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Les Goncourt et l’étude physiologique et sociale

Publié le 14/01/2018

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goncourt

Frères Zemganno étaient les seuls ouvrages qui échappaient à cet envahissement des données médicales. Les Goncourt n'ont guère décrit l'apparence physique de leurs personnages ; mais ils ont ausculté leurs organes, repéré l'apparition des symptômes, suivi, dans les profondeurs organiques, les progrès de leur mal. Ils les ont fait mourir des suites de leurs maladies. Charles Demailly présentait un cas de démence scientifiquement analysée. C'était une grande nouveauté dans le roman français, en i86o, que ce tableau clinique d'une névrose. Ils s'étaient inspirés d'un traité savant. Ils ont commis des bévues en attribuant à Charles des troubles qui, dans le traité qu'ils avaient consulté, étaient les symptômes de maladies différentes, et qui ne pouvaient guère se trouver réunies chez le même patient. Il reste que leur roman a bénéficié de données scientifiques. Pour Germinie Lacerteux, ils ont aussi emprunté des indications à un traité sur l’hystérie, mais ils ont suivi eux-mêmes l'évolution de la maladie chez leur servante, ils en ont, dans le roman, retracé les différentes étapes : pleurésie, ulcération pulmonaire, tuberculose, hémoptysie. Ils ont été, en l'occurrence, si avisés dans leur observation sur le vif, qu'ils ont anticipé d'une vingtaine d'années sur les découvertes médicales en établissant, dès 1864, une liaison entre la pleurésie et la tuberculose1.

 

Dans Sœur Philomène, les romanciers nous font assister à une opération du cancer du sein. Renée Mauperin mourait d'une hypertrophie du cœur. C'était aussi une malade que Mme Gervaisais ; une poitrinaire, et son itinéraire spirituel était, selon les romanciers, secrètement lié au progrès de sa maladie. Avec elle, ils prétendaient étudier les influences de la tuberculose sur l'exaltation mystique. Lors d'un dîner Magny, ils avaient demandé une consultation improvisée à un médecin de leurs amis sur les effets psychologiques de la tuberculose. Ils se sont inspirés de ses réponses, mais il les ont interprétées si librement qu'il n'a pas reconnu sa pensée dans la façon dont leur sujet fut traité. Que leur documentation ait été livresque, orale, ou vivante, elle n'a pas toujours été aussi scrupuleuse qu’on s'est longtemps plu à le soutenir. Mais elle a eu le mérite de conférer à leurs romans, dans les domaines qu'ils abordaient, un accent de vérité!

 

Edmond, resté seul, n'a guère eu le courage de renouveler sa documentation. Il a utilisé d'anciennes notes de lecture pour La Fille Élisa comme pour Chérie. Mais il a continué à accorder la part belle à la physiologie.

Les Goncourt ont souvent voulu étudier

 

un cas plutôt que peindre un milieu. Quand Bouilhet, par exemple, leur signalait l'histoire d'une religieuse de l'hôpital de Rouen amoureuse d'un interne, ou quand les hasards de la vie leur fournissaient la singulière aventure de leur servante, Rose, dont ils apprirent les turpitudes morales après avoir assisté à sa déchéance physique, ils étaient spontanément amenés à écrire une monographie. Chose frappante, ils en venaient souvent à restreindre la portée sociale deleur entreprise en insistant sur le portrait d'une individualité. Les titres de leurs romans portent le nom du personnage auquel ils accordent une attention privilégiée. A plusieurs reprises, les Goncourt ont substitué un nom propre à un titre plus général : Les Hommes de lettres, en i86o, ont été baptisés, en 1868, Charles Demailly; La [Jeune] Bourgeoisie était le titre initialement prévu pour Renée Mauperin, et Manette Salomon devait d'abord s'intituler L’Atelier Langibout. Ces changements de titres manifestent clairement leur tendance à présenter la monographie d'un cas, même quand ils partaient d'une peinture des mœurs.

 

Les milieux littéraires étaient décrits dans Charles Demailly, mais le roman racontait aussi l'anéantissement par une femme, d'un homme de grand talent, thème que les Goncourt devaient reprendre dans Manette Salomon. Chez Charles Demailly, ils ont étudié, à travers une chronique conjugale, un acheminement vers la folie. Sœur Philomène retraçait l'évolution secrète d'une femme, en restituant l'atmosphère de l'hôpital. Ils ont relaté l'enfance de Philomène. Ils ont analysé chez elle les troubles de la puberté. Ils y ont trouvé la cause de ses exaltations mystiques. Ils ont dépisté les composantes de sa personnalité, marqué les étapes de sa formation. Ils ont laissé voir les fibres par lesquelles étaient unies, en elle, la religieuse, l'infirmière, la femme amoureuse. Ils ont même cherché, dans ses rêves, l'expression symbolique de ses désirs inconscients!

 

Avec Germinie Lacerteux, ils ne se sont pas contentés de se documenter de façon livresque. Ils ont reconstruit, après coup, la vie de Rose, ils ont éprouvé de la pitié pour les dépravations de cette femme à laquelle ils avaient donné leur affection. C'était une assez étonnante illustration de la complexité humaine que le cas de cette servante qui avait mené près d'eux, sans qu'ils s'en fussent d'abord aperçus, une double vie: la journée, dévouée à leur service, ponctuelle et scrupuleuse, la nuit, sombrant dans la plus basse débauche. L’hystérie rendait compte de ces contradictions de la conduite, elle expliquait la vie de Germinie, elle l'excusait. Leur héroïne était une malade.

 

Ils faisaient la part belle à la maladie dans les cas qu'ils étudiaient. Avec eux, la physiologie entrait dans le roman2 : Manette Salomon et Les

goncourt

« les théories esthétiques en vogue, donnaient une peinture de ces milieux artisti ques.

Après la mort de Jules de Goncourt, en 1870, Edmond devait évoquer à nouveau le monde de l'art avec La Faustin, qui faisait vivre une actrice et son milieu.

Les Goncou rt avaient fixé les traits de la bou rgeoisie dans Renée M auperin dont le titre initial était La Bour geoisie : Edmond craignait que le nouveau titre ne restreignît la portée sociale du roman.

Il révélait ainsi l'importance qu'il attribuait à cet aspect de leur œuvre.

Renée M auperin comportait ce que Paul Bo urget devait appeler des 1 .

Murger n'avait peint, dans les Scènes de la vie de Bohème, que des grisettes de convention.

Hugo, dans Les Miséra bles, venait d'évoquer les faubourgs de Paris ; mais il avait décrit les agissements de criminels plutôt que la vie des ouvriers, et Gavroche était comme une figure féerique et symbo lique du gamin de Paris.

Dans Germinie Lacerteux, le Paris du peuple était présent.

On entrait à >, les romanciers évoquaient les danseurs d'un bal populaire.

A travers les rues, Germinie croisait des ouvriers qui se rendaient à leur travail.

Jupillon était gantier, Gautruche, peintre en bâtiment : c' étaient les premiers amants de la littérature romanesque qui fussent ouvriers de leur état.

Le parler du peuple de Paris venait renforcer l'effet des descriptions.

De Sœur Philomène à Germinie Lacerteux et de Germinie à La Fille Élisa, que les deux frères avaient projetées ensemble, mais qu'Edmond écrivit seul, le réalisme des Goncourt se manifeste dans le soin qu'ils ont apporté à peindre r.

Cité par R.

RrCA'l'TE, op.

cit., p.

268.. »

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