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Molière Acte I, Scène IV, CLITANDRE, BÉLISE. Les Femmes savantes

Publié le 19/02/2011

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Molière est un auteur de théâtre du XVIIème siècle. Ses comédies, fidèles à l'esprit du classicisme, prétendent corriger les moeurs par le rire. Elles sont particulièrement appréciées de Louis XIV et de sa cour. Les Femmes savantes est une de ses comédies, qu'il écrit en 1672. Cette pièce en cinq actes et en alexandrins illustre le désordre qui règne dans la maison bourgeoise de Chrysale, depuis que les femmes de la maison y ont pris le pouvoir, en imposant à tous leur passion excessive pour l'esprit et le savoir. Philaminte, mère d'Henriette, veut ainsi donner sa fille en mariage à un poète précieux, Trissotin, alors que la jeune fille aime Clitandre d'un amour réciproque. Dans ce dialogue de la scène 4 de l'acte I, on voit ainsi Clitandre tenter de gagner Bélise, la tante d'Henriette, à sa cause.

« Bélise dans son projet d'épouser Henriette, le jeune homme a bel et bien échoué dans sa démarche.

Formulée auxvers 289-290, sa requête n'a pas constitué l'objet réel du dialogue, puisqu'il n'a pu convaincre Bélise qu'il nes'agissait pas seulement d'un prétexte.

L'impatience et l'étonnement, voire l'exaspération de Clitandre, connaissentainsi un crescendo comique : cherchant d'abord poliment à corriger Bélise « et pourquoi voulez-vous penser ce quin'est pas », il reformule ensuite plus brutalement sa pensée : « je veux être pendu si je vous aime ».

Le changementde ton est encore plus net quand sa situation d'énonciation change et que, resté seul en scène, il s'adresse à lui-même : « Diantre soit de la folle avec ses visions! / A-t-on rien vu d'égal à ces préventions? ».

Son imprécation : «Diantre soit… », et la manière désobligeante dont il évoque Bélise : « la folle avec ses visions », témoignentde son étonnement, voire de son exaspération.

Ce court monologue est aussi adressé au public, qu'il prend ainsi àtémoin de la folie de Bélise, créant une complicité avec celui-ci.

Il dresse finalement le constat de son échec endécidant de chercher ailleurs un appui : « Allons commettre un autre au soin que l'on me donne, / Et prenons lesecours d'une sage personne ».

L'antithèse entre cette « sage personne » qu'il se propose de solliciter et « la folle »qu'est Bélise impute clairement son échec à la déraison de cette dernière.

Le quiproquo, que Clitandre échoue àdissiper, rend bien la scène comique.

Il s'explique par la folie de Bélise, que sa préciosité excessive aveugle.

Bélisese conduit en effet selon un code précieux que Clitandre ne partage pas, ce qui explique la difficulté des deuxpersonnages à communiquer.

La conception qu'a Bélise du langage et de l'amour est en effet propre à la préciosité.Le langage de Bélise est d'abord un langage précieux, par lequel elle répond au langage galant de Clitandre.Caractérisé par l'emploi de termes abstraits et rares, comme « truchements » ou encore de périphrases paradoxalescomme les « muets interprètes » qui désignent également les yeux, le langage précieux de Bélise est en réalité unméta-langage, c'est-à-dire un langage qui décrit un langage.

La plupart de ses répliques est en effet consacrée àdécrire la manière dont un amant doit s'exprimer, et à apprécier la façon dont Clitandre se conforme à ce code, queBélise croit partagé.

Elle prescrit ainsi l'emploi d'un langage indirect, en opposant par exemple en antithèse lesexpressions des « yeux » et de la « bouche » : « Je puis fermer les yeux sur vos flammes secrètes, /tant que vousvous tiendrez aux muets interprètes / Mais si la bouche vient à s'en vouloir mêler, / Pour jamais de ma vue il vousfaut exiler ».

Elle apprécie donc le langage indirect passant par le regard : « cessez de vous défendre / De ce quevos regards m'ont souvent fait entendre », et refuse l'expression directe qui passe par la bouche : « Et nem'expliquez point par un autre langage /Des désirs qui chez moi passent pour un outrage ».

Elle ne tolère le langagearticulé qu'à condition qu'il passe par des « détours », des « faux-fuyants » ou des « figures », ceci afin demaintenir à distance la réalité, toujours suspecte de grossièreté.

C'est dans cet esprit qu'elle félicite Clitandre dudétour « ingénieux » qu'elle croit déceler dans ses propos : ses répliques sont alors des commentaires portant sur lelangage de Clitandre, comme aux vers 291-294.

Le quiproquo vient ainsi du fait que Bélise, en faisant jouer àClitandre le rôle de l'amant précieux, traite le discours galant de celui-ci comme un discours précieux, qu'il n'estévidemment pas.

Si Bélise est précieuse par son rapport au langage, elle l'est aussi par son rapport à l'amour.

C'estparce que la réalité concrète de l'amour blesserait sa « pudeur » qu'elle attend des « vœux épurés », dessentiments qui, non seulement dans leur expression mais encore dans leur nature même, soient vidés de touteréalité charnelle : « Et ne m'expliquez point par un autre langage / Des désirs qui chez moi passent pour un outrage».

Elle reprend ainsi vers 277 et 283 les termes galants dont se servait Clitandre dans sa 1ère réplique, en particulierle terme d'« amant » et la métaphore traditionnelle de la « flamme », contribuant à nourrir le champ lexical del'amour qui domine le passage, mais pour interrompre l'entrée en matière de Clitandre qu'elle estime trop explicite : «ah ! tout beau, gardez-vous de m'ouvrir trop votre âme ».

Comme la métaphore des vers 317-318 le montre, elleprend la posture d'une déesse que l'amant doit adorer comme il convient : « Pourvu que ses transports, parl'honneur éclairés, / N'offrent à mes autels que des vœux épurés.

» La condition initiale « pourvu que » et lanégation restrictive « n'offrent …que..

» montrent l'exigence dont elle fait preuve, en demandant l'offrande de« vœux épurés ».

De même que les dieux de l'Antiquité étaient supposés ne se nourrir que de la fumée dessacrifices, Bélise n'a besoin que d'hommages platoniques et désincarnés : le désir charnel est pour elle impur.

Seconduisant ainsi comme les femmes divinisées par les précieux, Bélise énumère ses exigences, à travers destournures injonctives qui exploitent l'autorité dont elle s'estime investie : « gardez-vous de m'ouvrir trop votre âme» « aimez-moi, soupirez, brûlez pour mes appas » « sans rien prétendre il faut brûler pour elle ».

Elle pose égalementdes conditions : « on veut bien pourvu que» , « Je puis fermer les yeux …Tant que vous vous tiendrez… » et formule des menaces : « Mais si la bouche vient à s'en vouloir mêler,/Pour jamais de ma vue il vousfaut exiler.

» Comme Armande à l'acte I, elle se dit enfin réfractaire au mariage : « je dirai qu'Henriette à l'hymen estrebelle ».

La folie de Bélise, dont parle Clitandre, semble enfin s'expliquer par son imagination, nourrie de romanssentimentaux et d'œuvres précieuses comme le suggère sa comparaison entre la situation présente et « tous lesromans où j'ai jeté les yeux ».

Le pluriel renforcé par « tous » signale ici à quel point ces lectures semblentnombreuses.

Bélise dans cette scène cherche visiblement à vivre une scène d'amour romanesque, dont elle dicte lerôle à Clitandre, et dont elle lui interdit de sortir, en l'interrompant ou en lui soufflant ses répliques au besoin.

Béliseapparaît ainsi comme un personnage qui confond l'imaginaire et la réalité, d'où les « visions » que lui attribueClitandre.

Le quiproquo aura ainsi illustré une opposition entre l'imaginaire du fantasme dans lequel Bélise estenfermée, et la réalité à laquelle Clitandre échoue à la rappeler et dont Bélise ne veut rien savoir.

Cet isolement, cetenfermement de Bélise dans son monde imaginaire, et les situations absurdes sur lesquelles il débouche peut donner,au-delà de la satire et du comique, un caractère pathétique à cette tante restée vieille fille, peut-être encorejeune, et portant à son paroxysme le divorce avec la réalité qui affecte les autres femmes savantes.

Bélisereprésente peut-être ce que deviendra Armande si elle persévère dans son refus du mariage, du corps et de laréalité.

Cette scène de quiproquo se révèle comique, malgré l'échec qu'y subit Clitandre, et illustre les impassesd'une excessive préciosité.

Le personnage romanesque de Bélise, qui confond son désir et la réalité, peut fairesonger à ces héros de roman qui confondirent eux aussi l'imaginaire et la réalité, et voulurent à toute force trouverdans l'existence ce qui ne se trouve que dans les romans : Don Quichotte, le héros de Cervantès nourri de lectureset de rêves chevaleresques, en a le ridicule et le burlesque ; Madame Bovary, pleine d'illusions romantiques dans leroman éponyme de Flaubert, rappelle aussi ce que peut avoir de tragique cette quête chimérique d'une vie. »

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