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Objet d’étude : L’autobiographie.

Publié le 18/01/2020

Extrait du document

CORPUS

TEXTE A. Charles Baudelaire, « La servante au grand cœur dont vous étiez jalouse », Les Fleurs du mal, Spleen et Idéal, LXIX, 1857.

TEXTE B. Charles Baudelaire, « Je n’ai pas oublié, voisine de la ville », Les Fleurs du mal, Spleen et Idéal, LXX, 1857.

TEXTE C. Colette, Sido, 1930.

TEXTE D. Albert Cohen, Le Livre de ma mère, 1954.

ANNEXE. Clément Borgal, Baudelaire, 1961.

ÉCRITURE

I. Après avoir lu les textes du corpus, vous répondrez à la question suivante. Question (4 points)

Quelle figure de la mère se dégage des quatre textes ?

II. Vous traiterez ensuite, au choix, l’un des sujets suivants.

1. Commentaire (16 points)

Vous ferez le commentaire du poème de Baudelaire (texte A) : «La servante au grand cœur dont vous étiez jalouse... »

2. Dissertation (16 points)

L’autobiographie a-t-elle pour fonction de régler des comptes avec son passé ? Vous apporterez une réponse construite et argumentée en vous appuyant sur les textes du corpus et sur des exemples précis tirés de vos lectures.

3. Invention (16 points)

En utilisant les poèmes de Baudelaire et le document en annexe, vous rédigerez un fragment de l’autobiographie envisagée par Baudelaire sous le titre Mon cœur mis à nu.

regard intraitable de Générale. Cela va. Cela ne va pas. Cela se fait. Cela ne se fait pas. Cela coûte. Et Charles qui me donne tant de soucis ! Charles qui vit la nuit ! Charles qui jette l’argent par la fenêtre ! Charles que nous devrons mettre sous tutelle ! [Connaissances biographiques extérieures au corpus.]

Mais dans la petite maison blanche et douce, on ne disait rien. Le soleil pressait sa « gerbe » couchante en vain ; son « grand œil ouvert » ne voyait rien. Il n’y avait rien à voir. Rien à entendre. [La vie de Baudelaire est «prosaïque, voire banale ».] La petite maison est aussi blanche qu’un tombeau. Les fourchettes cliquettent comme autant d’ossements. Et les regards sont vides, « paupière creuse » « Vieux squelettes rongés travaillés par le ver. » Voilà ce que nous sommes tous, assis autour de la table « frugale » et silencieuse, figés dans notre infini repas. [Allusions aux textes A et B J

Si le soleil n’a rien vu que de très tranquille, j’arracherai les oripeaux des chairs hypocrites. Je mettrai mon cœur à nu. Je mettrai vos cœurs à nu. [Allusion au projet de Baudelaire présenté dans le document annexe.] Et nous danserons la terrible sarabande macabre des gens qui se haïssent. Mon autobiographie est un rideau qui se déchire. La petite maison tranquille [vie prosaïque et frugale] n’est que le décor d’un horrible spectacle [« autobiographie pétard »]. Toujours le même. Je me souviens particulièrement d’un dîner, peut-être plus long et plus silencieux que les autres. Je nous vois tous les trois, le Général, la Générale et moi, autour de la table, muets, les yeux baissés sur un potage clair. J’entends le tintement des cuillères dans les assiettes. J’entends le bruit que fait Aupick en avalant. Juste avant, il creuse horriblement ses joues et l’enfant que je suis déteste cela. Je demande de l’eau. « On ne boit pas avant la soupe. Cela abîme l’émail des dents. » Merci ma mère. Merci. Merci d’avoir protégé l’émail de mes dents. Je souris comme un enfant riche. Mais j’ai encore soif aujourd’hui. Je baisse les yeux et je fixe mon assiette. Les petits yeux dorés du bouillon miroitent sous les bougies. Je ne vois plus qu’eux. Étoffe moirée des pays lointains entrevus lors de mes lectures. Je m’efforce de ne pas entendre le bruit des cuillères. Je suis ailleurs. Loin. Très loin. « Mange ta soupe, Charles, s’il te plaît. » Je serre les poings, les dents. Je ferme les yeux. « Mange ta soupe. » Et je dis : « Je n’aime pas l’eau de vaisselle. » Je me lève et je m’en vais sous les regards indifférents de l’armée entière des Généraux. « Charles n’est pas facile », avance raisonnablement le maître des lieux. Je baisse la tête pour ne pas croiser le regard triste de Mariette. [Nom véritable de la servante.] 

Le corpus présenté, s’il frappe d’abord par l’association de poèmes en vers et de récits en prose, relève bien complètement de l’écriture autobiographique. Dans les deux poèmes des Fleurs du mal, Baudelaire évoque discrètement les années d’enfance et de jeunesse passées avec sa mère, ainsi que le personnage attachant de « la servante au grand cœur » et le décor familial. Colette dans Sido nous présente sa mère, Sidonie, provinciale fière de l’être et aimant malgré tout Paris. Quant à l’ouvrage d’Albert Cohen, son seul titre nous annonce qu’il sera entièrement consacré à la mère de l’auteur ; l’extrait du Livre de ma mère présent ici raconte les promenades dominicales du narrateur enfant avec sa mère, à Marseille. Ces extraits d’autobiographies dépeignent tous, avec plus ou moins de précision, une figure maternelle et en même temps font voir les sentiments des auteurs pour leur mère et les relations qu’ils entretiennent avec elles. On étudiera donc d’abord quelle sorte de femme sont ces trois mères, puis on s’intéressera aux liens étroits et complexes qui les unissent à leur fils ou à leur fille.

Les deux poèmes de Baudelaire ne recèlent que des allusions à sa mère. Le texte A met en avant la servante aimante, désormais disparue, puis à partir du vers 4 s’intéresse à tous les morts, « les pauvres morts », avant de revenir à la servante dans la seconde strophe. Une mère en demi-teinte donc, comme dans le second poème qui esquisse surtout une atmosphère familiale. Pourtant Baudelaire parle à sa mère, très clairement dans le premier vers du poème A: « La servante au grand cœur dont vous étiez jalouse », et l’adjectif possessif « nos » dans le second poème inclut le poète et sa famille. Nous disposons de peu d’informations sur cette mère et restons sur le terrain de l’hypothèse. Le vers déjà cité indique une rivalité entre la mère et la servante. Baudelaire enfant marque sûrement une préférence pour la servante, faisant partie de la famille, peut-être plus affectueuse avec lui, plus attentive. Madame Baudelaire s’aperçoit de la tendresse mutuelle entre l’enfant et la domestique et en éprouve de la jalousie. Peut-être était-elle une mère distante, froide avec ses enfants, ou incapable d’exprimer librement ses sentiments. Que penser aussi de « nos dîners longs et silencieux » du second poème ? Ils confortent l’hypothèse d’une femme froide et austère, parlant peu à son fils. Quelle différence avec les deux autres mères, de Colette et d’Albert Cohen !

La mère de Colette apparaît d’emblée comme une femme de caractère, au franc-parler, ne manquant pas non plus d’esprit. Provinciale, fière de sa ville natale et de sa maison, elle ne se laisse pas impressionner par sa fille devenue parisienne depuis son mariage. La fierté des Parisiens l’amuse, elle la raille dans le premier paragraphe et se moque aussi gentiment de sa fille : « te voilà comme un pou sur ses pieds de derrière parce que tu as épousé un Parisien ». Malicieuse, pleine d’esprit, elle sait trouver la comparaison comique, ou esquisser, dans la réplique suivante, une caricature de la caissière parisienne, « ce modèle de femme-tronc ». Mais cette femme, qui ne s’en laisse pas compter, s’enorgueillit d’une ascendance ancienne en province - en Bourgogne -, manifeste une curiosité insatiable pour tout ce qui se passe dans la capitale, ne cesse de s’informer sur la vie culturelle et la mode.

La mère d’Albert Cohen reste une étrangère intimidée, presque apeurée par ce qui l’entoure. Elle a aussi le souci de la parure et des convenances, est soucieuse de donner belle apparence, mais aussi de faire honneur à son petit garçon. Son amour maternel éclate dans tout l’épisode de la promenade dominicale, dans le soin apporté à habiller son fils « en petit prince », dans la joie de préparer des mets pour le déjeuner en bord de mer.

« L'autobiographie CORPUS ET SUJETS 15 TEXTE A Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, Spleen et Idéal, LXIX, 1857.

[Les textes A et B sont deux poèmes qui se suivent dans Les Fleurs du mal; Baudelaire s'adresse à sa mère.] La servante au grand cœur dont vous étiez jalouse Et qui dort son sommeil sous une humble pelouse, Nous devrions pourtant lui porter quelques fleurs.

Les morts, les pauvres morts, ont de grandes douleurs, s Et quand Octobre souffle, émondeur des vieux arbres, Son vent mélancolique à l'entour de leurs marbres, Certes, ils doivent trouver les vivants bien ingrats, De dormir, comme ils font, chaudement dans leurs draps, Tandis que, dévorés de noires songeries, 10 Sans compagnon de lit, sans bonnes causeries, Vieux squelettes rongés travaillés par le ver, Ils sentent s'égoutter les neiges de l'hiver Et le siècle couler, sans qu'amis ni famille Remplacent les lambeaux qui pendent à leur grille.

1s Lorsque la bûche siffle et chante, si le soir, Calme, dans le fauteuil je la voyais s'asseoir, Si, par une nuit bleue et froide de décembre, Je la trouvais tapie en un coin de ma chambre, Grave, et venant du fond de son lit éternel 20 Couver l'enfant grandi de son œil maternel, Que pourrais-je répondre à cette âme pieuse, Voyant tomber des pleurs de sa paupière creuse ? 335. »

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