Mélancholia
Publié le 11/05/2023
Extrait du document
«
Lecture n°2 « Mélancholia » :
Introduction :
La révolution industrielle au XIXème siècle a engendré de grands besoins de main
d’œuvre dans l’industrie.
Les enfants, issus des classes sociales pauvres, étaient alors
généralement conduits à travailler très jeunes.
Dès le début du XIXème siècle, en 1819,
le Royaume Uni fixe à 9 ans l’âge minimal fixé pour travailler puis, en 1833, fixe le temps
de travail à 48 heures par semaine et 11 heures par jour.
Quand Victor Hugo écrit le
poème « Melancholia » en 1838, la France n’a pas encore adopté de législation encadrant
le travail des enfants.
« Melancholia » désigne alors la mélancolie politique de Victor
Hugo devant l’exploitation des enfants.
On peut alors se demander comment Victor Hugo transforme sa mélancolie en révolte
politique.
Dans « Melancholia », Victor Hugo dresse un tableau réaliste et tragique du travail de
enfants (v.
1 à v.
6) pour critiquer l’industrialisme, une doctrine influente au XIXème
siècle qui voit dans le travail industriel un progrès (v.
7 à v.
12).
Cet extrait s’achève
comme un véritable réquisitoire contre le travail des enfants (v.
12 à v.
34).
Lecture du texte :
Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?
Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ?
Ils s'en vont travailler quinze heures sous des meules ;
Ils vont, de l'aube au soir, faire éternellement
Dans la même prison le même mouvement.
Accroupis sous les dents d'une machine sombre,
Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre,
Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
Ils travaillent.
Tout est d'airain, tout est de fer.
Jamais on ne s'arrête et jamais on ne joue.
Aussi quelle pâleur ! la cendre est sur leur joue.
Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las.
Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas !
Ils semblent dire à Dieu : « Petits comme nous sommes,
Notre père, voyez ce que nous font les hommes ! »
O servitude infâme imposée à l'enfant !
Rachitisme ! travail dont le souffle étouffant
Défait ce qu'a fait Dieu ; qui tue, œuvre insensée,
La beauté sur les fronts, dans les cœurs la pensée,
Et qui ferait - c'est là son fruit le plus certain ! D'Apollon un bossu, de Voltaire un crétin !
Travail mauvais qui prend l'âge tendre en sa serre,
Qui produit la richesse en créant la misère,
Qui se sert d'un enfant ainsi que d'un outil !
Progrès dont on demande : « Où va-t-il ? que veut-il ? »
Qui brise la jeunesse en fleur ! qui donne, en somme,
Une âme à la machine et la retire à l'homme !
Que ce travail, haï des mères, soit maudit !
Maudit comme le vice où l'on s'abâtardit,
Maudit comme l'opprobre et comme le blasphème !
O Dieu ! qu'il soit maudit au nom du travail même,
Au nom du vrai travail, sain, fécond, généreux,
Qui fait le peuple libre et qui rend l'homme heureux !
Etude du texte :
Tout d’abord, de la ligne 1 à 6, on observe un tableau réaliste et tragique du travail des
enfants.
En effet, Victor Hugo dresse un tableau réaliste de la misère à travers le portrait en
action d’enfants allant au travail.
Le poète se mue ainsi en chroniqueur qui va enquêter
sur les conditions de travail.
L’utilisation des déterminants déictiques « ces enfants », «
ces doux êtres », « ces filles » inscrit Victor Hugo dans une relation de présence et de
proximité avec ces enfants.
Le champ lexical du mouvement « cheminer », « s’en vont »,
« vont », « mouvement » montre le souci de réalisme du chroniqueur qui témoigne.
Mais le poème « Melancholia » évolue rapidement vers un registre tragique.
Les
périphrases « Ces doux êtres pensifs », « Ces filles de huit ans » suscitent la pitié du
lecteur en insistant sur la fragilité et l’innocence de ces enfants.
Le terme « fièvre »,
sujet du verbe « maigrit » (v.2) devient une allégorie de la maladie qui s’abat sur les
enfants et lui donne un caractère plus fatal.
Au vers 3, Victor Hugo joue avec
l’homonymie entre « cheminer » et « cheminées » qui suggère que le mouvement des
enfants est entièrement tourné vers l’usinage et la production.
Le choix de l’âge de « huit
ans » n’est pas le fruit du hasard.
Il correspond à l’âge minimum pour travailler en 1856
mais n’est pas encore voté en France.
Victor Hugo, indigné par ce seuil très bas, montre
que le droit français incarne ce destin fatal.
Enfin, ce sont des enfants aliénés.
Le champ lexical de l’économie « travailler », « quinze
heures », « meules », « machines » souligne l’enfermement des enfants dans les rouages
d’une industrie aliénante.
Victor Hugo se situe dans le sillage de la pensée socialiste
française qui critique l’exploitation industrielle des ouvriers et recherche une organisation
humaine du travail.
Victor Hugo dénonce ainsi un travail répétitif qui réduit les enfants à
l’état de machines comme le montre le champ lexical de la circularité : « de l’aube au
soir », « éternellement », « même », « même ».
Les enfants « en mouvement » du vers 6 deviennent « accroupis » au vers 7, signe de
l’immobilisation du tableau des....
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