Table des matières Introduction ........................................................................................................ 3 1 Théorie ........................................................................................................ 8 1.1 1.2 1.2.1 1.2.2 1.2.3 1.3 1.4 1.5 1.6 1.7 2 2.3 2.4 2.5 2.6 3.2.1 3.2.2 3.2.3 3.3 3.4 3.4.1 3.4.2 3.4.3 3.5 3.6 La langue et la forme métrique ................................................................... 30 Un genre littéraire « inconnu « - deux traditions littéraires norvégiennes .................................................... 35 Le statut de l'oeuvre originale à l'époque .................................................. 36 Les traductrices .............................................................................................. 37 La traduction dans la culture norvégienne ................................................ 38 La scène et le livre imprimé - deux contextes différents ......................... 39 Aristote ............................................................................................................ 42 Les concepts métaphoriques ........................................................................ 45 La métaphore poétique .................................................................................................... 45 Les métaphores culturelles .............................................................................................. 46 La signification nouvelle .................................................................................................. 47 La synecdoque ledérerienne ........................................................................ 48 Classification des images ............................................................................. 50 La métonymie .................................................................................................................... 51 La personnification ........................................................................................................... 53 Patronymes ........................................................................................................................ 53 Concepts métaphoriques dans Phèdre ........................................................ 54 La présence des dieux - une analyse .......................................................... 55 Analyses ................................................................................................... 58 4.1 4.2 4.3 Normes dans la traduction........................................................................... 17 Problèmes de traduction .............................................................................. 18 Qu'est-ce la traduction littéraire ? ............................................................... 20 L'analyse de la traduction ............................................................................ 23 Deux lois descriptives de la traduction ...................................................... 26 Métaphores ............................................................................................... 41 3.1 3.2 4 Le rôle ou la fonction de la traduction ........................................................................... 11 Traits caractéristiques de la traduction .......................................................................... 14 Le double rôle des traductions ........................................................................................ 16 Contexte .................................................................................................... 28 2.1 2.2 3 La contextualisation ...................................................................................... 10 Fonction - résultat - méthode ...................................................................... 11 Les dieux ......................................................................................................... 58 Les mythes ...................................................................................................... 63 La pratique de la religion ............................................................................. 65 1 4.4 4.5 4.5.1 4.5.2 4.6 4.7 4.8 5 Les morts......................................................................................................... 66 Personnages et lieux mythologiques .......................................................... 68 Les personnages ont plusieurs noms ............................................................................. 69 Connotations des noms .................................................................................................... 72 La mythologie norroise................................................................................. 74 Interprétations divergentes .......................................................................... 78 Les métaphores regagnent leur sens littéral .............................................. 79 Conclusion ................................................................................................ 81 5.1 5.2 5.3 5.4 5.5 Le modèle original......................................................................................... 82 L'analyse ......................................................................................................... 83 Évaluation de l'étude .................................................................................... 85 La fonction des Fedras dans le contexte norvégien ................................... 85 La traduction aujourd'hui ............................................................................ 87 Bibliographie .................................................................................................... 89 2 Introduction Comment fonctionnent les traductions modernes des oeuvres classiques ? Quels sont les facteurs qui déterminent la réussite d'une traduction ? Que faut-il pour qu'une traduction obtienne un statut privilégié dans une culture ? À quel point deux traductions de la même oeuvre peuvent-elles être différentes ? Ce sont ces questions qui nous ont inspirée à écrire un mémoire sur les deux traductions norvégiennes de Phèdre de Jean Racine. Le choix de l'ouvrage à analyser dans une optique traductologique s'est fondé sur deux critères : (i) qu l'ouvrage ait au moins deux traductions norvégiennes dont l'une a obtenu un statut privilégié et (ii) que l'ouvrage soit riche en problèmes de traduction. Phèdre remplissant les deux critères, cette pièce a été retenue pour notre analyse de traduction. Les deux traductions qui sont les objets de notre analyse sont apparues à six ans d'intervalle, en 1953 et en 1959. La première version a été traduite en norvégien standard par Nanna Lindefjell-Hauge et a été publiée par la maison d'édition Cappelen. La deuxième a été traduite en néo-norvégien par Halldis Moren Vesaas, et a été publiée par Samlaget en 1960 après avoir été jouée au théâtre. La traduction de Phèdre par Halldis Moren Vesaas a acquis un statut privilégié dans le système littéraire norvégien, tandis que celle de Nanna Lindefjeld-Hauge n'a pas connu le même succès. Une présentation des traductrices suit dans le chapitre Contexte. Lorsque nous parlons de problèmes de traduction, nous faisons référence aux éléments dans le texte de départ, aux niveaux linguistique, textuel ou culturel, qui sont considérés étrangers dans la langue d'arrivée, où la solution de traduction n'est pas évidente. Comme le dit Halldis Moren Vesaas dans l'épilogue de sa traduction : « La tragédie française est peu connue dans notre pays, peu lue et certainement pas 3 jouée, pas en norvégien en tout cas «1 (1999 : 77) Le genre même du texte à traduire est un élément étranger dans le système littéraire norvégien. Cet aspect de la traduction est traité dans Contexte. Comme cadre théorique de l'analyse nous avons retenu une oeuvre actuelle et pertinente : Descriptive Translation Studies and beyond de Gideon Toury. L'oeuvre qui date de 1995 est une oeuvre centrale dans la branche descriptive des études de traduction. Une des hypothèses dans cette oeuvre consiste à supposer que lorsqu'un texte dont le modèle littéraire (modèle égale ici genre littéraire) est inconnu dans la culture cible, va être traduit, il convient d'adapter ce modèle afin de rendre le texte accessible à son nouveau public. Une question pertinente sera donc : qu'ont fait les deux traductrices de Phèdre afin d'adapter la pièce française au public norvégien, et ont-elles eu recours aux mêmes adaptations ? Quant à la distinction entre une traduction et une adaptation, nous prenons comme point de départ que toute traduction littéraire comporte une adaptation. La distinction entre ces deux notions est donc aplanie. Une notion clé dans la théorie de Toury est la norme. Ce sont les normes de traductions auxquelles se soumet le traducteur qui déterminent les adaptations que celui-ci fait par rapport au modèle littéraire de l'original. Ainsi ce mémoire sera une tentative d'établir les normes de traduction qui ont été opératoires dans la création des deux versions norvégiennes de Phèdre, avant d'expliquer comment les choix influencés par ces normes ont déterminé les fonctions qu'assument les traductions dans la culture norvégienne. L'un des problèmes de traduction de Phèdre est la culture ou, plus précisément, la différence de culture entre le public de l'original français et le public des traductions norvégiennes. Lorsque nous parlons de la culture du public original « Fransk tragedie er lite kjend her i landet, lite lesen, og slett ikke spela, i alle fall ikkje på norsk. « (Si rien d'autre n'est spécifié, les traductions du norvégien et de l'anglais dans ce mémoire sont faites par moi.) 1 4 français il faut ici comprendre la culture classique, plus que la culture française du 17e siècle, car la première fait partie de la deuxième. La culture, la littérature et la mythologie classiques étaient sans doute mieux connues par les Français du 17e siècle que par les Norvégiens des années 50. Dans la tragédie classique ces éléments culturels sont si importants qu'ils font partie du modèle littéraire. Ce qui nous intéresse est de savoir quelles ont été les attitudes des traductrices dans la traduction de ces éléments, qui sont d'ailleurs plus que des éléments, puisque le sujet même du drame est la mythologie grecque. Nous nous proposons dans ce mémoire de faire une étude comparative de deux traductions de Phèdre en prenant comme point de départ pour l'analyse la traduction des métaphores porteuses d'une certaine valeur culturelle. Nous puisons les métaphores à analyser dans l'original français pour ensuite trouver les expressions correspondantes dans les traductions, et signalons dès maintenant l'occurrence des métaphores dans les deux versions norvégiennes qui ne sont pas des traductions d'une métaphore ou de la même métaphore dans l'original. L'analyse est qualitative. Pour des contraintes d'espace elle ne porte pas sur toutes les métaphores de la pièce. Dans le chapitre Métaphores nous rendons compte de différentes conceptions de la métaphore, différentes sortes de métaphores, et traitons du rôle particulier que jouent les métaphores dans le texte de départ. Une première tâche consiste à établir : (i) quelles sont les métaphores qui ont été traduites directement, c'est à dire par les mêmes images, (ii) quelles métaphores ont été traduites par une autre métaphore, (iii) quelles métaphores ont été traduites par une expression non métaphorique, et enfin. (iv) quelles métaphores n'ont pas été traduites du tout. Dans combien de cas s'agit-il de clichés ou d'expressions figées ? Pour pouvoir répondre à ces questions il est utile d'établir une sous-classification des métaphores, ainsi que de déterminer les domaines sémantiques auxquels appartiennent les métaphores et leurs référents. 5 Les traductions que nous allons analyser sont réalisées à partir d'un texte français du 17e siècle inspiré d'un style littéraire classique, de l'antiquité, en deux formes du norvégien, à savoir le norvégien standard et le néo-norvégien, des années 50. Une question pertinente est de savoir si les mêmes images sont valables et compréhensibles pour les deux époques et pour les deux publics respectifs. À quel point est-il possible de tracer l'origine des images, et à quel point s'agit-il d'images « éternelles « et universelles, partagées par les deux cultures ? En analysant les traductions il faut également prendre en considération qu'aux niveaux linguistique et stylistique, le français est bien plus proche du latin et du grec, les plus grandes sources d'inspiration linguistiques de Racine, que ne l'est le norvégien. Il faut donc présumer que les deux traductions comportent des déviations considérables par rapport à l'original. Après avoir classifié les métaphores et comparé leurs traductions en norvégien, nous posons la question de savoir pourquoi tel ou tel choix a été fait. Une voie aurait pu être de procéder à une analyse justificative et se demander si les deux traductions gardent bien le sens de l'oeuvre originale. Or, nous avons choisi, dans ce mémoire, de ne pas faire une évaluation des deux traductions. À notre avis, l'évaluation a déjà été faite par la culture d'arrivée, à savoir le système littéraire norvégien. La traduction de Moren Vesaas a été un succès, elle a été publiée sous forme de livre après le succès de Fedra au théâtre, et a été rééditée plusieurs fois. Quant à la traduction de Lindefjeld- Hauge, elle n'a été publiée qu'une seule fois, et n'a, à notre connaissance, jamais été jouée sur scène. L'analyse de ce mémoire est ainsi descriptive. Nous ne proposerons non plus d'autres solutions de traduction que celles que nous proposent Moren Vesaas et Lindefjeld-Hauge. Ce mémoire se veut plutôt d'être une tentative d'expliquer pourquoi les deux traductions occupent des rôles si différents dans le système littéraire norvégien. Un objectif est de voir à quel degré et de quelle façon les traductions sont différentes et si les différences constatées sont issues de différentes 6 méthodes de traduction. À ce propos la notion de normes telle qu'elle est conçue par Toury apparaît comme une notion clé. Les conditions différentes des traductions et des traductrices, à savoir les statuts différents de ces dernières à l'époque des traductions, ainsi que les langues différentes des traductions sont traitées dans Contexte, car la reconnaissance d'une traduction est due à plus d'un seul facteur. 7 1 Théorie Nous avons retenu comme théorie de base pour une analyse qualitative l'oeuvre de Gideon Toury : Descriptive Translation Studies and beyond. C'est une oeuvre centrale dans ce qu'on peut appeler la théorie descriptive de la traduction. Gideon Toury est le fondateur de cette branche des études de traduction, aussi appelée l'école fonctionnaliste ou l'école de Tel-Aviv. Contrairement à d'autres théories de traduction, comme par exemple la théorie interprétative de l'école de Paris, l'oeuvre de Toury n'est pas une oeuvre normative en ce qui concerne les méthodes de traduction. Dans Descriptive Translation Studies and beyond (1995) Toury ne nous donne pas de leçon de traduction, mais plutôt une leçon d'analyse de traduction. Comme l'indique le nom de l'oeuvre, elle traite de l'étude descriptive de la traduction et ne propose pas de méthode de traduction. Pourtant nous pouvons constater qu'il s'agit d'une oeuvre normative dans le sens où Toury propose des méthodes d'analyse descriptive d'une traduction. Il présente également plusieurs études déjà accomplies, et c'est surtout la traduction des textes littéraires qui a été étudiée, ce qui rend l'oeuvre particulièrement appropriée comme théorie de base pour ce mémoire. L'objectif de Toury est toujours de dire ce qu'est la traduction et non ce qu'elle devrait être. La partie normative de sa théorie concerne ce que devrait être l'analyse descriptive de la traduction. Pour ce mémoire la théorie de Toury sert de point de départ pour une analyse descriptive de la traduction. Toury admet que la théorie de la traduction est une science qui n'est pas encore complètement développée, et que de nombreuses expériences relatives à la traduction sont caractérisées par une certaine incertitude par rapport à ce qu'elles sont censées faire : « many of the experiments so far applied to translation have been characterized precisely by a certain uncertainty as to what they are designed to do. « (1995 : 239). Lorsqu'il s'agit d'analyses de traduction, ce que l'on découvre à la fin 8 d'une étude accomplie n'est pas nécessairement ce que l'on croyait chercher initialement. Dans Descriptive Translation Studies and beyond l'objectif est avant tout de définir ce qu'est la traduction, comme genre littéraire et comme activité. Toury se propose d'expliquer quels sont les traits distinctifs d'une traduction : En quoi diffère-t-elle d'une autre oeuvre littéraire ou de n'importe quel autre énoncé qui n'est pas une traduction, et comment peut-on la reconnaître ? Quel est le rôle ou la position d'une traduction dans une culture et dans une tradition littéraire ? Comment faire une analyse descriptive d'une traduction ? Il pose toutes ces questions dans le but de montrer que la traduction constitue un genre à part dans une tradition littéraire. Contrairement aux théories normatives qui sont orientées vers les textes originaux, les sources, et visent à montrer comment il faut les rendre dans une nouvelle langue, la théorie descriptive se veut orientée vers la cible, et a pour objectif d'étudier les traductions en fonction des contextes dans lesquels elles sont introduites. Toury se propose également de formuler des lois de traduction. Il s'agit évidemment de lois descriptives, qui concernent la nature des traductions et qui prétendent expliquer les tendances dans le comportement des traducteurs, et ainsi ce que l'on peut s'attendre à découvrir si l'on effectue l'analyse d'une ou de plusieurs traductions. À ce propos il parle d'une évolution dans le comportement des traducteurs, car la traduction est un genre dont la nature même est de changer à travers le temps. Dans ce mémoire nous appliquons les idées de Toury et posons les mêmes questions que lui pour faire l'analyse comparative descriptive des deux traductions norvégiennes de Phèdre de Racine. Une première tâche sera donc de voir à quel point il est possible d'appliquer les idées de la théorie. Nous nous concentrerons essentiellement sur sa conception du rôle et de la fonction de la traduction dans la culture cible et sur l'emploi des modèles littéraires dans la création des traductions, afin de savoir si les mêmes normes de traduction ont influencé les choix faits par les 9 deux traductrices. Nous considérons ces questions comme les plus pertinentes dans le cadre de ce mémoire. Toury emploie les notions texte cible, culture cible, texte source, et culture source au lieu des notions texte d'arrivée et texte de départ plus courantes dans les oeuvres traductologiques françaises. En parlant de Toury et en utilisant ses théories dans l'analyse, nous avons choisi d'utiliser les termes cible et source. 1.1 La contextualisation Un des aspects prédominants de la théorie - à propos de n'importe quel énoncé ou acte de traduction - est la nécessité de toujours étudier les énoncés dans leurs contextes. Ce qui est important pour Toury est qu'une traduction comme n'importe quelle oeuvre littéraire est créée dans un contexte, et dans notre étude le contexte dans lequel sont créées et dans lequel doivent être étudiées les traductions est une culture littéraire à une certaine époque, à savoir la Norvège des années 50, avec ses cadres et ses normes. Et, naturellement, c'est un des aspects qu'il faut inclure dans une analyse de traduction, car une traduction est toujours créée dans un certain contexte culturel afin de satisfaire aux besoins et aux « lacunes « de cette culture. En conséquence, l'intérêt du traducteur est avant tout l'intérêt de la culture cible, tel que le conçoit ce traducteur. After all, translations always come into being within a certain cultural environment and are designed to meet certain needs of, and/or occupy certain 'slots' in it. Consequently, translators may be said to operate first and foremost in the interest of the culture into which they are translating, however they conceive of that interest (1995 : 12). Toury souligne également que le texte traduit en tant qu'énoncé littéraire fait toujours partie de la culture cible, et non de la culture source. Il faut ainsi l'analyser et éventuellement l'évaluer dans les cadres de la culture qui l'a reçue. Pourtant, remarque-t-il, cela n'a pas toujours été le cas dans les études de traduction (1995 : 24). 10 1.2 Fonction - résultat - méthode Toury traite ainsi la traduction comme un genre littéraire qui a pour finalité de remplir une certaine fonction dans la culture cible. Un texte est traduit dans une langue ou dans une culture parce qu'il représente quelque chose qui n'existait pas dans cette culture auparavant et qui constituait donc une lacune dans celle-ci. Evidemment, une traduction peut apparaître comme n'importe quel « genre « littéraire (drame, essai, roman etc.). Pour désigner ces différentes formes que peut avoir la littérature, Toury emploie le mot modèle (literary model). Ce qu'il est essentiel de retenir dans une analyse est le rapport nécessaire entre la fonction de la traduction dans la culture cible, le résultat (c'est à dire la traduction elle-même) et la méthode de traduction. 1.2.1 Le rôle ou la fonction de la traduction Le rôle distinctif de la traduction se manifeste par rapport à la littérature non- traduite dans la culture cible. Un lecteur en est normalement conscient lorsque le texte qu'il lit est une traduction. Il en est conscient non seulement parce qu'il est indiqué sur la première page du livre que celui-ci est traduit d'une autre langue, mais aussi parce que certains traits distinctifs peuvent parfois indiquer qu'il s'agit d'une traduction, aux niveaux lexical, syntaxique, voire même stylistique du texte. Bien évidemment, ces traits varient selon la culture dans laquelle la traduction est introduite, et à l'intérieur de la culture selon la langue source de la traduction. Toury appelle ces traits des « phénomènes étrangers «. Il s'agit de formes et de structures linguistiques qui n'apparaissent que rarement ou même jamais dans des énoncés non traduits. L'occurrence de ces phénomènes 'étrangers' est due au fait que la formulation verbale d'une traduction est partiellement régie par une volonté de garder invariable certains aspects du texte source, ce qui constitue une contrainte forte pour l'établissement du texte, une contrainte hors du système cible. Evidemment, plus le texte source est traité comme une organisation de constituants aux niveaux inférieurs et non comme une totalité globale, plus la contrainte est 11 puissante. L'interférence du texte source est effectivement une source importante, même si ce n'est pas la seule, des formes dans la traduction qui dévient du modèle littéraire ou linguistique du système cible. [...] in translations, linguistic forms and structures often occur which are rarely, or perhaps even never encountered in utterances originally composed in the target language. The occurrence of such 'alien' phenomena owes much to the fact that the verbal formulation of a translation is partly governed by a felt need to retain aspects of the corresponding source text invariant, which is a strong target- external constraint on its establishment. This constraint is of course stronger the more the source text is tackled as an organization of lower-level constituents rather than as an holistic whole, and source-text interference is indeed an important source of forms which clearly deviate from general target-language patterns, even though by no means an exclusive one (1995 : 207-208). Toury donne pour exemple les mots hébraïques ho et u-vexen qui sont bien plus fréquents dans des traductions de l'anglais en hébreu que dans les textes d'origine hébraïque. La distribution des mots est « anormale « d'un point de vue hébreu, les mots apparaissent dans des situations où ils n'apparaîtraient pas dans un contexte « non-traduit «, occupant une autre fonction qu celle qu'ils occupent normalement. Les mots ho et u-vexen sont devenus les traductions habituelles des mots anglais oh et well (ah et bon/bien). Un résultat frappant est la combinaison des deux mots (ho u- vexen) qui est très rare hors d'un contexte traduit (1995 : 210). La lacune dans la langue hébraïque a ainsi créé ce trait distinctif, typique des traductions, au niveau lexical. Nous aurions pu imaginer un procédé d'analyse ayant comme objectif de constater si de tels traits distinctifs existent dans les deux traductions norvégiennes de Phèdre, mais pour définir ces traits dans les traductions norvégiennes il aurait fallu un corpus d'analyse très vaste composé de textes comparables à Phèdre en norvégien. Or, une telle tâche sort du cadre de ce mémoire. Les deux versions norvégiennes de Phèdre ne représentent qu'une infime partie de la littérature traduite en norvégien, et le genre littéraire qu'elles représentent n'est pas typique de la littérature traduite en 12 Norvège. Ni les traductions, ni l'original français ne peuvent être considérés comme des actes de langage typiques en norvégien ou en français. Dans le cas de Phèdre c'est la nature de l?oeuvre en général, sa forme, son style et son contenu qui nous indiquent qu'il s'agit d'une traduction. Le genre littéraire (ce que Toury appelle modèle) auquel nous avons à faire est insuffisamment connu par le public norvégien et existe principalement sous forme traduite. La tragédie classique n'a jamais connu un grand succès en Norvège et la seule « tragédie « de l'époque qui est restée célèbre est la parodie Kierlighed uden strømper de J.H. Wessel. Nous reviendrons à cet aspect dans le chapitre Contexte. Ce que dit Toury à propos du rôle que joue la traduction dans la culture cible est très pertinent à propos du statut de la tragédie classique dans la littérature norvégienne : une culture a recours aux traductions justement pour remplir ses lacunes, là où ces lacunes se manifestent - en tant que telles ou, souvent, dans une perspective comparative, comme une « non-lacune « dans une autre culture. Thus, cultures resort to translating precisely as a major way of filling in gaps, whenever and wherever such gaps manifest themselves - either as such, or (very often) from a comparative perspective, i.e., in view of a corresponding non-gap in another culture that the prospective target culture has reasons to look up and try to exploit (1995 : 27). Et, bien que Phèdre ne représente pas un tout nouveau genre littéraire dans la culture cible (les tragédies classiques n'étaient pas inexistantes en Norvège au 18e siècle), elle représente tout de même une nouveauté. Tout texte représente quelque chose d'unique et de nouveau, indépendamment des modèles littéraires préexistants dans la culture. Ainsi son introduction dans la culture cible comporte un changement, même si celui-ci est minime (1995 : 27). Pareillement, une deuxième traduction d'un livre est susceptible d'introduire encore une fois quelque chose de nouveau dans la culture cible. Ce qu'apporte la deuxième traduction dans la culture cible est autre chose que ce qu'a apporté la 13 première. Les positions qu'occupent les deux traductions ne sont pas les mêmes, même si elles datent de la même époque. 1.2.2 Traits caractéristiques de la traduction Un des rôles de la traduction est donc de compléter la littérature d'une culture si cette culture en a besoin. Dans le système littéraire d'une culture la traduction constitue un sous-groupe dont une des caractéristiques qui la distingue des textes non-traduits est le fait que si les traductions n'existent que dans la culture cible, elles ont tout de même tendance à dévier des modèles et des normes littéraires préétablies de cette culture. Selon Toury cette déviance des normes est souvent préférée à la normalité. Nous allons voir par la suite qu'un système de normes indépendant est opératoire pour la littérature traduite. Si les traductions ont comme finalité de répondre aux besoins de la culture cible, elles ont aussi tendance à rompre avec les normes littéraires de cette culture. Le principe de garder inchangés certains éléments du texte source rend les traductions distinctes des textes non-traduits. Un certain degré de déviance est regardé comme non seulement justifiable ou acceptable, mais effectivement préférable à la normalité absolue. [...] while translations are indeed intended to cater for the needs of a target culture, they also tend to deviate from its sanctioned patterns, on one level or another, not least because of the postulate of retaining invariant at least some features of the source text - which seems to be part of any culture-internal notion of translation [...]. This tendency often renders translations quite distinct from non-translational texts, and not necessarily as a mere production mishap either; it is not unusual for a certain amount of deviance to be regarded not only as justifiable, or even acceptable, but as actually preferable to complete normality, on all levels at once (1995 : 28). Si nous suivons la logique de Toury, la traduction est de ce fait un genre littéraire qui se distingue des autres genres dans la culture cible. Cette hypothèse est renforcée par le rôle qu'ont joué les pseudo-traductions dans l'histoire de la littérature. Il y a plusieurs exemples d'oeuvres qui ont été présentées comme des traductions sans 14 l'être, justement pour permettre à l'auteur d'introduire une nouveauté dans la culture cible et de rompre avec les normes opératoires de l'époque. Le livre Papa Hamlet, qui a été publiée en Allemagne à la fin du 19e siècle, une période où les pseudo-traductions étaient assez fréquentes dans la littérature, en est un parfait exemple. Dans la préface du « traducteur « de Papa Hamlet celui-ci rend compte de la vie de « l'auteur «, un Norvégien nommé Bjarne P. Holmsen, ainsi que des difficultés qu'il a rencontrées en traduisant le livre du norvégien. La réception du livre dans les journaux et les revues littéraires de l'époque était basée sur l'héritage culturel de l'auteur « norvégien «. Ainsi on lui a attribué des caractéristiques telles que « réaliste «, « impressionniste « et « pessimiste « en parlant du compatriote d'Ibsen et de Bjørnson. La traduction a aussi été commentée, vue soit comme réussie, soit comme insatisfaisante. Evidemment, aucun des critiques n'avait lu « l'original « norvégien, puisqu'il n'existait pas. Finalement la vérité sur les auteurs de Papa Hamlet a été révélée. En présentant leur livre comme une traduction du norvégien, les deux auteurs allemands ont pu introduire des nouveautés dans la littérature allemande. A l'époque, la scène littéraire allemande était dominée par les normes du naturalisme français, et l'objectif des deux Allemands était de se libérer de ces normes « étroites « et d'adopter les normes et les modèles de la littérature scandinave contemporaine, qui représentait un naturalisme différent du naturalisme français. En créant une oeuvre littéraire allemande déguisée en traduction, les auteurs ont néanmoins réussi à introduire des éléments typiques de la littérature scandinave ou, plus précisément, des éléments typiques des traductions allemandes de littérature scandinave, dans la littérature allemande. Par la suite la fausse traduction Papa Hamlet a été considérée comme un des prédécesseurs d'un nouveau naturalisme allemand, inspiré de prototypes scandinaves (1995 : 47-52). Même si dans cet exemple, il ne s'agissait pas d'une vraie traduction qui introduisait des nouveautés dans la culture cible, Papa Hamlet illustre parfaitement 15 que l'un des traits caractéristiques de la traduction en tant que genre est de dévier des normes établies dans la culture cible. Un autre trait qui caractérise le genre qu'est la traduction est la variabilité. Puisque le concept de traduction est un concept culturel, les normes de traductions diffèrent selon les cultures. La traduction en tant que sous-groupe littéraire est donc caractérisée par une diversité entre les différentes cultures ou bien à l'intérieur d'une seule culture, et par des changements à travers le temps (1995 : 31). Cette diversité et ces changements ont leur origine dans le fait que différentes normes sont opératoires dans les différentes cultures et dans les différentes époques. En effet, la traduction, comme toute autre activité littéraire, est soumise aux normes, une notion clé qui sera présentée et approfondie ci-après. 1.2.3 Le double rôle des traductions En ce qui concerne les normes dans la littérature, la traduction joue un rôle double. Elle peut faire partie de deux systèmes de normes en même temps. Elle peut à la fois occuper un rôle dans la culture cible en remplissant une « lacune « dans celle-ci, et être une représentation dans cette culture de quelque chose qui appartient à une autre culture et, ainsi être représentative, des normes littéraires de cette culture (1995 : 56). Il est donc de rigueur de connaître et les normes littéraires de la culture source et les normes de la culture cible pour faire une analyse complète de la traduction. Ce que l'on découvre en effectuant une analyse de la traduction est que la traduction est souvent un compromis entre les deux modèles ou systèmes de normes. (1995 : 119) Dans les traductions de Phèdre ce compromis a été inévitable, étant donné la nature étrange de l'oeuvre originale dans le contexte norvégien. Présentons maintenant les deux termes traductologiques : adéquation et acceptabilité. L'adéquation d'une traduction est déterminée par l'adhérence aux normes et aux traits propres au texte source tandis que l'acceptabilité d'une traduction est déterminée par son adhérence aux normes établies dans la culture cible. En d'autres 16 termes, une traduction suit les normes du système source pour assurer la correspondance avec le texte source, ou elle suit les normes du système cible pour assurer l'acceptabilité dans celui-ci, c'est à dire l'acceptabilité en tant qu'énoncé littéraire dans le contexte du système cible. (Ces deux notions, adéquation et acceptabilité sont liées à celle de norme initiale qui sera présentée ci-dessous.) Mais même dans la traduction adéquate qui prétend suivre au plus haut degré les normes du texte source, il existe des déviations par rapport aux normes sources (1995 : 57). Toury traite en conséquence de la traduction comme faisant partie des deux systèmes normatifs, mais souligne et répète que la traduction existe uniquement dans la culture cible et qu'elle remplit une certaine fonction dans celle-ci. Il dit également qu'elle représente un « genre « littéraire, mais un genre qui n'est jamais représentatif de la littérature dans la culture cible (1995 : 59). 1.3 Normes dans la traduction Comme dans toute tradition littéraire, il existe aussi dans la traduction différents systèmes normatifs. Toury distingue entre deux types de normes : les normes préliminaires, parmi lesquelles une « politique de traduction « (translation policy ) gouverne les choix des textes soumis à la traduction dans une culture ; et les normes opérationnelles qui concernent les choix faits pendant le processus même de la traduction, déterminant par exemple à quel degré le traducteur suit les normes cibles ou sources pour établir l'équivalence avec le texte source dans sa traduction. (1995 : 58) Parmi ces normes opérationnelles il y a ce que Toury appelle la « norme initiale « : Avant de me mettre à discuter les implications de la soumission du traducteur aux normes opérationnelles pour sa traduction, je voudrais introduire un concept supplémentaire, que j'appellerai, faute d'un meilleur terme, « la norme initiale «. Cette notion des plus importantes est un moyen utile pour dénoter le choix de base du traducteur entre deux alternatives opposées qui dérivent des deux éléments constitutifs majeurs de la « valeur « en traduction littéraire mentionnés plus haut : il se soumet soit au texte original, avec ses relations textuelles et les 17 normes qu'il exprime et qui y sont contenues, soit aux normes linguistiques et littéraires à l'oeuvre dans la langue cible ou dans une section de celui-ci. (Toury cité et traduit par A. Berman 1995 : 51) Dans l'analyse des traductions de Phèdre nous verrons que les deux traductrices norvégiennes n'appliquent pas la même norme initiale. Comme nous l'avons déjà dit : les normes pour la traduction littéraire ne sont pas nécessairement identiques aux normes de la littérature non-traduite à l'intérieur d'une culture. Un des objectifs d'une étude descriptive de la traduction peut être d'expliquer quelles ont été les normes qui ont influencé les choix du traducteur et surtout quelle a été la norme initiale. En effet, Toury maintient que toute analyse de traduction va vraisemblablement montrer que les normes de traduction sont dépendantes du statut que tient la traduction, l'activité ainsi que ses résultats, dans la culture cible (1995 : 61). Nous essayerons de rendre compte du statut de la traduction dans la culture norvégienne dans le chapitre Contexte. Quel que soit le statut de la traduction dans la culture, les décisions prises par le traducteur ne sont pas arbitraires, mais suivent toujours des schémas bien définis, et qui sont le plus souvent définis dans la culture cible. Ainsi la traduction fait partie du concept même de la littérature, et constitue un véritable sous-groupe de celle-ci (1995 : 147). Nous tâcherons de montrer, dans ce qui suit, que les normes ou attitudes qui ont influencé les choix faits par les deux traductrices de Phèdre ne sont pas les mêmes, ce qui explique pourquoi les résultats sont si différents. Les normes divergentes se manifestent dans les extraits étudiés dans le chapitre Analyses de ce mémoire ainsi qu'à travers les modèles métriques qu'ont adoptés les traductrices (voir Contexte). 1.4 Problèmes de traduction Les études de traduction sont souvent orientées vers les problèmes de transfert d'un texte dans une autre culture, et un problème courant pour le traducteur est de savoir 18 comment faire quand le modèle source n'est pas acceptable dans la culture cible. Modèle signifie ici la forme d'une oeuvre littéraire. Rappelons que la forme ne se limite pas au mètre, aux vers et à la rime. La forme, c'est aussi les images et les synecdoques (Lederer 1994 : 58). Si la forme du texte à traduire ne coïncide pas avec une forme littéraire connue par la culture cible, elle peut être rejetée par celle-ci. Toury montre l'exemple de la traduction du conte pour enfants, Schlaraffenland, d'allemand en hébreu. Le conte a été traduit par « le poète national « de la littérature <...