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les romans de Malraux Perspectives critiques LES ROMANS DE MALRAUX

Publié le 28/05/2015

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malraux

L'histoire comme obsession et comme cauchemar achève avec Malraux de culminer dans notre ciel à la manière d'un soleil noir. Quant au mouvement propre à ses livres, je le définirais comme un double et continuel mouvement d'arrachement. Le fond, la toile de fond, fixe et immobile, c'est la planète, une planète étrangère à l'homme, grisâtre, indifférente, d'une inertie sidé­rale, d'un éloignement d'étoile : les paysages, dans les romans de Malraux, sont toujours par grande préférence vus d'avion. À partir de ce monde qui a cessé de parler à l'homme, un premier décollement s'opère, qui est la marche perceptible, orageuse, de l'histoire, à la manière de lourdes nuées glissant sur un fond de désert. Dès les premières pages des Conquérants, par exemple, l'approche de Canton est rythmée, non par l'apparition d'une côte qui se précise, mais par l'affichage à bord d'une suite de télégrammes d'agence, de plus en plus fiévreux. Et, par rapport à ce flot qui balaye déjà collectivement tout un monde à la dérive, l'action des héros de ses livres apparaît en surimpression comme une série d'arrachements, de torsions, de coups de rein violents — une sorte de volontarisme frénétique tendu sur le vide, sur la mort, dont on peut dire qu'il n'y a pas une page de Malraux d'où elle soit absente. Entre l'homme livré tout entier à cet activisme incontrô­lable, l'histoire aussi écrasante qu'un destin, et «ce regard indifférent des nébuleuses« dont Malraux a parlé plus d'une fois, la communication est cou­pée: la danse tragique, vaine, des personnages de ses livres glisse sur la sur­face de la planète comme sur l'oeil énorme d'un dieu mort.

 

Julien Gracq, «Pourquoi la littérature respire mal«, Préférences, Corti, 1961.

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