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Louis Ramond de Carbonnières: Le Soir

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

Du haut de ce rocher, le théâtre du monde Paraît sombre et majestueux ; L'ombre s'étend sur la plaine profonde, Et s'élève en vapeur à la voûte des cieux. Dans le creux de cette vallée, j'entends gronder un noir torrent ; Son bruit éveille au loin la nature troublée ; Le vent du soir l'apporte en murmurant. Elève-toi, mon âme, à la voûte azurée ! Prends des cieux la route ignorée, Suis dans les airs la vapeur colorée Par les derniers rayons du jour. Dégage-toi d'un sein rebelle ; Franchis ta barrière mortelle, Vole ô mon âme, à la voûte éternelle, Holocauste échappé des flammes de l'amour. Te suivra-t-il aux cieux, ce souvenir terrible, Spectre effrayant, et qui brave le jour ? Planera-t-il, implacable Vautour, Pour surprendre ton vol paisible Que n'atteint pas le souvenir ? Il s'élance d'une aile agile, Dans les airs je l'entends frémir, Il s'assied près de moi, sur le roc immobile ; Il se penche sur le cyprès. Triste oiseau des ténèbres, je l'entends répéter les mêmes chants funèbres, Et gémir les mêmes regrets. Sombre mélancolie, Tu mugis dans mon coeur, comme un torrent lointain ; Je vois avec effroi le couchant de ma vie Se rapprocher de son matin. Etoile errante, Je m'élevais dans un ciel pur ; Un vaste champ d'azur, S'offrait à ma course brillante ; La tempête est venue, effrayant l'univers ; Elle a voilé mon front de ces crêpes funèbres ; Je brillais au milieu des airs, Et je m'éteins dans les ténèbres.

« je l'entends répéter les mêmes chants funèbres, Et gémir les mêmes regrets. Sombre mélancolie, Tu mugis dans mon coeur, comme un torrent lointain ; Je vois avec effroi le couchant de ma vie Se rapprocher de son matin. Etoile errante, Je m'élevais dans un ciel pur ; Un vaste champ d'azur, S'offrait à ma course brillante ; La tempête est venue, effrayant l'univers ; Elle a voilé mon front de ces crêpes funèbres ; Je brillais au milieu des airs, Et je m'éteins dans les ténèbres. Cette élégie est curieusement très proche de L'Isolement de Lamartine.

On pourrait penser que ces textes ont été écrits à la même époque, mais celui de Ramond est bien antérieur.

Ce dernier écrit : « Du haut de ce rocher, le théâtre du monde / Paraît sombre et majestueux ».

Lamartine écrit : « Souvent sur la montagne, à l'ombre du vieux chêne, / Au coucher du soleil, tristement je m'assieds ».

Partis se mettre à l'écart du monde, les deux poètes ont une position surplombante.

Dans les huit premiers vers du Soir, l'atmosphère est particulièrement sombre et inquiétante.

L'auteur constate : « J'entends gronder un noir torrent ».

Il en est de même dans le poème de Lamartine : « Ici gronde le fleuve aux vagues écumantes ; / Il serpente, et s'enfonce en un lointain obscur ».

Les auteurs projettent leurs sentiments dans le paysage qui s'étend sous leurs yeux et portent tous deux le deuil d'unepersonne chère.

Lamartine souffre de la perte d'Elvire, morte est en décembre 1817.

Ramond pleure une mystérieusedisparue, dont un « spectre effrayant » vient lui rappeler l'absence dans des visions douloureuses et des « chants funèbres » (vers 27).

Perclus d'angoisse et de souffrance, les deux auteurs voient venir avec indifférence la fin de leurs jours : « Je brillais au milieu des airs, / Et je m'éteins dans les ténèbres », dit Ramond à la fin de son texte ; «Je contemple la terre ainsi qu'une ombre errante : / Le soleil des vivants n'échauffe plus les morts », déclare Lamartine à la cinquième strophe de son poème.

Nous n'irons pas plus loin dans la comparaison.

Le texte de Ramondayant des caractéristiques qui lui sont bien spécifiques. En effet, la souffrance qui accompagne le deuil semble ici particulièrement virulente : il s'agit d'un « souvenir terrible » (vers 17), « implacable Vautour » (vers 19) et « Triste oiseau des ténèbres » (vers 26).

De plus, nous pouvons relever deux fois le verbe « gémir ».

Contrairement à Lamartine, ce n'est pas pour rejoindre l'aimée disparue que Ramond désire monter au ciel, mais pour fuir la « sombre mélancolie » (vers 29) qui ravage son âme.

La peur fait naître en lui le désir de quitter le monde afin d'échapper, comme Oreste, aux Erynnies qui, nuit et jour, lepoursuivent.

Nous pouvons en effet relever les termes « effroi » et « effrayant ».

L'impatience de l'auteur, piqué par l'aiguillon de l'angoisse, se traduit par les nombreuses phrases impératives qui s'étendent des vers 9 à 16 : « Elève- toi, mon âme » (vers 9) ; « Vole ô mon âme » (vers 15). Ramond ne supporte plus l'étroitesse de son corps.

Sa douleur dépasse de beaucoup ta capacité de toléranceaccordée par ta finitude humaine.

Toutes les fibres de son corps se dressent dans un mouvement de fuite vers l'au-delà : « Dégage-toi d'un sein rebelle » ; « Franchis ta barrière mortelle » (vers 13 et 14).

Mais à moins de mourir, quitter la cage du corps est impossible et c'est dans ce lieu étroit que pénètre le souvenir tant redouté.

Cettescène se déroule entre les vers 17 et 18.

L'approche du souvenir déstabilise tout d'abord l'auteur, dont l'affolementest exprimé par deux phrases interrogatives.

Voilà donc le poète rattrapé par ce qu'il craignait le plus.

Le voilàconfronté au pire : « Il s'assied près de moi, sur le roc immobile ; / Il se perche sur le cyprès » (vers 24 et 25). L'oiseau de mauvais augure a choisi un arbre, qui est un symbole funèbre, et la scène prend l'allure d'un dessin deWilliam Blake. A partir de ce moment, la « Sombre mélancolie » prend possession de son coeur et le paysage de haute montagne endosse une autre fonction que celle que nous lui connaissions déjà.

Si ce paysage était un lieu dans lequel le poètetrouvait des échos à son univers intérieur, ses éléments constitutifs sont maintenant des outils servant à explorercet univers.

Le vers 6 : « J'entends gronder un noir torrent » traduisait, par le biais du paysage, la tristesse de l'auteur.

Maintenant, le vers 30 : « Tu mugis dans mon coeur, comme un torrent lointain », traduit un état intérieur par le biais d'une comparaison avec un élément du paysage.

C'est le point de départ qui a changé.

Audébut du texte, l'auteur partait du paysage pour en venir à ses sentiments.

A la fin du texte, il part de ce qui se. »

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