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LECTURE MÉTHODIQUE : Le vieillard et les trois jeunes hommes - La Fontaine

Publié le 01/10/2010

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La Fontaine évoque souvent le thème de la vieillesse à travers divers personnages, hommes et bêtes : on trouve dans l'ensemble des fables trois Vieillards (IV, 18 ; VI, 8 ; XI, 8), une Vieille (V, 6), un vieux Chat (XII, 5), sans compter le centenaire de « La Mort et le Mourant « (VIII, 1). Dans cette fable inspirée par Abstemius, il s'agit d'un octogénaire et de « trois jouvenceaux « qui peuvent nous faire penser, à cause du chiffre, aux trois fils de la fable « Le Vieillard et ses enfants « (Livre IV, 18). L'expérience et la sagesse l'emportent sur la fougue de la jeunesse, mais dans le Livre XI, la leçon est plus cruelle, car les jeunes gens perdent non pas leur fortune, mais leur vie. On distingue trois parties : les railleries des jeunes hommes (v. 1-12), la défense du Vieillard (v. 13-27), le châtiment (v. 28-36). La Fontaine nous fait progressivement passer de la raillerie à la tragédie, de la parole à l'action.

Le Vieillard et les trois jeunes Hommes  Un octogénaire plantait. Passe encor de bâtir ; mais planter à cet âge ! Disaient trois jouvenceaux, enfants du voisinage ; Assurément il radotait. Car, au nom des Dieux, je vous prie, Quel fruit de ce labeur pouvez-vous recueillir ? Autant qu'un Patriarche il vous faudrait vieillir. A quoi bon charger votre vie Des soins d'un avenir qui n'est pas fait pour vous ? Ne songez désormais qu'à vos erreurs passées : Quittez le long espoir et les vastes pensées ; Tout cela ne convient qu'à nous. - Il ne convient pas à vous-mêmes, Repartit le Vieillard. Tout établissement Vient tard et dure peu. La main des Parques blêmes De vos jours et des miens se joue également. Nos termes sont pareils par leur courte durée. Qui de nous des clartés de la voûte azurée Doit jouir le dernier ? Est-il aucun moment Qui vous puisse assurer d'un second seulement ? Mes arrière-neveux me devront cet ombrage : Eh bien défendez-vous au Sage De se donner des soins pour le plaisir d'autrui ? Cela même est un fruit que je goûte aujourd'hui : J'en puis jouir demain, et quelques jours encore ; Je puis enfin compter l'Aurore Plus d'une fois sur vos tombeaux. Le Vieillard eut raison ; l'un des trois jouvenceaux Se noya dès le port allant à l'Amérique ; L'autre, afin de monter aux grandes dignités, Dans les emplois de Mars servant la République, Par un coup imprévu vit ses jours emportés. Le troisième tomba d'un arbre Que lui-même il voulut enter ; Et pleurés du Vieillard, il grava sur leur marbre Ce que je viens de raconter. Jean de la Fontaine - Les Fables

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« J'en puis jouir », « Je puis enfin compter » et l'interrogative « défendez-vous au Sage ». Une leçon d'humilitéContrairement à celles des jeunes gens, les deux questions du Vieillard révèlent son incertitude et son ignorance (v.18-19 : « Qui de nous des clartés de la voûte azurée / Doit jouir le dernier ? »), mais la solennité est renforcée parles alexandrins, les rimes plates et le martèlement des dentales (v.

18-19) et des sifflantes au vers suivant (avec unrythme très régulier, y.

20 : 3/3 // 3/3 « Qui vous puisse / assurer // d'un second / seulement ? »).

L'effet dedéséquilibre des enjambements (v.

14-15, 18-20), la fluidité rapide des liquides, les termes monosyllabiques (v.

15-16) et le rythme binaire lié à la loi de l'alternance (« tard », « peu », « vous », « miens ») soulignent la fragilité del'existence humaine.

À l'égoïsme des jeunes gens s'oppose l'humble altruisme du Sage qui est cependant conscientd'être la voix de la vérité, d'où la répétition de « je », les allitérations " en [j] (v.

24-26) et le resserrementsentencieux " des octosyllabes (v.

26-27).

Avec les verbes « goûte » et « jouir », il reprend le message du carpediem épicurien. • Le châtiment (v.

28-36)Le Vieillard n'est pas rancunier ; il se trouve simplement qu'il prend involontairement sa revanche, car la suite desévénements lui donne raison.

Après la pause marquée par les deux discours opposés, le récit reprend avec lesmêmes termes qu'au début (« trois jouvenceaux ») et son rythme s'accélère, puisque les verbes d'action et demouvement au passé simple (« noya », « vit », « tomba », « voulut ») ont remplacé les imparfaits de durée etd'habitude des premiers vers (« plantait », « disaient », « radotait »).

La juxtaposition des dernières phrases (v.

28-34) donne une impression de rapidité fatale accentuée par l'enchaînement et le « Et » final (v.

35).La mort du premier illustre la vision négative que La Fontaine a des voyages (IX, 2 : « Les Deux Pigeons », X, 2 : «La Tortue et les Deux Canards » avec l'allusion à « l'Amérique »).

La mort du deuxième évoquée dans un mouvementascendant (v.

30-31), puis descendant (v.

32) rappelle la fin de « La Mort et le Mourant » (VIII, 1, y.

55-58 : « voisces jeunes mourir, / Vois-les marcher, vois-les courir / À des morts, il est vrai, glorieuses et belles »).

La mort lamoins glorieuse n'a droit qu'à des octosyllabes et ironie du sort, le jeune homme a voulu imiter le Vieillard (v.

33-34 :« Le troisième tomba d'un arbre / Que lui-même il voulut enter.

»). • La Fontaine montre encore une fois que le péché d'orgueil et les paroles téméraires sont punis.

Il préfère laretraite contemplative du Sage auquel il s'identifie, à l'action et au mouvement qui ne sont plus de son âge et deson goût.

Il n'a pas besoin de mettre en relief la morale qui apparaît déjà à l'intérieur de la fable, car le Vieillard estle porte-parole du fabuliste (v.

35-36: «Et pleurés du Vieillard, il grava sur leur marbre / Ce que je viens de raconter»).

La fable est métaphoriquement mise en abyme à travers l'évocation du marbre des tombeaux qui symbolise lerêve d'éternité de l'écrivain.. »

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