romancier doit-il necessairement faire de ses personnages des êtres extraordinaires ?
Vous repondrez ä la question en vous fondant sur les textes du corpus ainsi que sur les textes et reuvres que vous avez etudies et lus.
• Ecrit d'invention
Le regard que porte la narratrice du texte 1 sur sa mere fait de cette derniere un personnage fascinant. Comme Colette et en vous inspirant des autres textes du corpus, vous proposerez le portrait d'un etre ordinaire qui, sous votre regard, prendra une dimension extraordinaire.
Bien comprendre le sujet
• « le romancier... ses personnages » : il s'agit du sujet ou thème : les personnages romanesques.
• « doit... nécessairement» : le verbe indique une obligation sans exception à la différence de « peut ». Le caractère excessif de la formulation est accentué par l'adverbe et permet de nuancer la thèse.
• «faire de ses personnages des êtres extraordinaires » : les personnages de roman seraient tous extraordinaires, hors de l'ordinaire, du commun, grâce au travail du romancier.
-► Type de sujet : apprécier la pertinence d'une thèse.
Problématique : Les personnages créés par un romancier doivent-ils être hors du commun ?
Exploiter les documents du corpus
Tous les textes du corpus présentent des personnages apparemment ordinaires, des figures maternelles, rendues toutes extraordinaires, mais la manière de procéder pour les rendre exceptionnelles varie d'un texte à l'autre (voir question).
«
père
amaigri, touchait et fla irait mes longues tresses pour s'as sura que
1 0 j'avais brossé mes cheveux ...
Une fois qu'elle dénouait un cordon d'o r
s ifflant, elle s'aperçut qu'au géranium prisonn ier contre la vitre d'une
des fenêtres, sous le rideau de tulle, un rameau pendait, rompu.
vivant
encore.
La ficelle d'or à pe ine déroulée s'enroula vingt fois autour du
rameau rebouté5 , étayé d'une petite éclisse6 de carton ...
Je frissonnai, et
1s crus frémir de jalo usi e, alors qu'il s'agissait seulement d'une résonance
poétiq ue, éveillée par la magie du secours efficace scellé d'or ...
© Librairie Art hème Fayard et Hacheue Littérature, 2004.
1.
Mameau en fourrure de vemre d'écu reui l.
2.
Qui vient des aisselles.
Colette évoque les odeurs de sueur.
3.
Ruban .
4.
Traitement des coques des na vires avec du goudron pour les rendre étanches.
S.
Réparé.
6.
Plaque servant à étayer, c'est à dire à soutenir , un membre fracturé.
�·t Jom Steinbeck.
Les Raisins de la colère,l939 [traduit de
l'anglais par M.
Duhamel et M.-E.
Coin dr eau)
Tom Joad est de retour chez lui.
Il retrouve sa famille , son pèœ, le
vieux Tom, ses grands parents, ses frères et sœurs plus jeunes ainsi que
sa mère , Man, décrite dans l'extrait suivant.
Elle regardait dans le soleil Nulle mollesse dans sa figure pleine,
mais de la fermeté et de la bonté.
Ses yeux noisette semblaient a voir
connu toutes les tragédies possibles et avoir gravi, comme autant de
marches, la peine et la souffrance jusqu 'aux régions élevées de la com-
s préhens ion surhumaine.
Elle semblait connaître, accepter, accueillir
avec joie son rôle de citadelle de sa famille, de refuge inexpugnable 1• Et
comme le vieux Tom et les enfants ne pouvaient connaître la souffrance
ou la peur que si elle-même admettait cette souffrance et cene peur, elle
s'était accoutumée à refuser de les admettre.
Et comme, lorsqu'il arrivait
10 quelque chose d'heureux ils la regardaient pour voir si la joie entrait en
elle, elle avait pris l'habitude de rire même sans motifs suffisants.
Mais,
préférable à la joie, était le calme.
Le sang-froid est chose sur laquelle
on peut compter.
Et de sa grande et humble position dans la famille,
elle avait pris de la dignité et une beauté pure et calme.
Guérisseuse.
ses
1s mains avaient acquis la sOreté,la fraîcheur et la tranquillité ; arbitre, elle
était devenue aussi distante, aussi infaillible qu'une déesse.
Elle semblait.
»
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