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Manon Lescaut, Retrouvailles à Saint Sulpice de Abbé Prévost

Publié le 05/07/2012

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Si l’auteur veut nous donner une image de l’homme ainsi que de la religion, il n’exclue pas non plus une vision personnelle de la morale… Toutefois, le terme de morale qu’il nous propose peut nous paraître de prime abord ironique voire même absente ; avec son héroïne catin, emblème du mouvement picaresque qui « capitule « pour « quelque somme considérable « (p.126) et avec son abbé qui parle avec « un mélange profane d’expressions amoureuses « (p.125). Cependant, l’abbé Prévost considère Manon Lescaut comme « un traité de morale, réduit agréablement en exercice « (p.78, dans l’Avis de l’auteur). Dans cet extrait, la dimension morale résiderait peut être dans le chevalier des Grieux lui-même. En effet, malgré l’infidélité de Manon, il décide quand même de lui pardonner : « En lui promettant néanmoins un oubli général de ses fautes (…) « (p.126). Il applique ce qu’on a dû lui apprendre à Saint Sulpice… «savoir pardonner à ceux qui nous offensent «. De plus, le chevalier des Grieux s’offre à Manon, entièrement, comme un cadeau… « Demande ma vie, qui est l’unique chose qui me reste à te sacrifier (…) « (p.124) et en retour, il n’aura même pas le courage de demander la fidélité de Manon « dites-moi si vous serez plus fidèle. « (p.125).

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« l'auteur à savoir : faire sortir presque les personnages de l'objet livres afin de venir hurler leur déchirante passion sous nos yeux.

Enfin, l'abbé Prévost joue sur destopoï particuliers de la tragédie… Nous avons d'abord le thème de la passion amoureuse, ici dans cet extrait, nous passons bien de l'amour à la haine… Manon c'est «l'air de l'Amour même » (p.123) mais c'est aussi la « Perfide » (p.124), il y a un mélange entre un discours comportant des « choses si touchantes » (p.125) et la hainedu cœur écorché de des Grieux « Demande donc ma vie, infidèle ! » (p.124).Il y aurait presque un désir de catharsis pour que le lecteur prenne peur de la passionamoureuse, puisque l'on pourrait dire qu'elle est présentée ici comme une sorte de folie « elle se leva avec transport pour venir m'embrasser.

» (p124).

Cette idéeserait soutenue par la crainte et la pitié ressentie soit par des Grieux, soit par le lecteur.

En effet, le chevalier est terrifié quand il rencontre de nouveau Manon « J'enétais épouvanté.

Je frémissais, (…) » (p.124) quand au lecteur, il est amené à prendre pitié de ces deux amants qui pleurent tour à tour… Nous pourrions dire quel'abbé Prévost joue avec le pathos amoureux… « elle mit la main devant ses yeux, pour cacher quelques larmes » (p.123) et plus loin, nous assistons à un torrent delarmes de la part de nos deux amoureux : « en pleurant à chaudes larmes » (p.124), « en versant moi-même des pleurs » (p.124).

Le troisième topos emprunté à latragédie antique par Prévost c'est le thème de la mort… En effet, dès la scène du parloir nous découvrons que le visage de la mort plane sur nos deux jeunesamants… « Je prétends mourir, répondit-elle, si vous ne me rendez votre cœur sans lequel il est impossible que je vive.

» (p.124) et plus loin, des Grieux lui répond «Demande ma vie, qui est l'unique chose qui me reste à te sacrifier (…) » Enfin, la dernière trace que nous pouvons relevée comme étant liée à la tragédie c'est le styleemployé dans cet extrait.

Effectivement celui-ci est loin d'être bas, il est élevé : « Je ne vois que trop que vous êtes plus charmante que jamais ; mais au nom de toutesles peines que j'ai souffertes pour vous, belle Manon, dites-moi si vous me serez plus fidèle.

» (p.125) ; dans cette citation nous pouvons voir tout le respect qu'il luiporte avec la présence de la deuxième personne du pluriel « vous » et nous pouvons relever la grammaticalité de cette réponse…L'Amour que ressent des Grieux à l'égard de Manon est une bien folle maladie, il est conscient qu'en aimant Manon il se perdra en elle mais, rien ne l'importe plus quele bonheur de sa charmante perfide… Dans les liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos Mme de Volanges écrivait ceci : « Qui pourrait ne pas frémir ensongeant aux malheurs que peut causer une seule liaison dangereuse ? », en lisant Manon Lescaut, nous serions tentés de répondre… le chevalier des Grieux… Etpourtant, ce Grand Amour possède un parfum de chrysanthème…Nous découvrons alors Manon Lescaut comme figure féminine ambigüe… En effet, nous pourrions la caractériser comme « humaine » dans un premier temps ouencore, fragile.

« Elle me répondit des choses si touchantes sur son repentir, et elle s'engagea à la fidélité par tant de protestations et de serments, qu'elle m'attendrit àun point inexprimable.

» (p.125).

Elle arrive à l'attendrir grâce à son langage… Nous avons en face de nous, une créature « trop adorable » (p.125).

Manon arrive àjustifier son infidélité en montrant au chevalier combien elle à été malheureuse sans lui… « elle n'avait jamais goûté de bonheur avec lui, non seulement parce qu'ellen'y trouvait point, me dit-elle, la délicatesse de mes sentiments et l'agrément de mes manières, mais parce qu'au milieu même des plaisirs qu'il lui procurait sans cesse,elle portait, au fond de son cœur, le souvenir de mon amour, et le remord de son infidélité.

» (p.126-127).

Manon sait utiliser le langage afin d'être pardonnée et quel'on prenne pitié d'elle… En fait, elle veut expliquer à des Grieux que malgré la vie luxueuse qu'elle a mené avec Monsieur de B… rien ne peut le remplacer dans soncœur… Nous serions presque émus par ses paroles car il s'agit de belles déclarations d'amour… Nous pouvons ici penser à ce que disait Montesquieu de ce roman : «Je ne suis pas étonné que ce roman dont le héros est un fripon et l'héroïne une catin qui est menée à la Salpêtrière, plaise, parce que toutes les actions […] ont pourmotif l'amour, qui est toujours un motif noble, quoique la conduite soit basse.

» En effet, l'action de Manon nous parait acceptable puisqu'elle le fait par amour pourle chevalier des Grieux.

Ainsi, elle explique qu'elle avait cédé aux avances de Monsieur de B… « sans autre dessein que de tirer de lui quelque somme considérablequi pût servir à nous faire vivre commodément.

» (p.126)… Ce serait presque leur relation impossible qui pousserait Manon à se prostituer pour leur bonheur à tousles deux… De plus, pour disculper Manon, nous pourrions dire qu'elle est la victime d'un siècle… En effet, Manon n'ayant pas une « naissance commune », désirantune sécurité financière et ayant besoin d'une aisance matérielle, l'entraine à devenir une femme entretenue… Cependant, l'amour et la société ne peuvent pas toutjustifier… Si Manon nous apparait comme « humaine », elle n'en est pas moins une « Véritable Sirène »… En effet, sa sincérité et son innocence peuvent être remiseen question et ce, grâce au discours du chevalier des Grieux lui-même.

Il alterne savamment le discours direct et le discours indirect.

Ainsi, nous remarquons qu'ilemploi pour lui le discours direct « Ah ! Manon, lui dis je en la regardant d'un œil triste (…) » (p.125), mais pour sa « souveraine absolue », il ne rapporte sondiscours que par le style indirect « elle me dit » (p.123), « elle me répondit » (p.125)… Grâce à cet emploi, c'est comme si les fautes de Manon était comme gommées,atténuées… En fait, elle se dérobe.

Ce dernier argument pourrait être appuyé par l'utilisation de verbe « prétendre » qu'elle use afin de ne pas dévoiler ses vraisaveux… « Elle me répéta, en pleurant à chaudes larmes qu'elle ne prétendait point justifier sa perfidie.

» (p.124)…C'est pourquoi, nous remarquons que Manon Lescaut représente la picara du XVIIIème siècle français… En effet, elle ne recule devant rien pour gravir les marchesde l'ascension sociale… Alors que le XVIIIème siècle est réputé pour sa philosophie : la puissance de la raison et celle de la sagesse, nous avons en opposition tout lecourant libertin qui exulte toute la liberté de soi et du désir… Nous pourrions caractériser Manon Lescaut comme une catin moderne qui choisi d'échanger son corpspour de l'argent… En effet, alors qu'elle explique à des Grieux de quelle manière elle fut séduite par Monsieur de B…, nous apercevons déjà l'esquisse de la catin.

«Le payement serait proportionné aux faveurs » et ensuite, il ajoute « Elle avait capitulé d'abord » (p.126), ces deux phrases associées ensemble montre bien queManon se laisse amadouer grâce à l'argent… En effet, « le payement » est d'abord annoncé par l'auteur avant l'accord de Manon.

De plus, par ces deux citations, nousvoyons bien l'échange qui se met en place à savoir : une rémunération pour des compensations charnelles.

Selon Raymond Picard, universitaire français et ayantparticipé à l'édition de l'Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut avec Deloffre, il écrit ceci : « Manon est la femme-objet […] qui passe de main enmain, comme un élégant caniche ou un oiseau des Indes.

» Vendre son corps paye puisque c'est Manon qui « fournit aux frais » car des Grieux « était sans un sou »(p.128).

De plus, Manon avoue elle-même : Monsieur de B… l'entretenait dans « l'opulence »… Dans cette partie, nous voyons bien que ce qui est lié avec lasexualité ce n'est pas l'amour mais, l'argent.

Nous pourrions faire référence à Moll Flanders.

En effet, celle-ci était payée par le frère aîné en fonction de ce qu'ilobtenait « je marchai avec lui, et soudain, prenant son avantage, il me jeta sur le lit et m'y baisa très violemment, (…) et là-dessus, il me mit cinq guinées dans lamain.

» (p.58-59, cf.

: Moll Flanders.) De plus, comme nous l'avons déjà dit, Manon représente l'ambigüité féminine : un « sphinx étonnant » (Musset), en fait,Manon pourrait presque s'apparenter à la représentation du diable féminin, celui qui charme et envoûte… « Ses charmes surpassaient tout ce qu'on peut décrire »(p.123) ou encore, « Toute sa figure me parut un enchantement » (p.123).

Par ces deux citations, nous voyons que Manon c'est l'incarnation de la tentatrice charnelle,un diable de beauté… Toute cette ambigüité que concentre Manon entre sa fragilité et sa passion amoureuse d'une part, et d'autre part sa fougue de séduction, nous laretrouvons dans le personnage de Biondetta, dans le diable amoureux de Cazotte.

En effet, pour la décrire le héros dit ceci : « le feu de ses regards si touchants, sidoux, est un cruel poison.

Cette bouche, si bien formée, si coloriée, si fraîche, et en apparence si naïve, ne s'ouvre que pour des impostures.

Ce cœur, si c'en était un,ne s'échauffait que pour une trahison.

» (p.52) ; dans cette citation nous retrouvons les intensifs « si » (utilisés pour décrire l'air de Manon) ainsi que, le rythmeternaire…Enfin, la scène du parloir de Saint Sulpice annonce en quelque sorte les actions de nos deux amants… Même si l'amour est présenté comme grandiose et au dessus detout… déjà un parfum de chrysanthème enveloppe Manon et le chevalier des Grieux.

En effet, alors que le chevalier fait son exercice public, Manon l'observederrière une « jalousie »… Ce terme est polysémique, effectivement, il s'agit tout d'abord d'un sens architectural… Si nous lisons la note explicative nous avons cettedéfinition : « sorte de fenêtre treillissée, c'est-à-dire formée par des lattes de bois en croisillons, qui dissimulaient les occupants, mais leur permettaient de voirl'extérieur »… déjà par cette interprétation nous avons l'idée d'enfermement, peut être peut on y voir l'image de l'emprisonnement face à son destin… Malgré tousleurs efforts les deux amants ne pourront pas échapper à leur destinée tragique… De plus, la jalousie représente ce sentiment puissant que ressentira des Grieux lorsdes différentes infidélités de Manon.

Le fait que la scène soit le prélude du reste du roman est visible dans la demande de des Grieux « mais au nom de toutes lespeines que j'ai souffertes pour vous, belle Manon, dîtes moi si vous serez plus fidèle.

» (p.125), en lisant attentivement cette phrase, nous constatons la présence del'adverbe « plus » qui aurait dû être banni du langage de des Grieux et ainsi, demander qu'elle lui soit fidèle entièrement… Mais, l'adverbe indique donc (déjà) aulecteur que, Manon ne lui restera pas fidèle et recommencera à se prostituer pour obtenir de l'argent… Des Grieux multiplie ce genre d'annonces glissées à l'intérieurde son discours.

« Je vais perdre ma fortune et ma réputation pour toi, je le prévois bien ; je lis ma destinée dans tes beaux yeux ; mais de quelles pertes ne serai-jepas consolé par ton amour ! » (p.125-126), cette prolepse avertie déjà le lecteur du gouffre dans lequel le chevalier des Grieux s'enfoncera peu à peu… Celle-ci nousrappelle le portait qui est fait de lui dans « l'Avis de l'Auteur » : « un jeune aveugle, qui refuse d'être heureux, pour se précipiter volontairement dans les dernièresinfortunes (…) ; qui prévoit ses malheurs, sans vouloir les éviter » (p.73-74).

Et c'est pourquoi cette scène est représentative de toute l'œuvre puisqu'avec sadimension tragique, elle évoque plusieurs fois la mort.

Dans la bouche de Manon le verbe « mourir » est retranscrit plusieurs fois : «je prétends mourir (…) » (p.124),alors qu'elle ne le disait que pour montrer au chevalier la force de ses sentiments, Manon s'éteindra… Le parfum du chrysanthème s'est propagé dans l'avenir desamants…« Fallait-il satisfaire les partisans d'une littérature d'édification morale, embellir donc la nature humaine en la peignant, l'idéaliser, et tomber, ce faisant, dans l'irréel etl'invraisemblable ? Ou fallait-il, au contraire, représenter la nature humaine telle qu'elle était, et donc, dans la mesure où le réalisme est à l'art ce que le cynisme est àla morale, tomber dans l'immoralité ? » Georges May, dans Le Dilemme du roman du XVIIIème siècle.

Dans cet extrait, derrière les mémoires de des Grieux se cachela plume de l'auteur.

Cette trace est visible parce que l'abbé Prévost nous permet de découvrir la Nature Humaine.

En effet, l'abbé Prévost nous plonge dans l'hommeet sa faiblesse… « on se trouve emporté tout d'un coup loin de son devoir, sans se trouver capable de la moindre résistance, et sans ressentir le moindre remords.

». »

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