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L'épopée et la littérature

Publié le 05/12/2018

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ÉPOPÉE. Le substantif « épopée » est enregistré par les dictionnaires dès 1690 (l’adjectif « épique » [qui raconte en vers une action héroïque] apparaît à la fin du xvie siècle); étymologiquement, emprunt savant au grec épo-poia (œuvre de l'épopoios, « producteur de récits en vers »), formé du verbe poïein (faire, fabriquer) et du substantif épos (originellement, ce qui est exprimé par la parole; le mot ancien wepos s’apparente au latin vox, la voix). L'épopée est donc la mise en forme d'une parole primordiale, essentielle — l'épos —, proférée par les poètes primitifs qui disent la genèse et la vérité du monde. Elle devient, à l’époque alexandrine, un genre littéraire, que définit ainsi, au XVIIIe siècle, l’abbé Batteux : « Le récit poétique d’une action héroïque et merveilleuse ». A partir du XIXe siècle se développe un sens dérivé qui ne dénote plus une narration en vers, mais ce qui ressemble, dans la réalité ou dans la littérature, à l’action épique : aventures ou œuvres de longue haleine, avec des épisodes surprenants, héroïques, exaltants, voire peu vraisemblables et sans grande crédibilité (ainsi la destinée de Napoléon, ou les Misérables, roman-fleuve de Victor Hugo, sont souvent qualifiés d*« épiques »).  De la « geste » au rejet  Au Moyen Âge, avant l’emprunt d’« épopée », la langue française utilise « chanson de geste » (littéralement « poème de récits historiques ») ou, plus simplement, « geste » (du latin gesta, les actions accomplies), qui désigne à la fois épopée et cycle d’œuvres épiques centrées sur un personnage ou un lignage. Au xive siècle apparaît l’expression « poème héroïque », qui se réfère au protagoniste, le héros (originairement demi-dieu, fils d’un être immortel et d’un humain, comme Achille ou Énée) elle remplit l’interrègne entre l’ancienne « geste » et « épopée », qu’elle concurrence même, à l’époque classique, en désignant plutôt le fond (l’histoire racontée) que la forme (la narration).  L’épopée tend à nous apparaître comme un dinosaure de la littérature, une forme indigeste d’archéopoésie; elle fut pourtant, dans la hiérarchie classique des genres, le  grand poème par excellence, le chef-d’œuvre où se déployaient le souffle, la sublimité, le sens des proportions et l’éclat varié du style qui signalaient un poète majeur. Cette distance entre l’absence de l’épopée aujourd’hui et sa présence impériale hier impose de définir strictement un objet qu’on perçoit surtout comme un signifiant métaphorique sans contenu intrinsèque précis et d’en délimiter l’évolution, de la floraison médiévale à l’éclatement moderne : disparition du genre, mais dispersion féconde des metnbra disjecta de l’épopée sur le champ littéraire.  La triple législation de l'épopée  Les définitions ordinaires de l’épopée s’organisent autour de deux massifs sémantiques : narrativité et valeurs héroïques. Ainsi celle du Robert : « Long poème où le merveilleux se mêle au vrai et dont le but est de célébrer un héros ou un grand fait »; celle du Petit Larousse : « Récit poétique d’aventures héroïques, comme l'Iliade, l'Énéide, etc. » De telles formules appellent beaucoup d’exceptions puisqu’elles ne se fondent pas sur une seule différence spécifique; elles donnent une fausse impression de simplicité, là où les mixtes abondent. Car l’épopée jouit d’un statut littéraire paradoxal : alors que les œuvres longues échappent d’ordinaire à la théorisation et sont abandonnées à une libre additivité d’épisodes (comme le poème didactique ou le roman), elle subit le triple poids d’une rigoureuse législation qui codifie sa forme, sa composition et ses thèmes, depuis la Poétique d’Aristote jusqu'aux travaux des grammairiens du xviiie  siècle.  Sur le plan du langage, l’énonciation épique se caractérise par l’omniscience et l’objectivité d’un narrateur qui s’efface derrière ses descriptions et ses personnages et par la situation d’oralité du poète à l’égard de son public : improvisation sur un ensemble thématique traditionnel, grâce à des soutiens mémoriels stéréotypés (formules, parallélismes, schèmes constants pour évoquer un héros, une action, un paysage). Si l’on passe à l’énoncé proprement dit, la quantité verbale, importante (plusieurs épisodes, répartis en chants ou en journées-séances de récitation), s’accompagne de qualités stylistiques difficiles à cerner dans leur variété, ce « mélange harmonieux des divers tons du style noble » que réclame Marmontel : emploi de la parataxe (les événements, également éclairés par le poète, sont appelés à l’existence l’un après l’autre et situés dans un présent permanent, sans discours explicite qui les subordonne l’un à l’autre); récurrence d’expressions figées (épithètes de nature, métaphores ou images conventionnelles); prédominance de certaines figures (hyperboles et comparaisons); choix d’un vocabulaire élevé; mètre régulier (décasyllabe ou alexandrin), fortement accentué pour soutenir la récitation. Tous ces traits composent un matériau expressif archaïsant, aux effets sommaires et puissants, que l’épopée littéraire tente de raffiner et d’assouplir sans perdre les vertus incantatoires de la primitive déclamation orale.  Les théoriciens classiques ont répertorié avec soin les diverses parties constitutives du poème épique (sa « disposition ») : proposition (exposition du sujet); invocation à la muse ou aux divinités; narration, qui doit ménager l'intérêt, commencer de préférence in médias res (ordre artificiel plus dramatique que l’ordre « naturel », chronologique), comporter des épisodes variés, convergents et subordonnés à l’intrigue centrale; dénouement surprenant, complet et vraisemblable. Mieux vaut, puisque l’épopée est essentiellement « poésie de l’action », comme l’écrit Bowra, analyser la dynamique des rapports entre les « actants » qui sous-tend la narration, cette syntaxe des actions qui est l’armature de toute œuvre épique. Un héros, chef d’une communauté

« d'importance variable (tribale, nationale, religieuse ou idéologique), se voit déléguer par une puissance régula­ trice et ordonnatrice qui donne à l'œuvre sa dimension transcendante (dieux, destin ou providence) une mis­ sion : atteindre un objet (en général une victoire) à tra­ vers une série d'aventures et de conflits violents, en vue d'une finalité qui est, en fin de compte, un meilleur rapport de sa communauté à un environnement transformé.

Des auxiliaires et des adversaires (forces humaines, magiques ou divines) interviennent pour dra­ matiser cene action positive et ascendante qui révèle la grandeur d'un homme, le pouvoir des dieux, la cohésion d'un groupe.

Les constellations thématiques qui se dégagent de la masse épique peuvenr se classer selon leur origine princi­ pale, avec toutes les nuances entre le pur historique et le pur mythique; et, selon leurs affinités de sens avec les genres voisins, en trois ensembles.

Du côté de la tragé­ die, l'austère grandeur des« situations limites)} qu'énu­ mère Karl Jaspers : mort, souffrance, combat, faute; dans l'affrontement, les héros tragique et épique acquiescent à la transcendance du destin et haussent l'existence indi­ viduelle au ni veau des orages métaphysiques et cosmi­ ques où la tragédie est défaite, et 1 'épopée triomphe.

Du côté du conte, qui, lui aussi (mais sur le plan psychologi­ que et familial qui ignore l'histoire et la politique), relate l'émergence d'un héros prédestiné, avec ses ruses, son ingéniosité, son appétit de vie.

Du côté du roman, avec les voyages extraordinaires, les épisodes sentimentaux, toute la pittoresque individualisation d'un protagoniste qui s'éloigne de l'hiératisme premier pour se rapprocher de la complexité évolutive qui signale un goût plus moderne.

Partagés entre le prestige du. »

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