Le voyage, source d’inspiration du poète

« douloureux. Le thème du voyage nourrit la poésie à la fois par ses détails pittoresques, par l’exaltation qu’il procure ou par le déchirement que représente le départ.

Mais si c’est un motif indéniablement poétique, n’est-ce pas parce que la poésie en elle-même représente une forme de voyage ? L’expérience poétique ressemble en effet à un départ pour un autre monde, à une rupture par rapport à la normalité quotidienne : il s’agit bien là d’une forme de voyage. Tout d’abord, les poètes romantiques ont affirmé au XIXe siècle leur besoin de fuir le monde normalisé, la médiocrité urbaine, pour trouver ailleurs leur idéal.

C’est ce que cherche Alfred de Vigny dans la Maison du berger. La poésie est alors une invitation à un voyage vers un monde idéal.

Baudelaire, en continuité avec cet idéal romantique, imagine dans l’Invitation au voyage, un monde parfait, dont la description évoque la Hollande.

Le refrain harmonieux, sous forme de distique, est à la mesure de cette perfection. Comme Vigny, Baudelaire est celui qui invite au départ. Cependant, le voyage décrit dans cette poésie reste virtuel : ce sont les mots de Baudelaire qui le réalisent, mais il n’aura jamais lieu. Les voyages imaginaires sont en effet nombreux dans les poésies.

Henri Michaux, dans Voyage en Grande Garabagne a inventé tout un univers, à la fois incongru et inquiétant : il décrit dans ses poèmes en prose les m œurs étranges de nombreuses peuplades imaginaires, à la manière d’un ethnologue.

Quant à Francis Ponge dans « le pain », c’est un morceau de pain qui suffit à le faire voyager.

Sa surface est décrite avec des termes de géographie physique.

Sa croûte s’apparente à la croûte terrestre.

La poésie est donc pour ces poètes le meilleur moyen de voyager : l’imagination est leur seul moyen de transport. La poésie serait donc avant tout un départ intérieur vers un autre monde.

Arthur Rimbaud décrit d’ailleurs cette expérience dans « le Bateau Ivre ».

L’embarcation subit une sorte de naufrage personnel solitaire, et en rompant avec toutes ses amarres, elle atteint des profondeurs sous-marines insoupçonnées, où ses visions sont extraordinaires.

Cette aventure maritime est une métaphore de l’itinéraire intérieur du poète, qui rompt avec le monde ordinaire, se noie dans une réalité autre, d’où il rapporte des images inédites.

Ce n’est pas un hasard si Rimbaud a interrompu sa carrière de poète pour mener une vie d’aventurier voyageur : ces deux parties de son existence révèlent le même besoin de partir, même si ce n’est pas de la même façon. La poésie constitue bien une forme de voyages puisqu’elle exprime souvent une volonté de rupture avec le monde ordinaire, elle suit les voies de l’imaginaire. 2. »