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Les Fleurs bleues de Raymond Queneau : Une critique du Nouveau Roman

Publié le 11/01/2020

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classer parmi les comparses, mais les comparses secondaires, en quelque sorte. Tout, avec lui, paraît s’effilocher et se perdre. Par exemple, il demande une coupe de champagne au patron du bistrot. Mais est-elle réelle, est-elle vraie, cette coupe de champagne ? Queneau, dès la phrase suivante, passe à un emploi métaphorique du mot et à un cliché du langage : « lorsque la coupe est pleine » (p. 98). Il est très occupé (p. 99), comme celui qui, dans Les Gommes, porte le même prénom que lui, l’homme d’affaires Albert Dupont.

Pour qu’il trouve une gouvernante, Albert renverrait volontiers Cidrolin à un bureau de placement (p. 100). Pourtant, il a une activité louche qui ressemble fort à celle d’un proxénète : beaucoup de « petites » passent entre ses mains avant de se retrouver dans un « bordel argentin » ou dans un « harem pétrolier ». Son univers semble aux antipodes de la péniche de Cidrolin, cette « demeure chaste et pure3 » où, exceptionnellement, il placera l’une de ses protégées, Lalix, nouvelle Marguerite de Faust.

Entremetteur, Albert ne veut pas que Cidrolin oublie la commission qui lui est due, même s’il lui consent un rabais de vingt pour cent (p. 102). Cidrolin, d’ailleurs, ne s’attarde pas auprès de lui (p. 103). Albert n’aura été qu’un passant parmi d’autres dans Les Fleurs bleues. Lalix, quand elle parle de lui, lui donne du « monsieur Albert » (p. 143). Au moment où elle s’apprête à quitter Cidrolin, dans le chapitre 20, elle n’a sans doute pas d’autre solution que de « retourner voir monsieur Albert » (p. 263). Elle se retrouve dans un café, où elle ne sait dire que : « J’attends monsieur Albert » (p. 265). Mais monsieur Albert n’est plus qu’un homme de l’ombre. Et par bonheur c’est le canot « fleur bleue », non le harem pétrolier, qui récupérera Lalix à la fin de l’aventure.

Le Nouveau Roman, refusant de « faire concurrence » à l’état civil, à la manière de Balzac, donc de doter chaque personnage d'une

3. Allusion, p. 101, au célèbre air de Faust, l'opéra de Charles Gounod : Salut ! demeure chaste et pure. »

« manque même pas le système duel des Fleurs bleues puisque, dans le roman de Robbe-Grillet, un second Dupont (Daniel} succède comme victime au premier Dupont (Albert).

Le second Dupont est le professeur Daniel Dupont, sans doute le père du détective, Wallas, qui est venu enquêter dans une petite ville du Nord : il est abattu par son fils, comme le roi de Thèbes, Laios, était, dans la tragédie antique, tué par son fils Œdipe.

Le premier est la victime de la veille, exactement vingt-quatre heures plus tôt, un commerçant appelé Albert Dupont.

L'incertitude apparaissait dès le début du livre, quand, dans un café, le patron et un des habitués, Antoine, discutent la nouvelle du jour: -Alors, tu sais la nouvelle ? [ ...

J -Un nommé Albert Dupont, assassiné hier soir, là, juste au bout de la rue! -Daniel.

-Qyoi, Daniel ? -Daniel Dupont.

-Mais non, Albert je te dis ; c'est juste là ...

-D'abord personne n'a été assassinél.

DU CÔTÉ D'ALBERT Or, dans Les Fleurs bleues, les retrouvailles d'Albert (l'ami passablement proxénète qui va recruter pour lui Lalix) et de Cidrolin se sont faites au café, dans un bistrot qui ressemble beaucoup à celui des Gommes.

Albert entre, à la fin du chapitre 7, dans le bar Biture2 où Cidrolin est aux prises avec un patron de bistrot qui est la réplique de celui du Café des Alliés dans Les Gommes.

Si Dupont se révèle un astrologue minable, Albert est, lui aussi, un personnage peu consistant dans Les Fleurs bleues.

On peut le 1.

Les Gommes, Ëd.

de Minuit, 1953, p.

16-17.

2.

Le jeu de mots est double : il porte sur les produits de pharmarcie qui sont dits " bar­ bituriques » (somnifères et calmants puissants dont abusent certains candidats au sui­ cide) ; une biture, en français vulgaire, c'est une. »

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