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Les MANIFESTES du xixe siècle

Publié le 25/11/2018

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L'après 1850 est aussi la grande époque des préfaces hautaines et dédaigneuses de Lecontc de Lisle, telle celle des Poèmes antiques (1852) : pas de confidence, pas de « cœur », pas de plainte; il faut se réfugier dans la « vie contemplative et savante », il faut réconcilier la poésie et la science dans Timpersonnalité. Gautier se contente, dans Émaux et Camées, d’une seule pièce, qui joue le rôle de manifeste poétique : « Sculpte, lime, cisèle ». Après 1870, la poésie dite parnassienne se trouve codifiée. On aura encore, en 1883, l'opuscule de Verlaine, les Poètes maudits, qui revendique la réunion, sous une heureuse malédiction, des poètes Mallarmé, Corbière, Rimbaud; et le récit de Huysmans, A rebours, grand manifeste de la littérature qui se veut « décadente ». On s’isole de la société, on revendique cet isolement; comment, dès lors, délivrerait-on à son temps des messages, des préfaces ou des manifestes?

MANIFESTES du xixe siècle (les). L’abondance des manifestes littéraires, l’irrésistible propension de tant de préfaces d’œuvres à devenir des manifestes, le besoin d’adresser à un public un discours métalinguistique, c’est là un trait fondamental du xixe siècle. Que le siècle paraisse s’ouvrir (ouverture qui dure au moins jusqu’en 1830) sur une bataille entre l'esthétique classique et l’esthétique romantique révèle un moment, plus fort que les autres, de cette fonction des manifestes, mais dissimule peut-être le trait suivant, qui appartient en vérité à tout le siècle : toute œuvre, ou presque, se pose contre une autre, ou se fait accompagner d'un discours préalable qui a essentiellement valeur polémique. On annonce; on proclame; on se différencie — parfois même de son esthétique précédente. Ce phénomène général est inséparable de l’existence d’un véritable marché des œuvres, d’une « démocratisation » (longtemps bourgeoise) de la lecture, d’un appel permanent « au lecteur » — destinataire indéfini mais innombrable. A l’heure aussi où la critique littéraire se répand presque exclusivement dans les journaux (le « feuilleton critique ») et dans les revues, les auteurs pensent qu’ils sont les mieux placés pour dire leurs intentions et pour affirmer, au surplus, la nouveauté de leur œuvre si certains risquaient de ne pas la voir. Du coup, chaque œuvre est, plus ou moins, marquée par cette présence diffuse du lecteur, auquel la préface s’adresse plus directement que l’œuvre. Au xixe siècle, chaque écrivain est — ou souvent veut être — critique en même temps que créateur; la littérature s'intégre à elle-même une critique, parfois une mise en cause de la littérature : les préfaces deviennent manifestes, et les manifestes prolifèrent, parce que l'œuvre la plus déterminée et la plus personnalisée cherche à avoir valeur générale, concernant tous les hommes; autre aspect du poids du public. Enfin, il n'est pas de préface ni de manifeste qui soit, au fond, purement littéraire : tous concernent ou mettent en cause les rapports complexes de la littérature et de la société, deux réalités en mouvement et à mouvements différenciés. Certains manifestes, apparemment très littéraires, ont un contenu ou une incidence politique, ne serait-ce que parce qu’ils « tombent » dans une situation historique donnée : il est clair, par exemple, que, vers 1830, tout un « libéralisme » esthétique a précédé un libéralisme politique, que les préfaces de Hugo avançaient plus vite que la situation politique, plus vite même que l’idéologie de leur auteur : la « révolution » dans les mots et dans les notions devançait celle qui se produirait dans les choses.

 

Manifestes ou préfaces préromantiques et romantiques

 

Avant Hugo

 

On peut considérer comme le premier manifeste en faveur de la nouvelle littérature l’ouvrage que Mmc de Staël dédie, en quelque sorte, à Bonaparte, homme du siècle : De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions (1800). Le livre se présente comme un plaidoyer pour le xvme siècle — un certain xviiie siècle; celui de Montesquieu, qui a montré le rapport exis

 

tant entre une littérature et une civilisation; celui de Rousseau, qui a relié littérature et sensibilité. La littérature n’est pas indépendante de la société; en dernière instance, elle n’est même pas indépendante de la politique. Idée capitale qui préfigure le point de vue de Stendhal : les mœurs politiques dérivant de la tyrannie dégradent même la littérature, et elles en appellent une autre forme, qui réagira sur les mœurs. Pour la même raison — le lien littérature-société —, un rapport relie les littératures entre elles : ainsi Mme de Staël en vient-elle à distinguer — distinction célèbre — le groupe des littératures du Midi et le groupe des littératures du Nord. Mme de Staël réhabilite le Moyen Âge : tout le romantisme la suivra sur ce point; le sens du Moyen Âge ne contredit pas son sens et sa défense du progrès. Rien n’est plus relatif que le goût; le goût ne doit pas commander une esthétique : ce serait asservir celle-ci à une dominante sociale. Le progrès littéraire n’est pas concevable en poésie, langage absolu; mais il est possible dans le roman, en philosophie, en histoire, car la liberté, l’égalité, bref les institutions, favoriseront certains genres que l’histoire elle-même a développés. L’éloge du xviiie siècle par Mmc de Staël ne plut guère à Bonaparte, qui préférait, pour assurer son pouvoir, le xviie siècle et les canons de l’esthétique classique.

 

En 1809, Benjamin Constant écrit une préface à une adaptation du Wallenstein de Schiller : la tragédie française doit s’inspirer du théâtre étranger — surtout allemand — pour rapprocher le théâtre du réel; une pièce doit peindre, en mouvement, « un caractère entier », « une vie entière », et non pas une crise passionnelle; à l'exemple du théâtre étranger, il faut multiplier les personnages, négliger les unités, remplacer, si possible, les récits par des actions, créer la « couleur locale », « base de toute vérité ». Ainsi, dès 1809, le théâtre est choisi comme le genre propice à véhiculer la nouvelle esthétique « romantique » (elle ne porte pas encore ce nom); la Préface de Benjamin Constant apparaît comme un véritable manifeste préromantique.

 

En 1823, Stendhal lance la première partie de Racine et Shakespeare : même critique des unités; constat que le théâtre racinien, qui était moderne « pour nos grands-pères », ne convient plus au public du xixe siècle; il faut une tragédie nouvelle, qui s’adapte à une génération de «jeunes gens raisonneurs»; le théâtre doit être fondé non sur des règles, mais sur un plaisir, celui qu’en attend le public actuel. Ce besoin esthétique nouveau, c’est le « romanticisme ».

 

Les préfaces de Hugo

 

Victor Hugo compte moins sur des manifestes lancés comme tels que sur des préfaces à ses œuvres; préfaces dont certaines ont fini par évincer les textes qu’elles présentaient.

 

Les Odes, puis les Odes et ballades, dans leurs éditions successives, ont des préfaces différentes; étape par étape, Hugo tire les leçons de sa pratique poétique et annonce son idée de la poésie; chaque préface est un pas en avant et une projection sur l’avenir. En 1822, Hugo pose la correspondance nécessaire entre les « émotions d’une âme » et les « révolutions d’un empire », c’est-à-dire entre l’individu profond et la société dans ses soubresauts les plus violents. La Préface de 1824 défend les droits imprescriptibles et illimités de la parole poétique; rien ne saurait être interdit à celle-ci : « Tout dire est sa loi morale. » En 1826, Hugo pose la question de la fonction du poète à travers la contradiction entre la poésie militante et la poésie pure; etc.

 

En 1827, la fameuse préface de Cromwell fait oublier la pièce historique Cromwell : elle la réduit à l’état de prétexte. Elle relie l’art à l’histoire : le théâtre moderne doit prendre conscience du choc entre le christianisme et

« les Temps modernes.

La réversibilité du grotesque et du sublime caractérise l'époque présente.

Il faut faire entrer toute la nature dans 1' art en renouvelant les genres, sur­ tout la tragédie et la comédie, car tout peut être tragédie et comédie : réversibilité là encore.

La poésie doit se concilier avec la vérité.

La préface des Orientales ( 1829) est politique.

La pièce d'Hernani (1830) ne disparaît pas derrière une Préface : elle est, à elle seule, un manifeste qui nargue le goût classique, le spectateur classique; qui brandit la liberté de l'art, le droit à une poésie totale du mot.

Pres­ que en même temps, Hugo publie le Dernier Jour d'un condamné, roman qui se présente comme le journal d'un condamné à mort fictif : le livre est sans préface; à la quatrième édition, Hugo impose une « préface en dialo­ gue »,qui raille et provoque le goût des classiques et des romantiques modérés; trois ans plus tard, Hugo change complètement de préface : plus rien de littéraire; la pré­ face est devenue un manifeste politique contre la peine de mort.

La préface des Feuilles d'automne (1831) mêle art et politique : indulgent envers les systèmes politiques, Hugo y proclame sa« partialité passionnée pour les peu­ ples», se dit hanté par les révolutions.

La préface de Marie Tudor lance une définition fracassante et gran­ diose du romantisme.

Les préfaces se succèdent au fil du demi-siècle : celle des Voix intérieures, celle des Rayons et les Ombres, toutes se donnent la même allure conqué­ rante.

Tl n'est pas, chez Hugo, jusqu'au discours de réception à l'Académie française ( 1841) qui ne prenne le tOur d'un manifeste aussi politique que littéraire, poli­ tique parce que littéraire.

Autres manifestes Certaines pièces des années 1830 prirent valeur de manifeste; les jeunes gens s'emparaient de leurs titres.

de certaines de leurs répliques et les jetaient à la face de la société et des «philistins>> : ainsi d'Antony ou de la Tour de Nesle de Dumas.

Auguste Barbier lançait la Curée comme apologie de « la sainte canaille>> : le peu­ ple, toujours plus ou moins dépouillé par la bourgeoisie.

On peut considérer comme une sorte de manifeste tout le début de la Confession d'un enfant du siècle, où, avant que ne commence le récit, Musset évoque une jeunesse frustrée, condamnée à l'égoïsme de l'argent, au refus de la politique, par le régime de la Restauration; cette «préface>> est un manifeste désabusé pour le bonheur, pour une société perdue, dans un siècle marqué par la division des êtres, l'opposition des sexes.

Ce n'est plus la littérature, mais bien l'ordre social dans son ensemble qui est ici en cause.

La même année, la préface de Made­ moiselle de Maupin est lancée par Théophile Gautier avant l'ouvrage (dont le récit principal a pour héroïne une androgyne) : cette préface est un réquisitoire contre la morale en art, une critique de tout art moralisant, un plaidoyer pour la liberté et la gratuité de l'art, une apolo­ gie, pleine d'images et de passion, de la beauté pure : n'est beau que ce qui ne sert à rien.

Souvent, par la suite, la préface évinça l'œuvre, qui devenait ainsi son appendice.

Malgré tout, les préfaces-mani festes ou les manifestes les plus nombreux concernent le théâtre et la poésie.

Le roman est encore un genre relativement mineur, trop « roturier >> sans doute pour véhiculer des préfaces à haute prétention littéraire et politique.

Pourtant, on vient de voir les deux exemples de Musset et de Gautier, qui délivrent deux messages différents.

Ajoutons-y, pour le roman délibéré et à forte carrure, certaines préfaces de Balzac : en 1830, la préface aux Scènes de la vie privée; en 1842, l'avant-propos de la Comédie humaine; deux préfaces qui lancent bel et bien le roman à l'assaut de la société et de l'état civil.

Manifestes et préfaces après 1850 Les préfaces de roman prennent le dessus dans la seconde moitié du siècle, par la force conquérante même du genre, alors que le théâtre s'enlise dans un certain conformisme, et que le retrait même de la plupart des poètes dans leur tour d'ivoire, dans l'art pour l'art, dans leur symbolisme, ne les porte plus à délivrer des messa­ ges à un large public.

Seul, Hugo est à mettre à part; encore n'a-t-il plus guère besoin de préfaces-manifestes précédant les œuvres.

En 1855, les Châtiments sont à eux seuls un immense manifeste politique et poétique, un message prérépublicain porté par la puissance vertigi­ neuse du verbe : donc aussi un message poétique, qui fond la poésie « impure » et la poésie «pure ».

En 1863, Victor Hugo -encore lui! - donne son William Shakespeare, qui prend prétexte de Shakespeare pour proposer une méditation lyrique sur le génie, sur le peu­ ple, juge ultime des œuvres et seul sensible à l'idéal (en ce sens, l'art est «utile»); un testament romantique et, beaucoup plus, un manifeste inspiré, à la fois critique et poétique.

L'après 1850 est aussi la grande époque des préfaces hautaines et dédaigneuses de Leconte de Lisle, telle celle des Poèmes antiques ( 1852) : pas de confidence, pas de «cœur >>, pas de plainte; il faut se réfugier dans la > .

il faut réconcilier la poésie et la science dans l'impersonnalité.

Gautier se contente, dans Émaux et Camées, d'une seule pièce, qui joue le rôle de manifeste poétique : « Sculpte, lime, cisèle ».

Après 1870, la poésie dite parnassienne se trouve codi­ fiée.

On aura encore, en 1883, l'opuscule de Verlaine, les Poètes maudits, qui revendique la réunion, sous une heureuse malédiction, des poètes Mallarmé, Corbière, Rimbaud; et le récit de Huysmans, A rebours, grand manifeste de la littérature qui se veut >.

On s'isole de la société, on revendique cet isolement; com­ ment, dès lors, délivrerait-on à son temps des message , des préfaces ou des manifestes? Pour le roman, au contraire, les préfaces, les manifes­ tes, les proclamations se multiplient et se développent selon une imperturbable logique : à peu près parallèle­ ment au courant qui pousse la poésie au retrait et à l'iso­ lement (Hugo mis à part).

Toute une littérature se répand qui, le fait est capital, sc juge de moins en moins sépara­ ble de la > picturale.

« La réalité » est un concept clé pour le roman et pour la peinture, quelle que soit la diversité de leurs médiations.

En 1855, Courbet lance son catalogue-manifeste dans une exposition qui est à l'enseigne du ; pour la première fois apparaît le mot ; il faut peindre l'homme par ce qui se voit en lui : >.

Aussitôt après, Champfleury publie le Réalisme, qui annonce une école nouvelle, « ni classique ni romantique » :mais elle« sor­ tira du romantisme ».

Ce sont là de purs manifestes.

Les œuvres suivent ou accompagnent : romans de Duranty, de Champfleury.

Pendant presque dix ans, jusqu'en 1870, Castagnary développe, dans des journaux et des Salons, sa défense du «n aturalisme comme peinture totale de la vie moderne et changeante >>.

Surtout, on a certaines œuvres des Goncourt, notam­ ment Germinie Lacerteux ( 1865), qui, dans sa préface, historiquement capitale, proclame : «V ivant au x1x• siè­ cle, dans un temps de suffrage universel, de démocratie, de libéralisme, nous nous sommes demandé si ce qu'on appelle les basses classes n'avait pas droit au roman.

» Puis, Zola écrit Mes haines (1866), qui réclame (le titre parle), contre un romantisme décrépit et hypocrite, la. »

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