Les objets dans Madame Bovary de Flaubert

« Madame Bovary 1 107 Ce traitement littéraire des objets est typique du roman classique: nommer un objet, c'est-à-dire le sor­ tir de ce que Mallarmé appelait son «inanité sonore», c'est bien sûr le faire exister, et le charger déjà du sens qu'achèvera de lui conférer la description.

Il n'y a pas en littérature d'objets insignifiants.

Mais il y a des nuances dans la façon de les traiter, et ce qui frappe, chez Flaubert, c'est, d'une part la création d'objets monstrueux, et, d'autre part, la quantité tout à fait extraordinaire d'objets qui tombent et se brisent.

Comme si l'objet flaubertien avait tendance à nous échapper ...

Quelques objets monstrueux Le premier d'entre eux, qui d'ailleurs inaugure le roman, est la très célèbre casquette de Charles.

«C'était une de ces coiffures d'ordre composite, où l'on retrouve les éléments du bonnet à poil, du chapska, du chapeau rond, de la casquette de loutre et du bonnet de coton, une de ces pauvres choses, enfin, dont la laideur muette a des profondeurs d'expression comme le visage d'un imbécile ...

» Et caetera.

La description continue et ne s'achèvera que lorsque ladite casquette tombe à terre, comme si dans cette chute elle acquérait son statut d'objet achevé, pouvant désormais servir, c'est-à-dire échap­ per des genoux de Charles.

On a souvent, et à juste titre, conféré à cet objet une fonction psychologique: décrivant sa casquette, Flaubert décrirait le caractère de Charles ; mieux : par un retournement subtil du mécanisme de la comparaison, c'est la laideur de l'objet qui est comparée à l'imbécillité du personnage et non l'inverse.

Comme si l'objet précédait l'homme et le reléguait à l'arrière-plan.

Cette façon de disparaî­ tre derrière sa casquette, en somme, ce serait tout Charles! Sans doute.

Mais c'est également tout Flaubert.. »