Le sentiment de la nature dans La Fontaine et Mme de Sévigné.
Publié le 13/02/2012
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L'amour de la nature est inné au coeur de l'homme : faut-il donc s'étonner qu'il occupe une place importante dans la littérature de tous les pays et qu'il ait toujours été l'une des sources d'inspiration les plus riches? Diverses causes le compriment-elles un instant, il parvient encore à s'échaper par quelque fissure en attendant que, d'une poussée victorieuse, il deborde et s'épanche à larges flots. Ainsi en a-t-il été chez nous au xviie siècle.
Si fécond par ailleurs, notre grand siècle offre à ce point de vue une stérilité quasi désolante, particulièrement après 1640. On dirait que la simple nature du bon Dieu lui semble roturière, et qu'il la méprise....

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aussi, toute fraiche et vierge, leur poesie penetrante.
Its n'y sont point
minutieusement dessines - le genre de la fable ne le permettait pas - mais
en quelques coups de crayon, ebauches seulement.
La Fontaine ne les peint
pas pour l'unique plaisir de peindre; it subordonne ses croquis au recit,
dont ils ne sont en somme qu'un accessoire.
Et ainsi, outre leur beaute
propre, les vers les plus pittoresques en empruntent une autre a la fonction
qu'ils remplissent dans l'ensemble, fonction utile pour le moins, necessaire
souvent, et telle qu'on ne pourrait ni les supprimer, ni en retrancher parfois
meme un mot sans compromettre le tout.
Au surplus, cette sobriete qui
revele l'ecrivain du xvir siecle donne aux esquisses sommaires du fabuliste
une seduction que n'auraient point des tableaux acheves.
A quoi bon d'ail-
leurs dresser un scrupuleux inventaire de lieux qui nous sont familiers?
Par la delicatesse et la vivacite des couleurs, le luxe et la precision ,,des details, un poke peut eblouir et enchanter notre imagination, mais en meme
temps il la tient en lisiere, il la force a le suivre et l'oblige a ne voir que ce
gull vent bien.
De la, pour elle, si jalouse de sa liberte, une effort et une
gene.
La Fontaine, lui, entr'ouvre la porte : la vagabonde s'echappe et
prend son envolee.
Ne nous est-il pas arrive d'oublier, des les premiers
vers, le reste de la fable? Sous l'evocation magique d'une tres simple phrase,
surgissait soudain dans notre souvenir un coin de fork, un pan de colline,
l'angle d'ttn champ, qui nous retenait delicieusement captives.
Mais ces paysages ne sont point vides; des scenes charmantes les animent
et les completent, dont les acteurs sont precisement les bates que l'on peut
voir tour les jours errer dans la campagne.
Merne discretion et exactitude
A leur egard, et aussi m8me effet prodult.
Un croquis simplifle, moins encore,
une silhouette; et cependant, grace a l'heureux choix des lignes caracteris-
tiques, le portrait se detache avec un relief singulier, et il nous apparait si
vivant que nous nous prenons maintes fois a suivre bonnement, naivement,
les faits et, gestes des personnages, sans souci des lecons de morale qu'ils
sont charges de nous donner, tout,en y insistant' si peu!
Enfin ce qui est encore admirable, c'est la parfaite convenance de
l'expression.
On ne saurait imaginer un style plus naturel et plus naïf; pas
la moindre apparence de pretention; mais, chaque ligne, de ces mots sa-
voureux qui ont garde un goat de terroir et semblent cueillis d'hier sur des
levres de paysans.
Ainsi dans l'ceuvre du fabuliste, rien qui Monne; tout
s'harmonise merveilleusement et concourt a faire passer dans l'Ame du lec- teur le sentiment profond et vrai eprouve par le poke en face de la nature.
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Ce sentiment est d'un rural chez La Fontaine; il est d'une marquise chez
Mme de Sevigne.
Les champs n'ont pas verse au cur de la grande dame cette 4 douceur secrete ) qui grisait le Bonhomme; elle n'entend point leur
langage, ou l'entend mal.
En tournant les pages d'un livre grave, elle a regarde a travers la grille
de son château; au loin, des paysans courbes peinaient sur les sillons, et il
lui a paru qu'ils 4 batifolaient ).
Les vieux chemins de Bretagne, ombreux
en ate comme des charmilles et pleins de gazouillements, elle semble ne
les avoir vus qu'en hiver : sa berline s'y enfoncait jusqu'a l'essieu, et genti- ment elle les a maudits.
Du nord au sud, de l'est a l'ouest de la France, elle
a fait de longs et frequents voyages par des contrees pittoresques, et les
seuls souvenirs de menus incidents de coche ou de bateau en sont restes
dans ses lettres.
A la verite, il est parle dans l'une d'elles, et d'une maniere
tres agreable, de cailles, de perdreaux et de tourterelles, de melons, de
figues et de muscats; mais fruits et volatiles tronaient sur la table.
C'est
done tout autre chose que l'effusion d'un sentiment poetique.
Il semble bien que son amour de la nature ne s'etende guere au dela des
limites de son pare.
A Livry, et surtout aux Rochers, c'est dans son pare
qu'elle passe ses journees quand il fait beau.
La, elle lit et cause, ou rave
a sa fille; elle guette l'arrivee du printemps, jouit du triomphe du mois de
mai, assiste aux adieux de l'automne.
Elle y vient cueillir des fleurs d'oran-
ger, fleurs distinguees; &outer le rossignol, noble oiseau, et, des mine
petites voix qui emplissent le fourre, elle n'entend que celle-la.
Sur Pecorce des arbres, elle se distrait a graver des devises spirituelles, et son imagi-
nation de precieuse erudite s'amuse a peupler de Dryades et de Sylvains
la solitude des bosquets.
aussi, toute fraîche et vierge, leur poésie pénétrante.
Ils n'y sont point minutieusement dessinés ·- le ~enre de la fable ne le permettait pas - mais en quelques coups de crayon, ebauch~s.
seulement.
La Fontaine ne les peint pas pour l'unique plaisir de peindre; il subordonne ses croquis au récit, dont ils ne sont en somme qu'un accessoire.
Et ainsi, outre leur beauté _propre, les vers les plus pittoresques en empruntent une autre à la fonction qu'fis remplissent dans l'ensembfe, fonction utile pour le moins, nécessaire souvent, et telle qu'on ne pourrait ni les supprimer, ni en retrancher r.arfois même un mot sans compromettre le tout.
Au surplus, cette sobrieté qui révèle l'écrivain du xvn• siècle donne aux esquisses sommaires du fabuliste une séduction que n'auraient point.
des tableaux achevés.
A quoi bon d'ail leurs dresser un scrupuleux inventaire de lieux qui nous sont familiers? Par la délicatesse et la vivacité des couleurs, le luxe et la précision d.ç.s détails, un poète peut éblouir et enchanter notre imagination, mais en même temps il la tient en lisière, il la force à le suivre et l'oblige à ne voir que ce qu'il veut bien.
De là, pour elle, si jalouse de sa liberté, une effort et une ·gêne.
La Fontaine, lui, entr'ouvre la porte : la vagabonde s'échappe et prend.
son envolée.
Ne nous est-il pas arrivé d'oublier, dès les premiers vers, le reste de la fable? Sous l'évocation magique d'une très simple phrase, surgissait soudain dans notre souvenir un coin de forêt, un pan de colline, l'angle d'un champ, qui nous retenait délicieusement captives.
Mais ces paysages ne sont point vides; des scènes charmantes les animent et les complètent, dont les acteurs sont précisément les bêtes que l'on peut voir tous les jours errer dans la camv.agne.
Même discrétion et exactitude à leur égard, et aussi même effet prodmt.
Un croquis simplifié, moins encore, une.
silhouette; et cependant, grace à l'heureux choix des lignes caractéris tiques, le portrait se détache avec un relief singulièr, et il nous apparaît si vivant que nous nous prenons maintes fois à suivre bonnement, naïvement, les faits et gestes des personnages, sans souci des leçons de morale qu'ils sont chargés de nous donner, tout.
en y insistant si peul Enfin ce qui est encore admirable, c'est la parfaite convenance de l'expression.
On ne saurait imaginer un style plus.
naturel et plus naïf; pas la moindre apparence de prétention; mais, à chaque ligne, de ces mots sa voureux qui ont gardé un goût de terroir et semblent cueillis d'hier sur des lèvres de paysans.
Ainsi dans l'œuvre du fabuliste, rien qui détonne; tout s'harmonise merveilleusement et concourt à faire passer dans l'âme du lec teur le sentiment profond et vrai éprouvé par le poètè en face de la nature.
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Ce 5entiment est d'un rural chez La Fontaine; il est d'une marquise chez Mme de Sévigné.
Les champs n'ont pas versé au cœur de la grande dame cette «douceur secrète» qui grisait le Bonhomme; elle n'entend point leur langage, ou l'entend mal.
En tournant les pages d'un livre grave, elle a regardé à travers la grille de son château; au loin, des paysans courbés peinaient sur les sillons, et il lui a paru qu'ils « batifolaient ».
Les vieux chemins de Bretagne, ombreux en été comme des charmilles et pleins de gazouillements, elle semble ne les avoir vus qu'en hiver : sa berline s'y enfonçait jusqu'à l'essieu, et genti ment elle les a maudits.
Du nord au sud, de l'est à l'ouest de la France, elle
a fait de longs et fréquents voyages par des contrées pittoresques, et les seuls souvenirs de menus incidents de coche ou de bateau en sont restés dans ses lettres.
A la vérité, il est parlé dans l'une d'elles, et d'une manière très agréable, de cailles, de perdreaux et de tourterelles, de melons, de figues et de muscats; mais fruits et volatiles trônaient sur la table.
C'est donc tout autre chose que l'effusion d'un sentiment poétique.
Il semble bien que son amour de la nature ne s'étende guère au delà des limites de son parc.
A Livry, et surtout aux Rochers, c'est dans son parc qu'elle passe ses journées quand il fait beau.
Là, elle lit et cause, ou rêve à sa fille; elle guette l'arrivée du printemps, jouit du triomphe du mois de mai, assiste aux adieux de Jlautomne.
Elle y vient cueillir des fleurs d'oran ger, fleurs distinguées; écouter le rossignol, noble oiseau, et, des mille petites voix qui emplissent le fourré, elle n'entend que celle-là.
Sur l'écorce des arbres; elle se distrait à graver des devises spirituelles, et son imagi nation de précieuse érudite s'amuse à peupler de Dryades et de Sylvains la solitude des bosquets..
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