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Le Temple du Goût (1733) - Un parallèle entre Corneille et Racine

Publié le 01/04/2011

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corneille

Ce grand, ce sublime Corneille, Qui plut bien moins à notre oreille Qu'à notre esprit, qu'il étonna ; Ce Corneille, qui crayonna L'âme d'Auguste et de Cinna, De Pompée et de Cornélie, Jetait au feu sa Pulchérie, Agésilas et Suréna, Et sacrifiait sans faiblesse Tous ces enfants infortunés, Fruits languissants de sa vieillesse, Trop indignes de leurs aînés. Plus pur, plus élégant, plus tendre, Et parlant au cœur de plus près, Nous attachant sans nous surprendre, Et ne se démentant jamais, Racine observe les portraits De Bajazet, de Xipharès, De Britannicus, d'Hippolyte. A peine il distingue leurs traits : Ils ont tous le même mérite, Tendres, galants, doux et discrets; Et l'amour, qui marche à leur suite, Les croit des courtisans français. COMMENTAIRE : I. — But de l'ouvrage Dans Le Temple du Goût, paru en 1733, Voltaire passe en revue, sous une forme allégorique où alternent les vers et la prose, les écrivains du XVIIe siècle. L'accès de ce temple est fermé aux médiocres, puisque même ceux qui ont connu en leur temps la célébrité n'y sont pas tous admis. Aussi la Bibliothèque n'offre-t-elle aux visiteurs que quelques livres assez rares. Seuls, quelques écrivains y ont été acceptés et ils sont occupés à y corriger leurs œuvres. C'est ce que font Racine et Corneille dans la page que nous avons à commenter. Cet extrait permet de connaître la méthode critique de Voltaire, son idéal esthétique et ses ambitions littéraires.   

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« Racine.

C'est que pour lui les grands écrivains du XVIIe siècle représentent, sinon la perfection qui n'est pas de cemonde, du moins les modèles qu'il a constamment en vue.

Il les cite partout, notamment dans sa Correspondancepour les opposer à ceux du XVIIIe, qui lui paraissent, du point de vue sinon philosophique du moins esthétique, bieninférieurs à leurs aînés du siècle précédent.

Le génie n'a qu'un temps, écrira-t-il, après quoi il faut qu'il dégénère. Cette admiration est si exclusive qu'il n'hésite pas à préférer les classiques aux Anciens.

Il les met bien au-dessusdes Grecs qu'il connaît et juge assez mal, mais aussi au-dessus des Latins qui ne trouvent grâce à ses yeux — c'estle cas d'Horace ou de Virgile — que dans la mesure où leurs œuvres préfigurent celles de Boileau ou de Racine. L'art, expression de la civilisation S'il en est ainsi, c'est parce que, selon lui, l'art ne peut être que l'expression d'une civilisation raffinée.

L'œuvre deRacine étant le reflet d'une société aux mœurs polies qui a contribué à former son génie et son goût, son théâtreest bien supérieur à celui de Corneille. Les traits de quelques-uns de ses personnages peuvent paraître trop adoucis ou trop galants, il n'en reste pasmoins vrai que, par toutes ses qualités, Racine a largement dépassé son modèle.

C'est cette idée que ce texte meten relief.

C'est elle qui reviendra, presque dans les mêmes termes, dans le Siècle de Louis XIV où on lira: Racinepassa de bien loin et les Grecs et Corneille dans l'intelligence des passions et porta la douce harmonie de la poésie,ainsi que les grâces de la parole, au plus haut point où elles puissent parvenir. Le goût En dépit des efforts louables qu'il a faits pour distinguer avec ses contemporains le goût absolu et le goût relatif etéveiller ainsi l'attention du public pour des formes d'art non traditionnelles, comme le théâtre de Shakespeare,Voltaire est en effet toujours resté fidèle à l'idéal esthétique du XVIIe siècle.

La preuve en est qu'après 1750, ils'effrayera des innovations1, les déplorera comme des audaces dont il se sentira même en partie responsable,réformera son jugement sur Shakespeare et restera finalement seul défenseur du grand goût menacé.

Les qualitésde naturel, de simplicité, de noble et touchante élégance qu'il salue ici sont des qualités essentiellement classiques.On peut dire que, sur ce point, il ne réformera jamais son jugement. III.

— Ses ambitions littéraires 90 Nous avons vu, en étudiant un fragment de Zaïre que, s'il admirait les classiques et avait cherché à les imiter,Voltaire avait eu aussi l'ambition de rénover la scène française, en y adaptant des procédés dramatiques empruntésà Shakespeare.

Cette ambition de faire neuf et de faire mieux, tout en respectant les normes classiques, a été unedes préoccupations essentielles de Voltaire.

Il voulait donner à une œuvre littéraire relief et couleur tout en gardantau style sa pureté et son élégance.

Ce souci apparaît indirectement dans ce passage du Temple du Goût.

Reprocherà Racine d'avoir trop adouci et uniformisé ses portraits, de ne pas les avoir assez replacés dans le milieu où ilsavaient vécu, et d'en avoir fait des courtisans français, c'était affirmer qu'un écrivain doit donner plus de variété etde réalité à ses créations et essayer de mieux caractériser ses personnages en tenant compte des temps et deslieux.

Derrière la vérité éternelle du type doit apparaître aussi la vérité passagère.

C'est ce qu'on appelle le senshistorique.

Avec plus ou moins de bonheur, Voltaire a voulu réaliser cette ambition dans ses tragédies.

Mais il aconstamment oscillé entre son respect des traditions et ce désir d'originalité.

Il faudra attendre plus d'un siècle pourque ces demi-audaces se réalisent dans le théâtre romantique, mais aux dépens des règles et des goûts chers àBoileau et à Voltaire.. »

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