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MOLIÈRE ET LA COMÉDIE DE CARACTÈRE - MOLIÈRE ET LA COMÉDIE DE MOEURS

Publié le 26/06/2011

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Il est certain, quand on ne s'en tient pas à Boileau, La Bruyère, Fénelon et quelques autres, que la plupart des contemporains n'ont pas distingué deux Molières, l'un qui avait du génie et qui surpassait Plaute et Térence et l'autre qui avait galvaudé son génie dans les bas-fonds où croupissaient les farceurs : « Une cabane — dit de Visé pour justifier les « bagatelles « de Molière — bien touchée est quelquefois plus estimée de la main d'un habile homme qu'un palais de marbre de celle d'un ignorant «. Il n'en reste pas moins que, pour les contemporains comme pour nous, Molière est d'abord l'auteur de l'Ecole des femmes, de Tartuffe, du Misanthrope, des Femmes savantes et que son génie est d'avoir créé, au-dessus de la comédie d'intrigue romanesque, de la farce et de la fantaisie galante, la comédie de caractère, celle qui est conforme à la "nature" et à la "raison".

« qu'elle pût exister.

Particulièrement, Molière a quinze ans de plus que Racine et que Boileau.

Il est déjà célèbre alorsque Boileau, Racine et même La Fontaine ne sont que des débutants que l'on ignore en dehors de quelques salons etcabales.

Certes, La Fontaine, Boileau et sans doute Racine, avant leur brouille, l'admirent, mais comme un maître, etnon comme un allié dans une bataille pour la raison classique.Molière ne doit donc qu'à lui seul la découverte de son génie.

Et cette découverte est, dans son principe, à la foistoute simple et miraculeuse.

Toute simple parce qu'on se demande pour quelle raison la comédie n'avait pas suivi outenté de suivre les mêmes chemins que la tragédie et, dans une large mesure, le roman.

La tragédie, ou du moinsune bonne part des tragédies, s'efforce d'être une étude des caractères passionnés.

Sans doute, Dorante, dans laCritique de l'Ecole des femmes, se moque du peu de vérité des héros tragiques : a Je trouve qu'il est bien plus aiséde se guinder sur de grands sentiments, de braver en vers la fortune, accuser les destins et dire des injures auxdieux que d'entrer comme il faut dans le ridicule des hommes et de rendre agréablement sur le théâtre les défautsde tout le monde ».

Mais ces grands sentiments et ces bravades ne se trouvent que dans la tragédie héroïque, cellede Corneille et de ses émules ; la raillerie de Dorante ne peut pas toucher les tragédies de psychologie galante quiprétendent entrer comme il faut dans le coeur de l'homme et rendre pathétiquement sur le théâtre un amour quetout le monde peut éprouver.

On sait mieux qu'à travers le mensonge historique et les jeux d'esprit de la préciosité,les romans de Mile de Scudéry et de la Calprenède, après l'Astrée et quelques autres, fondent le romanpsychologique.

Au contraire, l'idée n'était venue à personne, vers 166o, que l'intérêt d'une comédie pouvait être denous montrer comment des événements divertissants peuvent mettre en lumière les ridicules et les vices deshommes.

Dans les comédies d'intrigue il s'agit seulement de savoir ce qui va arriver.

S'il y a des personnagessympathiques et d'autres antipathiques, c'est seulement parce que les uns sont en conflit avec les autres et pourque nous souhaitions le triomphe de ceux-là sur ceux-ci.

Si les personnages sont ambitieux, amoureux, braves oulâches, francs ou rusés, c'est seulement parce que l'auteur a besoin pour amener son dénouement d'une poursuiteambitieuse ou amoureuse, d'un acte de bravoure ou d'une lâcheté.

Dans la comédie-farce il ne s'agit que de rire.Molière a eu cette idée toute simple, ou plutôt qui nous paraît toute simple et qui était alors une étonnantedécouverte, de se dire et de nous dire « Vous allez voir, par ce que mes personnages vont dire et faire, ce quec'est que l'égoïsme stupide d'un barbon amoureux et maniaque, l'insolence élégante et cynique d'un grand seigneur,l'humeur d'un atrabilaire égaré dans le monde et dans l'amour d'une coquette, l'hypocrisie dévote, etc...

Vous vousintéresserez à ma pièce non pas pour savoir comment on peut se tirer de situations où personne sans doute ne s'estjamais trouvé mais parce que vous comprendrez que ce barbon, ce grand seigneur, cet atrabilaire, cet hypocritedoivent nécessairement agir de telle ou telle façon s'ils sont vraiment hypocrites, atrabilaires, etc...

Votresatisfaction ne sera plus de voir les amants réunis, le traître démasqué, mais d'avoir compris la logique naturelle etcommune des ridicules et des vices.

Dans cette logique vous retrouverez non pas des êtres de fiction, exceptionnelset que sans doute vous ne rencontrerez jamais, mais ceux que chacun peut côtoyer, à qui même chacun peut seheurter.

Vous vous direz non pas : « Comme il faudrait que cela soit s, mais « c'est bien cela ; c'est ainsi que sontles hommes.Boileau dira, dans sa Préface de 1701 : « Un bon mot n'est bon mot qu'en ce qu'il dit une chose que chacun pensaitet qu'il la dit d'une manière vive, fine et nouvelle s.

On en pourrait dire tout autant de la comédie imaginée parMolière.

Quand la pièce se termine la satisfaction du spectateur doit être de se dire : " C'est ainsi que va la vie,pour soi-même et pour ceux qui vous entourent, lorsqu'on est dominé par telle manie ou par telle passion ; c'estévident ; c'est nécessaire ; comment n'y avais-je pas songé ? " Le prix de l'oeuvre est non plus dans ce qu'elle a derare, dans ce qui nous met hors de l'ordre commun, mais, au contraire, dans ce qu'elle a d'ordinaire et, pour ainsidire, de banal.

Molière l'a dit très clairement dans la Critique de l'école des femmes: « Il faut peindre d'après nature ;on veut que ces portraits ressemblent et vous n'avez rien fait si vous n'y faites reconnaître les gens de votre siècle».

Molière est réellement le premier en France qui, d'une façon consciente et suivie, se soit donné pour but cetteressemblance.Parce qu'il était le premier sa tâche était plus ardue.

Mais par là même il évitait les écueils qui ont, sauf chezRacine, paralysé, vers le même temps, tout le théâtre tragique.

Un Quinault, un Thomas Corneille, un Gilbert, unabbé de Prades, un Pradon, puis un Longepierre, un Lagrange-Chancel savaient qu'une tragédie devait peindre lecoeur humain, nous faire entrer, non pas, comme le dit Molière de la comédie, a dans le ridicule des hommes » maisdans leurs violences exaspérées.

Même, lorsqu'ils machinaient des intrigues complexes et obscures ce n'était passeulement pour le plaisir de débrouiller l'imbroglio ; c'était plutôt pour donner aux passions l'occasion de se déployer,à l'auteur le mérite de montrer comment elles doivent se déployer.

Seulement tout le monde s'intéressait à cespassions d'ambition ou d'amour ; cent romans avaient essayé de nous en expliquer le mécanisme ; vingt oucinquante tragédies avaient imaginé toutes les situations, en avaient suivi tous les développements et donné toutesles solutions.

Dès lors quand on n'avait pas de génie, quand on était Quinault ou Thomas Corneille, à plus forteraison Boyer ou Pradon, il n'était pas nécessaire pour écrire une tragédie psychologique, qui s'imaginât êtrepsychologique, d'observer la vie, de la comprendre ; ni d'avoir cette imagination créatrice qui, avec les élémentsdispersés fournis par l'observation, ressuscite des êtres ayant de l'unité et de la vie.

Il suffisait d'avoir de la lectureet de la mémoire.

Il suffisait ou ils croyaient qu'il suffisait d'aller chercher, avec plus d'adresse qu'un autre, dans lerépertoire abondant des situations psychologiques et des a mouvements du coeur s ceux qui paraîtraient pluspathétiques et plus finement observés.

Au fond, ils refont tous la même tragédie, comme Gros-Guillaume, Turlupin etGaultier-Garguille refaisaient toujours, plus ou moins, la même parade.Molière, lui, n'était gêné par rien ; sa paresse n'était tentés par rien.

Sans doute il empruntait abondamment dessujets, des situations, des traits de caractère, des plaisanteries.

La mémoire, consciemment ou inconsciemment,venait à son aide sans qu'il eût le moindre scrupule à se servir d'elle.

Mais, des sujets, des situations, des détails, cen'était pas là ce qui lui importait.

Ce qu'il voulait c'était la ressemblance avec la vie.

Aucune ressemblance avec lavie et surtout aucun désir de ressembler à la vie ni dans la Belle Plaideuse, ni dans le Pédant joué, ni même dans lesVisionnaires ou les Académistes.

Il ne pouvait avoir d'autre maître que la vie.

Entre elle et lui ne pouvaient presquejamais s'interposer ces situations toutes faites et ces secrets des cœurs dix fois dévoilés dont sont faites, hormis. »

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