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L'empreinte - Anna de NOAILLES, Le Cœur innombrable

Publié le 28/02/2011

Extrait du document

   Je m'appuierai si bien et si fort à la vie, D'une si rude étreinte et d'un tel serrement Qu'avant que la douceur du jour me soit ravie Elle s'échauffera de mon enlacement.    La mer, abondamment sur le monde étalée, Gardera dans la route errante de son eau Le goût de ma douleur qui est âcre et salée Et sur les jours mouvants roule comme un bateau.    Je laisserai de moi dans le pli des collines La chaleur de mes yeux qui les ont vu fleurir Et la cigale assise aux branches de l'épine Fera vibrer le cri strident de mon désir.    Dans les champs printaniers la verdure nouvelle Et le gazon touffu sur le bord des fossés Sentiront palpiter et fuir comme des ailes Les ombres de mes mains qui les ont tant pressés.    La nature qui fut ma joie et mon domaine Respirera dans l'air ma persistante odeur Et sur l'abattement de la tristesse humaine Je laisserai la forme unique de mon cœur...    Anna de NOAILLES, Le Cœur innombrable, 1901.

Vous ferez de ce texte un commentaire composé que vous organiserez à votre gré, en veillant toutefois à ne pas séparer la forme et le fond. Vous pourriez montrer, par exemple, comment les adieux à la vie sont aussi un hymne à la vie.   

« Or loin d'être romantiquement mélancolique, cette annonce de la mort est présentée de façon très sereine.

Seulela périphrase déjà citée (1ere strophe) aurait pu laisser percer quelque inquiétude.

L'opposition entre « douceur dujour » et « ravie » (verbe beaucoup plus fort que « prendre ») aurait pu annoncer une suite plus angoissée.

Mais iln'en est rien.

Le poème est peut-être un adieu à la vie, mais ce n'est pas un adieu au monde, à la nature... Tel est le sens premier à donner à cette image de l'« empreinte » développée au cours du texte.

Même si ellemeurt, Anna de Noailles laisse dans le monde cette « empreinte » sous toutes formes, même la plus subtile : « La nature qui fut ma joie et mon domaine Respirera dans l'air ma persistante odeur ».

Faut-il donner à cette «empreinte » une résonnance païenne, voire matérialiste (voir Rappel de connaissances) ? Peut-être Anna de Noaillespense-t-elle que son être va réintégrer le cycle éternel de la nature et de la vie, en une nouvelle renaissance.

Denombreux termes du poème évoquent cette idée de renouveau : « fleurir », « printaniers », « verdure nouvelle »,ainsi que ce passage de l'eau à la terre, de la terre aux végétaux, des végétaux aux animaux, au cours dudéroulement du texte ; n'est-ce pas aussi l'évocation d'une création, d'une naissance qui s'achèverait par un crivital : « le cri strident de [son] désir » ? 3.

Second thème : Hymne à la vie, à la Nature Ainsi ce testament est-il en réalité un chant vital, un cri d'amour adressé à la Nature, un véritable épithalame (voirRappel de connaissances) même.

Car la nature et la jeune femme fusionnent, ne font qu'un.

Cette fusion finale ettotale avec l'univers, la forme même du poème l'indique : les rimes croisées sont à l'image de cette interpénétration.Ainsi Anna de Noailles mêle-t-elle ses larmes aux eaux de la mer.

Elle n'utilise d'ailleurs pas le terme « larmes » maisune image : « Le goût de ma douleur, qui est âcre et salée ».

Autre assimilation, celle de la poétesse et de la cigale, puisque le« cri » vient de l'insecte et le sentiment vient de la femme, ce « cri strident de mon désir », précise-t-elle à traversle possessif 1ere personne « mon ».

L'allitération de la vibrante r (voir Vocabulaire technique) et l'assonance en /modulent d'ailleurs le vers comme un crissement de cigale.

De plus Anna de Noailles prête à la bête une attitudehumaine la disant « assise aux branches de l'épine ». Ce thème de la fusion est d'ailleurs cher à la poétesse ; elle le reprend fréquemment par la suite comme entémoigne ces vers de Surprise (1907) : « Et l'azur à mon corps mêle si bien sa trame Qu'il semble brusquement à mon regard surpris Que ce n'est pas cepré, mais mon œil qui fleurit...

».

Elle se fond aussi en la nature aimée.

Amour qui est véritablement sensuel : lafusion est relation amoureuse, traduite par les noms « étreinte », « serrement », « enlacement », renforcés par desadjectifs « une si rude étreinte » et des expressions d'intensité : « si », « tel », « fort », « bien ».

Chacune d'entreelles — nature, jeune femme — apporte à l'autre.

Par exemple c'est Anna qui transmet à la nature la chaleur, le feupassionnel, puisque : « Elle s'échauffera de mon enlacement », ou : « Je laisserai de moi dans les plis des collines La chaleur de mes yeuxqui les ont vu fleurir ».

L'alliance des noms « chaleur »-« yeux » n'est-elle pas preuve de l'amour pour la nature,amour lu dans ses yeux ? L'esprit même de la jeune femme semble flotter sur cette nature qu'elle adore : son corps n'a plus de réalité, maiselle est toujours présente en esprit, car « l'ombre de [ses] mains » caresse encore « le gazon touffu ».

Le verbe «palpiter » et le mot « ailes » apportent également une impression aérienne, irréelle.

L'âme de la jeune femme sembledonner à la nature une souffle supplémentaire de vie, en devenant la « persistante odeur » respirée par le monde,par cette...

« nature qui fut ma joie et mon domaine ».

Nature et 1ere personne constituent un véritable couple. C'est donc un échange total qui s'établit entre Anna et la Nature.

Cette dernière reflétera ainsi l'amour que luiportait charnellement la jeune femme et qui apparaîtra dans chaque parcelle de l'univers, source de son bonheur.Elle sera tour à tour « air », son, chaleur, « ombre », parfum ; la nature aura, elle, la « forme unique de [son] cœur», après qu'Anna aura perçu le monde par tous ses sens. Ainsi cette nature qui est tout pour elle est-elle magnifiée en certains de ses principaux Éléments.

C'est Y Eau : «La mer, abondamment sur le monde étalée »..., l'eau et son mouvement éternel, à « la route errante » scandée parl'allitération de la vibrante r.

C'est la Terre et le règne végétal.

Ils semblent provenir du mouvement de la mer.L'évocation est marquée d'une progression originale.

De la mer en surface plane, « étalée », on passe à la mer enmouvement, celui-ci renforcé par le verbe « roule » et l'adjectif « mouvants », de là semble naître un mouvement dela terre figé d'ailleurs en « pli », celui des « collines ».

Les voici enfin qui s'aplanissent en « champs ».

Apparaît donc uneharmonie naturelle, puisque ces Éléments correspondent et se complètent jusqu'au passage aux végétaux, traduitpar « fleurir ».

L'évocation réelle du Règne végétal crée un tableau champêtre à la saison du renouveau. « Dans les champs printaniers la verdure nouvelle Et le gazon touffu sur les bords des fossés ».... »

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