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Montaigne, Essais II, 18, «Du démentir», commentaire

Publié le 25/12/2019

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Et quand personne ne me lira, ai-je perdu mon temps de m'être entretenu tant d'heures oisives à pensementsx si utiles et agréables? Moulant sur moi cette figure, il m'a fallu si souvent dresser et composer pour m'extraire3, que le patron s'en est fermi4 et aucunement formé soi-même. Me peignant pour autrui, je me suis peint en moi de couleurs plus nettes que n'étaient les miennes premières. Je n'ai pas plus fait mon livre que mon livre m'a fait, livre consubstantiel à son auteur, d'une occupation propre, membre de ma vie; non d'une occupation et fin tierce et étrangère comme tous autres livres.

Ai-je perdu mon temps de m'ètre rendu compte de moi si continuellement, si curieusement? Car ceux qui se repassent1 par fantaisie seulement et par langue quelque heure, ne s'examinent pas siprime-ment, ni ne se pénètrent, comme celui qui en fait son étude, son ouvrage et son métier, qui s'engage à un registre de durée, de toute sa foi, de toute sa force.

Les plus délicieux plaisirs, si se digèrent-ils au dedans, fuient à laisser trace de soi, et fuient la vue non seulement du peuple, mais d'un autre.

Combien de fois m'a cette besogne diverti de cogitations ennuyeuses! et doivent être comptées pour ennuyeuses toutes les frivoles. Nature nous a étrennés d'une large faculté à nous entretenir à part, et nous y appelle souvent pour nous apprendre que nous nous devons en partie à la société, mais en  la meilleure partie à nous. Aux fins de ranger ma fantaisie à rêver même par quelque ordre et projet, et la garder de se perdre et extravaguer au vent, il n'est que de donner corps et mettre en registre tant de menues pensées qui se présentent à elle. J'écoute à mes rêveries parce que j'ai à les enrôler. Quant de fois, étant marri de quelque action que la civilité et la raison me prohibaient de reprendre à découvert, m'en suis-je ici dégorgé, non sans dessein de publique instruction.

(Montaigne, Essais, II, 18, «Du démentir», 1588.)

Montaigne ajouta ce développement à la dernière édition de son œuvre (1588). Il est particulièrement éclairant que cette réflexion sur l’écriture intime complète le chapitre «Du démentir», consacré au rapport de la vérité et du mensonge et à la valeur des mots.

Idée directrice

Montaigne répond, par avance, aux objections des lecteurs et analyse le profit qu’il a tiré (et que l’on peut tirer) de la peinture du moi.

Structuré du texte

Le texte développe trois variations sur le même thème : de l’utilité de se peindre.

- La peinture du moi permet à son auteur dè mieux forger sa personnalité (1. 1 à 12).

- Elle aide à approfondir la connaissance de soi (1. 15 à 22).

- Elle permet enfin d’exprimer les «rêveries» et les pensées les plus intimes (1. 23 à 38).

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