Les lieux dans Paroles de Prévert

BRETAGNE ET MIDI

De la province, Prévert retient surtout deux régions, la Bretagne, qu’il aime, rivière de Morlaix (Pater Noster), Douar-nenez (Le retour au pays et C.A.), Quimper (Le retour au pays), Brest avec la rue de Siam, l’arsenal, le bateau d’Ouessant (Barbara), et le Midi, lié aux parents et à la vie de famille (cf. Histoire du cheval et S.F.) et qui est loin d’être affecté d’un signe tout à fait positif comme on le croit souvent. La couleur locale des Saintes-Maries-de-la-Mer (dans S.P.), ce sont « les mouches et tous les rampants du pays » qui « grouillaient sur la nappe » et « les cafards » sortant du pain et croquant sous la dent; certes il y a « le vent, la mer, les arbres, les oiseaux » mais l’évocation sous forme d’énumération abstraite confine à l’indifférence; et ce qu’on retient de l’atmosphère des courses de taureaux, « seule distraction » du narrateur, c’est la chaleur très lourde, les gens « qui sentaient la sueur et la nourriture »,

Tour Eiffel de la première, au métro et surtout à la Seine et à l’Arc de Triomphe de la seconde. .

Le Paris de Prévert ne se limite pas aux beaux quartiers et à leurs habitants qu’il s’agirait de dénoncer, ni à un décor conventionnel ou anonyme. Les noms des rues et des lieux les plus divers sont largement cités, à l’occasion du cauchemar du chauffeur de taxi (Événements, p. 53) et dù Salut à l'oiseau notamment.

Mais si on y regarde de près, on s’apercevra que ces noms ne sont pas choisis au hasard. Nombreux sont ceux qui se rapportent au sixième arrondissement, dont les deux seuls qui figurent dans des titres : Rue de Seine et Rue de Buci. On trouve en outre Vaugirard (Événements et Le retour au pays) où habita Jacques Ptévert, le jardin du Luxembourg, où il joua très souvent dans son enfance, et la rue de l’Échaudé (C.A.), la place Saint-Sulpice, où il s’évoque « enfant » à la première personne du singulier (Salut à l'oiseau), la rue du Pont-de-Lodi et les Grands Augustins (L.M.P.). Un autre centre d’intérêt paraît se situer entre la gare Saint-Lazare (Événements, C.A,) et Montmartre, avec Ménilmontant et le 25, rue de Châteaudun (Événements), la caserne de la Pépinière (Le temps des noyaux), la rue de Rome (C.A.). Le troisième grand groupe, le plus important, est constitué par les rues et les quartiers pauvres. Une des raisons de leur présence est sans doute leur nom même 1 : il en est ainsi de beaucoup de ceux du Salut à l'oiseau (Gros-Caillou, Petits-Champs, Innocents, Blancs-Manteaux, Roi-de-Sicile, Rosiers, Quai aux Fleurs). Il ne faudrait pas négliger non plus le charme méconnu que certains lieux peuvent revêtir aux yeux de Prévert, de son propre aveu, ainsi le canal de l’Ourcq (Pater Noster) ou le métro aérien (Salut à l'oiseau). Enfin il est des lieux de Paris dont l’évocation a valeur de contraste avec la scène dont ils sont le théâtre : place de la Concorde (La belle saison), Place du Carrousel.

1. Cf. l’impression de l’enfant : « C’étaient toujours les rues des plus pauvres quartiers qui avaient les plus jolis noms (...) c’étaient sûrement les pauvres qui les avaient trouvés ces noms, pour embellir les choses. » (Mémoires publiés par l’hebdomadaire Elle dans ses numéros du 7 septembre au 5 octobre 1959),