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L'empreinte d'Anna de Noailles (commentaire)

Publié le 30/03/2011

Extrait du document

Je m'appuierai si bien et si fort à la vie, D'une si rude étreinte et d'un tel serrement Qu'avant que la douceur du jour me soit ravie Elle s'échauffera de mon enlacement. La mer, abondamment sur le monde étalée, Gardera dans la route errante de son eau Le goût de ma douleur qui est âcre et salée Et sur les jours mouvants roule comme un bateau. Je laisserai de moi dans le pli des collines La chaleur de mes yeux qui les ont vu fleurir Et la cigale assise aux branches de l'épine Fera vibrer le cri strident de mon désir. Dans les champs printaniers la verdure nouvelle Et le gazon touffu sur le bord des fossés Sentiront palpiter et fuir comme des ailes Les ombres de mes mains qui les ont tant pressés.  

La nature qui fut ma joie et mon domaine Respirera dans l'air ma persistante odeur Et sur l'abattement de la tristesse humaine Je laisserai la forme unique de mon cœur... Anna de Noailles, « Le Cœur innombrable « (1901) Vous ferez de ce texte un commentaire composé que vous organiserez à votre gré, en veillant toutefois à ne pas séparer la forme et le fond. Vous pourriez montrer, par exemple, comment les adieux à la vie sont aussi un hymne à la vie.

« [...] Respirera dans l'air ma persistante odeur ».

Cette quête sensuelle diversifiée et quasi exhaustive emprunte sa forceà l'étreinte amoureuse comme le montrent la première strophe avec notamment le terme « enlacement » et le vers12 : « [...] le cri strident de mon désir ». La sensualité n'est pas gratuite puisqu'elle permet de goûter le monde et surtout, grâce à un échange réciproque,d'imprégner en retour la nature de son corps et de laisser un témoignage humain.

C'est ainsi qu'il faut comprendre letitre du poème, le principe d'organisation du texte et les échanges de vocabulaire. Le titre du poème « L'Empreinte » fait allusion à cette communion entre l'individu et la nature.

Celle-ci ne meurt pascar elle s'inscrit dans le temps cyclique, qui se renouvelle et se répète au gré des saisons, à la différence de l'êtrehumain.

Cette constatation alimentait déjà les poèmes de Ronsard (« Quand je suis vingt ou trente mois ») : « Bois,bien que perdriez tous les ans En hiver vos cheveux mourants L'an d'après qui se renouvelle Renouvelle aussi votrechef.

» Le constat est ici dépassé et transformé par une certitude optimiste.

L'amour éprouvé pour la nature est plus fortque la mort et transmet une forme d'immortalité à l'être humain.

Chaque strophe évoque un contact charnel unecommunion entre la nature et la jeune femme.

La première strophe est un éloge de la vie à travers le corps etl'étreinte charnelle : « Je m appuierai si bien et si fort à la vie » (v 1), La seconde utilise une analogie de goût entre la mer et les larmes.La troisième strophe démultiplie ces liens.

Elle évoque les collines vues par la jeune femme, l'attente devant lafloraison et assimile le chant de la cigale au cri du désir.

La quatrième strophe met en scène la survie de l'individu.Les mains, comme des fantômes ou des oiseaux, reviennent toucher la végétation : « Sentiront palpiter et fuir comme des ailes Les ombres de mes mains qui les ont tant pressées » (v 15 et 17).

Enfinla dernière strophe après deux vers concrets sur l'échange des parfums, s'ouvre à la réflexion abstraite : « Et sur F abattement de la tristesse humaine Je laisserai la forme unique de mon cœur » (v 19 et 20).

Cette notiond'échange se retrouve directement dans le choix du vocabulaire.

De même que les sensations se communiquent, lesfrontières entre les zones de vocabulaire imposées par la logique sautent, prélude à un nouveau panthéisme. Les mots concrets et abstraits s'unissent.

La première strophe abonde en termes évoquant une présence physique(s'appuyer, étreinte, serrement, enlacement) qui renvoient à un terme abstrait : « Je m'appuierai si bien et si fort à la vie » (v 1), La figure rhétorique de la comparaison permet évidemment cestransgressions d'une réalité à l'autre.

La stridence du cri renvoie à l'être amoureux et à la cigale (v 11 et 12), lesmains de la disparue sont comparées à des oiseaux : « Sentiront palpiter et fuir comme des ailes » (v 15).

La proximité des sensations et des mots donne naissance,autorise des glissements.

Dans la deuxième strophe, on passe ainsi de la mer aux larmes et la lancinante douleurtangue comme un navire : « Et sur les jours mouvants roule comme un bateau » (v 8).

De même que l'être humain inscrit sa présence dans lanature, celle-ci est douée de vie.

Elle « s'échauffe » (v 4), elle « respire » (v 18). La sensualité et l'amour de la vie sont à l'origine d'une profonde communion, d'un authentique échange.

Si la mortest inéluctable, elle est conjurée et vaincue. * * * Paradoxalement, le poème est conjointement un adieu à la vie et une célébration de celle-ci.

La mort n'est jamaisdirectement évoquée, la nature prend les attributs de la vie et le ton n'est jamais celui de la douleur, puisque lapoétesse est sûre de ne pas mourir. La mort est évoquée au détour de périphrases, euphémismes qui atténuent le tragique, comme au troisième vers : « Qu'avant que la douceur du jour me soit ravie », La douleur de quitter cette terre apparaît néanmoins dans laseconde strophe du poème : « Le goût de ma douleur qui est âcre et salée » (v 7).

Mais rapidement, la sérénité due à l'assurance de survivredans la nature nuance cette expression violente.

L'évocation des mains est au contraire gracieuse et fait davantagesonger aux oiseaux qu'au royaume des morts : « Sentiront palpiter et fuir comme des ailes Les ombres de mes mains qui les ont tant pressées » (v 15 et 16).

Letexte procède en gommant l'idée de la mort, celle-ci apparait ainsi pudiquement grâce à un passé simple : « La nature qui fut ma joie et mon domaine » (v 17), qui se fond lui-même dans le présent intemporel de la nature.. »

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