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LE ROMANTISME

Publié le 03/05/2019

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ROMANTISME. Romantisme : « un de ces détestables mots qui ont plus de valeur que de sens ; qui chantent plus qu'ils ne parlent » (Valéry). Mot bien

commode qui permet de ranger sous une même étiquette près de cent ans de littérature française, de Rousseau à Baudelaire ou même aux symbolistes, des romans de Balzac à la Tristesse d'Olym-pio, avec des précurseurs et des épigones, des orthodoxes, des hérétiques et des novateurs. À ce degré de dilution, le mot ne veut plus dire grand-chose : tout au plus peut-on lui faire dire l'émotion et le mouvement opposés à la rigueur d'un classicisme lui-même à définir, « le cœur » contre « l'esprit ». Car, au-delà de la littérature ou des arts, le romantisme est aussi une forme (vague) de sensibilité. Un site, une attitude, une vie sont romantiques parce qu'on y retrouve quelque chose qui évoque Chateaubriand, Hugo ou Musset.

 

Cette dérive sémantique est ancienne et remonte au moins au xviiie s. La notion n'apparaît alors que sous la forme d'un adjectif inspiré de l'anglais (« romantic ») et synonyme de « romanesque » (on note déjà deux emplois du mot à la fin du xviie s., à peu près dans ce sens). On cite toujours la phrase de Rousseau dans les Rêveries du promeneur solitaire : « Les rives du lac de Bienne sont plus sauvages et romantiques que celles du lac de Genève, parce que les rochers et les bois y bordent l'eau de plus près. » « Romantique » en

 

l'occurrence remplace avantageusement « pittoresque », si la sensation éprouvée à la vue d'un paysage « éveille dans l'âme émue des affections tendres et des idées mélancoliques » (Letourneur, Dis cours-préface à une traduction de Shakespeare, 1776). La notion est déjà complexe, puisque l'adjectif désigne donc la qualité d'un paysage existant qui aurait les charmes d'un paysage décrit ou peint, selon une dialectique subtile entre l'art et la réalité.

 

Arrive alors d'Allemagne une seconde interprétation du mot : les Allemands ont inventé « la romantique » qui est à la fois une histoire littéraire et un programme. Selon Schlegel, il s'agit de retrouver le génie et l'énergie des anciens peuples « romans ». Ceux-ci (notamment en Angleterre, en Espagne et en Allemagne) affirment au Moyen Age une véritable culture indigène. Malheureusement la corruption classique diffusée par la France a imprégné plus tard tous ces pays, et surtout l'Allemagne, d'une version abâtardie et cosmopolite de l'Antiquité. Elle a étouffé les cultures nationales. Il faut donc réagir contre cette invasion et revenir aux sources pures du Moyen Âge chrétien. À travers Charles de Villers, Mme de Staël et le groupe de Coppet, ces idées atteignent la France. Mme de Staël, ce « Blûcher littéraire » (Musset), définit ainsi les termes du débat (De l'Allemagne, II, 11) : « Le nom de romantique a été introduit nouvellement en Allemagne pour désigner la poésie, dont les chants des troubadours ont été à l'origine, celle qui est née de la chevalerie et du christianisme... On prend quelquefois le mot classique comme synonyme de perfection. Je m'en sers ici dans une autre acception, en considérant la poésie classique comme celle des Anciens, et la poésie romantique comme celle qui tient de quelque manière aux traditions chevaleresques. »

 

Voilà deux définitions du romantisme qui vont se rejoindre au moment où apparaissent en France les premiers « romantiques ». On remarquera tout de suite que nous avons été chercher le mot à l'étranger, comme si la sensibilité française, longtemps à l'avant-garde, était maintenant en retard sur l'Europe, comme si la France, fidèle à une tradition « cartésienne », se méfiait de ces innovations malsaines. Deuxième constatation : on trouve déjà dans l'origine du mot l'annonce de bien des thèmes romantiques. D'abord ce qu'on a appelé le sentiment de la nature, l’émoi bucolique provoqué par certains lieux, certaines promenades. Ensuite, venant d'Allemagne, la recherche d une sorte d'authenticité primitive et la subversion des canons « classiques ». D'où une attention plus grande portée aux traditions populaires ou encore tout un courant de recherches médiévales, qu'il s'agisse d'histoire scientifique ou de mode poétique (le style « troubadour »). La fusion se fait facilement comme en témoignent les gravures du temps : les

 

forêts profondes y font bon ménage avec les cathédrales gothiques ou les châ teaux en ruine ; et, au milieu de ce décor qui aurait paru horrible cent ans plus tôt, un jeune homme solitaire et pensif, ému par l'harmonie mélancolique du paysage.

 

Les romantiques. Reste à savoir évidemment quel est ce jeune homme et d'où il vient. De nombreux ouvrages ont tenté la psychosociologie du romantisme. Pour toute une école de pensée, il sort de la Révolution. Les romantiques seraient les fils de 89 ou de 93, de l'insurrection et du désordre, renversant les règles littéraires (les fameuses unités par exemple) de la même manière que leurs pères avaient renversé l’Ancien Régime et pris la Bastille : à l'appui de cette thèse, Hugo parlant (au début 1830) du romantisme comme d'un libéralisme dans la littérature, et toute une série de romantiques révolutionnaires se battant pour la Grèce ou la Pologne ; Delacroix et la Liberté guidant le peuple. Telle est du moins l'apparence des choses. Car l'affaire est moins simple. Hugo justement qui finira en patriarche de la IIIe République, lui le proscrit du second Empire, a commencé à l'extrême droite : abandonnant la monarchie, la reine des nations s'est prostituée aux factions, avant que le despote, dans ce chaos fétide, ne naisse de l'hydre régicide (Ode onzième, mars 1822). Apparemment, l'amour de la liberté vient bien après le respect des traditions, agrémenté peut être de certaines audaces formelles. Alors que la littérature d'opposition, sûre de plaire par son fond, suit « la route convenue », les autres sont obligés, pour faire passer le message, de hasarder « quelques contorsions poétiques » : c'est Musset lui-même qui proposera cette interprétation. Si bien que 1830 va être compris par quelques-uns comme la défaite de l'esthétique romantico-monarchiste. « Enfoncés les romantiques ! » a t on pu dire.

 

Pour compliquer le tout, on peut avoir des sympathies pour le romantisme et n'être pas pour autant un ultra : Delé-cluze et les gens du Globe par exemple, ou Stendhal définissant ce qu'il appelle — à la suite des Italiens — le « romanticisme » : « l'art de présenter aux peuples des œuvres littéraires qui, dans l’état actuel de leurs habitudes et de leurs croyances, sont susceptibles de leur donner le plus de plaisir possible. Le classicisme, au contraire, leur présente la littérature qui donnait le plus grand plaisir possible à leurs arrière-grands-pères... Il faut du courage pour être romantique, car il faut hasarder » {Racine et Shakespeare, 1823 1825). En fait, l'esthétique et la politique ont chacune ses clivages propres : les différentes avant-gardes ne se recoupent pas forcément, mais on ne peut pas non plus les opposer.

 

Cela ne veut pas dire bien sûr que les romantiques échappent à leur époque. On ne passe pas impunément d'une civilisation à une autre et c'est en ce sens peut-être qu'il faut voir en eux les fils de la Révolution et de l'Empire. Il y a ceux qui vont regretter l'ordre ancien, politique, social ou religieux (pour des raisons personnelles ou par « idéologie »). Ceux aussi qui vont regretter le trouble de ces époques glorieuses, lorsque leur auront succédé la triste Restauration et l'ennuyeuse monarchie de Juillet. Musset note au début de la Confession d'un enfant du siècle (1835-36) : « Un sentiment de malaise inexprimable commença donc à fermenter dans tous les jeunes cœurs. Condamnés au repos par les souverains du monde, livrés aux cuistres de toute espèce, à l'oisiveté et à l'ennui, les jeunes gens voyaient se retirer d'eux les vagues écumantes contre lesquelles ils avaient préparé leurs bras... Tout ce qui était n'est plus, tout ce qui sera n'est pas encore. Ne cherchez pas ailleurs la source de nos maux. » La gloire militaire est devenue impossible, la foi a disparu, l'amour est une « illusion ancienne », le monde est aux mains des vieux : comment en sortir?

 

On peut bien sûr s'abandonner au mal du siècle, éprouver (ou affecter) le désespoir, tourner tout en dérision. Le romantique devient alors un marginal, d'autant plus à l'écart d'ailleurs que l'artiste est

 

le marginal par excellence dans une société de « messieurs Bertin » (voir le tableau d'Ingres, 1832). L'artiste ne sert à rien ; pis, il est différent, donc ridicule, à la limite inquiétant. Il suffit d'observer ses mœurs : vaisselle de crânes (les Jeunes-France), barbes, moustaches ou gilet rouge (Gautier), cheveux longs, les romantiques sont la provocation même. À la première d'Hernani, l'un d'eux ose crier aux vieux classiques un peu chauves : « À la guillotine, les genoux ! »

 

D'autres cependant, comme Julien Sorel ou Rastignac, veulent réussir dans ce monde médiocre qu’on leur propose. Le premier en tentant une carrière dans l'Église : le noir semble pour l'instant plus rentable que le rouge. Le second, dûment chapitré par son mentor (Vautrin), décide de traiter « ce monde comme il mérite de l'être », d'« entrer dans cette masse d’hommes comme un boulet de canon ou s’y glisser comme une peste ». Certes, il n'y a là que des solutions individuelles et nos jeunes gens ont perdu bon nombre de leurs illusions, mais, au-delà du cynisme, c'est l'ambition qui triomphe, c'est-à-dire, d'une certaine manière, l'envie de vivre. Il ne faut donc pas trop noircir le tableau. Il y a un romantisme dolent ou suicidaire, mais il y a aussi des jeunes gens enthousiastes qui veulent faire une œuvre et conquérir le monde : « Dans l'armée romantique comme dans l'armée d'Italie, tout le monde était jeune » (Gautier, Histoire du romantisme}. Et tous ces jeunes ne sont pas désespérés par principe : au contraire, ils s'amusent beaucoup, festoient, plaisantent et font des calembours, ils ont le sens de l'humour et le goût de l'énergie. « Les plus désespérés sont les chants les plus beaux » (Musset) : encore faut-il les écrire et ce courage-là n'est pas donné à tout le monde. Décidément, que de contradictions. Monarchiste puis libéral, aristocrate et populaire, cynique et plein d’énergie, le romantisme est insaisissable, indéfinissable, en perpétuelle évolution. Il n'y a probablement qu'une seule chose qu'il refuse : la tiédeur.

 

« Les mois des tempêtes ». S’il est impossible de définir le romantisme

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