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L'Etranger de Camus: Forme de l'œuvre

Publié le 14/01/2020

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la lumière de la seconde : pourquoi Meursault a-t-il l'impression que les vieillards qui veillent sa mère sont là pour le juger (p. 19), sinon parce qu'au moment où il parle, la société lui a donné un sentiment de culpabilité qu’il ignorait avant d'être jugé ? Et comment devinerait-il que les quatre balles qu'il tire sur le corps inerte de l'Arabe (p. 95) sont comme quatre coups frappés à la porte du malheur, sinon parce qu'il sait qu'il le paiera de sa vie ?

Au vrai, l'hypothèse d'un récit rétrospectif comme celle d'un « journal » se heurtent à des difficultés. La première hypothèse ne rendrait pas compte de la différence de ton qui sépare le début de L'Étranger (événements égrenés par une conscience passive) de la dernière page, où s'exprime une révolte en des accents lyriques. La seconde hypothèse supposerait que Camus fait comme s'il « transcrivait » ce qu'est censé dire son personnage. Mais on donne une perspective plus riche au récit si l'on admet que les anticipations de Meursault sur ce qui va lui arriver ne sont pas à mettre au compte de simples intuitions psychologiques : elles représentent l'intrusion d'une dimension tragique1, soulignée par ce fait divers que Meursault lit et relit quand il est en prison : le meurtre d'un voyageur descendu dans une auberge par sa mère et sa sœur qui ne l'ont pas reconnu

Suivant les éditions, L'Étranger est sous-titré tantôt « récit », tantôt « roman ». Il est sous-titré « roman » dans la Bibliothèque de la Pléiade, mais à l'intérieur d'un volume qui affiche sur la couverture : Théâtre, Récits, Nouvelles. Il est également sous-titré « roman » dans la collection traditionnelle de Gallimard (collection « Blanche »), où a paru l'édition originale, mais on le recense à la fin du volume parmi les « récits » et « nouvelles ». Dans la collection « Folio », toute indication disparaît de la couverture, mais on le présente au dos de la couverture comme le « premier roman » d'Albert Camus.

Le roman est un genre qui suppose une certaine durée (une comédie peut s'achever en dix minutes, un poème peut se réduire à quatre vers, mais on n'imagine pas de roman qui se limiterait à une dizaine de pages). C'est que le roman donne l'illusion du réel ; il faut donc que le lecteur s'installe dans un temps qui se substitue au temps de sa vie quotidienne, en imitant la succession des temps forts et des temps creux que nous offre la vie. Si l'œuvre de fiction se réduit à un temps fort, on l'appellera plutôt « nouvelle ». Ainsi admet-on d'ordinaire qu'un roman couvre au moins cent cinquante pages ; au-dessous, il s'agit d'une nouvelle. Pourtant, Colomba, de Mérimée, qui passe souvent pour le type même de la nouvelle française, est de quelques dizaines de pages plus longue que L'Étranger... que personne n'a jamais eu l'idée de qualifier de « nouvelle ».

Qu'un roman soit plus long qu'une nouvelle est, à vrai dire, une conséquence plutôt qu'une cause de la différence des deux genres. Une nouvelle est en effet tout entière organisée en vue d'un épisode principal (la vendetta dans Colomba}, tandis que le roman est affecté d'une durée indécise. Si nous résumons L'Étranger, il nous paraît comporter un temps fort (le meurtre de l'Arabe). Mais si nous lisons l'histoire au travers de la conscience de Meursault, tous les événements sont égaux : la mort de la mère, la rencontre avec Marie, le meurtre, le procès... C'est donc bien à une durée romanesque que nous avons affaire, et l'histoire se présente comme une tranche de vie plutôt que comme un

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« LA DURËE DE L'ACTION Aucune précision n'est donnée sur l'année où se déroule l'action.

L'insouciance de Meursault pour tout ce qui ne tou­ che pas à son univers personnel soustrait le roman à l'actua­ lité.

On peut seulement supposer que nous sommes dans les années qui précèdent la guerre de 1939.

Les événements qui conduisent au meurtre et le procès se situent à une année d'intervalle, au mois de juin.

Juin, c'est déjà le plein été : celui-ci commence tôt en Algérie, et la cha­ leur jouera un rôle capital à l'enterrement (en provoquant la lassitude et, dans une certaine mesure, l'indifférence de Meur­ sault), dans la liaison avec Marie (rencontrée aux bains de merl, dans le meurtre lui-même (provoqué par le soleil : nous y reviendrons), au cours du procès enfin (les juges, qui s'éven­ tent et s'épongent le front, paraissent pressés d'en finir).

Meursault part un jeudi pour Marengo.

Avec le week-end, cela lui fait quatre jours de congé.

Une semaine s'écoule avant qu'il retrouve Marie; une semaine encore avant que tous deux ne se rendent avec Raymond à la plage où s'accomplira le drame.

La première partie couvre donc dix-huit jours, mais ne concerne pratiquement que les six jours de loisir de Meur­ sault; son activité de la semaine n'est mentionnée qu'en pas­ sant, comme si elle n'avait aucune importance.

L'instruction du procès va durer onze mois (p.

11 Ol, et nous sommes à nouveau en juin au début du procès.

Quand s'achève le récit, il y a un an que Meursault a tué l'Arabe.

Le futur est incertain : peut-être Meursault sera-t-il guillotiné dès le lendemain si sa grâce a été refusée, peut-être finira-t-il sa vie en prison.

Le temps de L 'Étranger est linéaire, c'est-à-dire qu'il ne comporte aucun retour en arrière.

Chaque chapitre nous fait progresser dans le temps.

Au début de la deuxième partie, toutefois, les deux premiers chapitres relatent des événements contemporains : le chapitre 1 contient ce que Meursault raconte spontanément ; le chapitre 2, ce qu'il ne raconte qu'avec répugnance.

Cette hiérarchisation des événements, qu'il vivait jusqu'à présent au jour le jour, peut correspondre à une première prise de conscience.

23. »

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