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Manon Lescaut, pages 137-138, de « Il fallait bien prendre un moment […] » à « […] et de là, chez M. de T… ».

Publié le 14/11/2011

Extrait du document

lescaut

En créant cet entre-deux dans la narration, le texte met en place une caractérisation poussée du protagoniste/narrateur : le personnage prend toute sa dimension ici, et cet extrait à lui seul est une réalisation du cahier des charges proposé dans l’Avis de l’auteur. En alternant tonalité discursive et pathétique, en alliant une rhétorique impeccable et une théâtralisation au service des appels à l’émotion, c’est bien un conflit intérieur entre la raison et la passion ou encore, entre l’amour de Dieu et les vertus qu’il commande d’une part, et l’amour d’une femme et les vices qu’elle exige d’autre part, qui est dépeint. Le texte se situe d’ailleurs au carrefour du roman sensible (tonalité pathétique, analyse psychologique des sentiments chez un être vertueux mais faible – comme La Nouvelle Eloïse de Rousseau ou encore Pamela ou Clarisse Harlowe de l’anglais Richardson...

Vous caractériserez la nature, les finalités et les fonctions de la scène et analyserez les différents procédés textuels qui permettent de structurer le discours du personnage.   

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« à 32 :« Tiberge […] le pouvoir de me donner ? Non, il sera touché […] » ou encore lignes 49-50 : « Qu’ai-je à mettreen balance avec elle ? Je n’y ai riens mis […] ») ainsi que les modalités exclamatives (lignes 22 à 25 « Quelpersonnage […] part de son bien ! » ; lignes 46-47 : « Mais il s’agit bien ici de mon sang ! ») accentuent l’émotionmise en place par le champs lexical de la souffrance (« misère »[deux occurrences, lignes 23 et 33], « honte »,« humiliation », « du trouble et des remords », …] ainsi que par l’omniprésence de la mort, avec la tentationconstante du suicide (mise en valeur par le jeu rhétorique portant sur ceci que le personnage donnerait plusvolontiers la moitié de son sang que de recourir à chacune des solutions, soit son sang tout entier que de recouriraux deux – lignes 29-30, 35-36, 41-46.) Pourquoi alors cette introduction subite par le texte du registre pathétique ? Quelle est sa fonction ? C’est lafonction de caractérisation évoquée ci-dessus.

Car si le texte fait précéder la première solution envisagée àl’exaltation de Des Grieux, c’’est pour mieux dépeindre le conflit intérieur que (re)vit le personnage : il se trouve eneffet déchiré entre des valeurs qu’il invoque – et qui étaient encore au début du roman les siennes – et la nécessitédans laquelle il est de « remplir actuellement [s]a bourse » (lignes 19-20.) Cette opposition est mise en place par letexte qui confronte le champs lexical de la vertu à celui de la bassesse : la double occurrence de la générosité(« généreusement » ligne 20, et « générosité » ligne 27), ainsi que l’invocation de la chrétienté (« un chrétienhumble » ligne 27, « on bon chrétien » ligne 29) et de la morale (« il m’assassinera par sa morale » ligne 33 ouencore, le rythme ternaire « ses reproches, ses exhortations, ses menaces » ligne 34, ou enfin, le « trouble » et les« remords » laissés à l’homme vertueux qui pêche – ligne 38.) rappellent le système de valeur qu’a prôné Des Grieuxtout au long de l’œuvre.

Et parallèlement, l’ « extrême répugnance » mise en avant par Des Grieux est corroboréepar le champs lexical de la bassesse : « Quel personnage » (ligne 22), « prier » (ligne 24), « une âme lâche » (ligne25), « bassesse » et « indignité » (ligne 26) ou encore « honte » et « humiliation » (lignes 28 et 30.) Et le texte vajusqu’à accoler les deux notions antithétiques aux lignes 28-29 afin de mettre en place ce conflit : « Je n’étais ni unhomme lâche, ni un bon chrétien.

» D’ailleurs, ce retour à la « solitude » et à la « tranquillité » était déjà, dès lesdeux premières lignes du texte, un élément de mise en place de conflit : car cette solitude a déjà été pour DesGrieux le catalyseur de l’introspection et de l’immersion dans les valeurs religieuses (voir la première trahison deManon).

De même que la présence de Tiberge dans ses pensées : Tiberge est tout au long du roman l’incarnationdes valeurs morales et religieuses, incarnation systématiquement écartée au profit de Manon (dès la scène de larencontre entre Des Grieux et Manon).

Manon semble alors devenir le double négatif de Tiberge, incarnation de lapassion et des vices.

Et le texte rappelle cet état de fait, puisque le conflit intérieur est soldé par la seuleoccurrence du prénom de Manon (ligne 48.) La seule évocation dans le texte des deux personnages aux antipodesl’un de l’autre est en fait une invocation de deux systèmes de valeurs antithétiques – vertu, raison et religion contrevice, passion et amour – qui sont les fondements et plus encore, la raison d’être de l’œuvre selon l’Avis de l’auteur. Malgré cette connaissance de ceci qu’il allait se « réduire à de basses supplications » (ligne 46), leprotagoniste/narrateur « ne fu[t] pas longtemps à [s]e déterminer, après ce raisonnement » (lignes 55-56.) Laquestion qui se pose alors est de déterminer quelle est la valeur dudit « raisonnement » ? Comment et pourquoi letexte détaille-t-il ce raisonnement quand le problème qu’il expose, le conflit qu’il retranscrit est-il soldé sirapidement ? Il faudra dans ce second temps montrer que la rhétorique impeccable de Des Grieux (A) s’avèrerapidement n’être qu’un raisonnement dialectique spécieux (B) qui tend – non pas à la justification de sa conduite –mais à émouvoir et à attirer la bienveillance de ses auditeurs/lecteurs (C). Manon Lescaut est l’histoire du chevalier Des Grieux, raconté par lui-même à Renancour, qui se propose de relaterfidèlement leur histoire.

Dès les premières lignes du récit de Des Grieux, celui-ci tient à cœur de mettre en avant sesqualités, et parmi elles, son « éloquence scholastique » (page 59 ligne 37) est présentée par lui-même comme un deses atouts majeurs, qui lui permettra tout au long de l’œuvre d’affirmer la qualité de sa naissance, et de mettre enavant la vertu qui était prépondérante chez lui avant la rencontre de Manon.

Cette éloquence, cette rhétorique, sespropensions à convaincre – ou plutôt à persuader – constituent en effet l’un des traits caractéristiques majeurs deDes Grieux.

Aussi quand il annonce à la quatrième ligne du texte qu’il « entr[a] dans une mer de raisonnements et deréflexions » peut-on s’attendre à ce qu’apparaisse cette rhétorique impeccable qu’est la sienne.

Et, de ce point devue, l’horizon d’attente n’est pas déçu : en effet, à peine le lecteur entre-t-il dans ces réflexions qu’il est frappé parla structure efficace de son premier exposé, qui s’étend de la ligne 4 à la ligne 18.

Ainsi, l’hyperbolique « mer deraisonnements et de réflexions » se réduit immédiatement à « trois principaux articles » (ligne 6) : et la structureanaphorique qui introduit les trois articles est déjà la marque de la précision et de l’éloquence de son argumentation(« J’avais besoin », « J’avais à », « j’avais […] à ».) Puis deux de ces trois articles sont écartés – cette démarcheétant « encore à propos » (ligne 14).

Sans connecteurs logiques (il s’agit d’une asynthète, remplaçant lesconnecteurs logiques par la ponctuation), le texte justifie ces retranchements à l’aide de deux phrases affirmativescourtes qui ne laissent aucune place au doute (lignes 15 à 18).

Et ces phrases courtes ne sont séparées commeplus haut dans le texte que par un seul point-virgule : ce parallélisme des formes concourt encore à l’efficacité de laprésentation en intensifiant l’impression d’évidence du raisonnement et par là, sa validité.

C’est ainsi que le texteintroduit son propos de sorte qu’il apparaisse comme le propos le plus pertinent, pour en arriver au paragraphesuivant : « Il était donc question de remplir actuellement ma bourse » (lignes 19-20).

L’on constate également lavariété du style de Des Grieux : il multiplie les connecteurs logiques (donc [lignes 19,38], mais [lignes 21, 33,47,53], c’est-à-dire [ligne 42], puisque [ligne 39]).

Il utilise abondamment la ponctuation expressive (relevéeprécédemment dans le commentaire), et notamment la question rhétorique qui s’étend de la ligne 30 à la ligne 32 :« Tiberge, disais-je, le bon Tiberge me refusera-t-il ce qu’il aura le pouvoir de me donner ? Non […] » ; ici, la reprisede Tiberge avec un qualificatif mélioratif antéposé est déjà une réponse à la question.

L’on peut également releverles rythme ternaire de la ligne 34 (« ses reproches, ses exhortations, ses menaces »), qui est également unegraduation, ainsi que celui des lignes 50-51(« elle me tient lieu de gloire, de bonheur et de fortune »).

Ou encore,. »

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