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L'Essai sur les révolutions et le Génie du Christianisme de Chateaubriand: les deux versants d’une écriture

Publié le 21/11/2018

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L'Essai sur les révolutions et le Génie du Christianisme: les deux versants d’une écriture

 

Premier texte de Chateaubriand, publié à Londres en 1797 mais connu en France seulement en 1826 dans l’édition critique et « policée » des Œuvres complètes, l'Essai sur les révolutions apparaît comme un texte matriciel tant dans son contenu que dans sa forme. C’est à juste titre que dans ses Mémoires l’auteur affirmera : « L'Essai offre le compendium de mon existence comme poète, comme moraliste, publiciste et politique ». Ambitieux, le projet de l’ouvrage était d’expliquer, par une confrontation avec les révolutions antiques et anglaises, la révolution française de 1789 dont le jeune écrivain exilé entrevoyait déjà le caractère historique irréversible. Alternant les dissertations compilatoires et les réflexions d’un lecteur assidu des Lumières, l’auteur hésite souvent entre le simple procès d’une révolution injuste, mensongère, « récupérée », et une rêverie perfectibiliste associant l’idéal humaniste du xviiie siècle à la brutalité du fait révolutionnaire. Mais, par-delà la démarche philosophique et idéologique, ce qui « explique » surtout ce « livre de l’incertitude et de l’angoisse » (M. Regard), c’est le drame d'une « génération présente et perdue », celle des déracinés et des « infortunés » d’un siècle enfanté dans la violence et les déchirements. Matriciel, le texte de l’Essai l’est ainsi d’abord par son impossibilité à s’en tenir à la stricte objectivité narrative ou critique. Non seulement l’histoire n’y est pas tenue à distance de celui qui écrit, mais, pour être dite, elle impose dans le discours la permanente présence du sujet vivant, faisant du livre le premier grand récit chateaubrianesque du moi : « Je n’en ignore pas les défauts, avouera l’auteur dans sa Notice; si le moi y revient souvent, c’est que cet ouvrage a d’abord été entrepris pour moi (...). On y voit presque partout un malheureux qui cause avec lui-même ». L’Essai affirmait ainsi, trente ans avant les Mémoires, qu’il ne saurait y avoir d'intelligence de l’histoire ailleurs que dans les arcanes de l’individu, de sens de la révolution hors de celui d’une révolte existentielle qui dicte à toute écriture son chaos et ses tortures.

Matriciel, l'Essai l'est en effet aussi dans sa rhétorique et sa poétique. Par-delà sa lourdeur livresque, il révèle l’apprentissage par Chateaubriand des profils et des pouvoirs de son écriture : structure métonymique des accumulations érudites, des compositions en abyme et des arborescences de la phrase; structure métaphorique des diagonales de la pensée, des raccourcis éblouissants de l’espace et du temps; complaisance dans un certain « négligé » naturel qui rappelle la « marqueterie » chère à Montaigne : 

chateaubriand

« taire de l'empereur, témoigne autant d'une volonté de réintégration sociale de 1' écrivain que d'un authentique désir de réhabiliter le christianisme par la démonstration dialectique de ses beautés et de ses bienfaits.

L'énorme succès du livre prouve assez qu'il venait à son heure dans une société lassée des désordres et des violences, prête à encenser tout ce qui tendrait à la stabiliser et à la rassurer.

Ce n'est pas que le Génie démente d'ailleurs toutes les analyses de l'Essai.

L'affirmation de la dimension historique et sociale du christianisme y est même renou­ velée, mais ce, dans une perspective totalisante et récon­ ciliatrice que P.

Barbéris appelle «finalisation de l'his­ toire» et résume d'une formule: «Tout, dans la suite des siècles, aboutit au christianisme ».

Perspective téléo­ logique, on le voit, qui intègre aussi bien les mouvements de l'histoire, les merveilles de la nature, les édifices de la culture que les vacillements de la conscience indivi­ duelle.

Le fameux chapitre «Du vague des passions », qui récupère le mal romantique au sein d'une éthique rassurante, fait ainsi le pendant du chapitre « Aux infor­ tunés » de 1 'Essai.

Point d'intersection entre ces deux versants d'une écriture en quête d'elle-même: une cohérente poétique du temps et de l'histoire.

Sans vouloir minimiser les réussites descriptives du Génie dans l'art de la fresque de style ou de 1 'harmonie imitative, plus essentiel paraît encore le constant souci de l'écrivain de faire de son livre Je« plan de rencontre entre Je temps et l'éternité » (P.

Reboul).

A aucun moment le triomphalisme du dis­ cours de circonstance n'écarte pleinement l'obsédant horizon d'une temporalité dramatiquement éprouvée : « L'homme est suspendu dans le présent, entre Je passé et l'avenir, comme sur un rocher entre deux gouffres; derrière lui, devant lui, tout est ténèbres; à peine aper­ çoit-il quelques fantômes qui, remontant du fond des deux abîmes, surnagent un instant à leur surface et s'y replongent ».

Il faudra l'immense patience rétrospective des Mémoires pour refermer dans les plis de J'écriture cette « béance» du temps que l'Essai criait sur Je mode de l'anathème et que « les anneaux nécessaires d'un beau style » (Proust), dans le Génie, ne parvenaient que mal à rendre moins pathétique.. »

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