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Odette de Crécy - M. Proust, Un Amour de Swann

Publié le 29/03/2011

Extrait du document

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(Odette de Crécy, une « demi-mondaine «, cherche à conquérir Swann, grand amateur d'art et homme du monde. Attiré par Odette, Swann cependant ne parvient pas à l'aimer tout à fait — elle ne correspond pas à son type féminin. Mais, en rendant visite à Odette, Swann est soudain frappé par la ressemblance de la jeune femme avec un tableau du peintre florentin Botticelli.)    Il n'estima plus le visage d'Odette selon la plus ou moins bonne qualité de ses joues et d'après la douceur purement carnée qu'il supposait devoir leur trouver en les touchant avec ses lèvres si jamais il osait l'embrasser, mais comme un écheveau de lignes subtiles et belles que ses regards dévidèrent, poursuivant la courbe de leur enroulement, rejoignant la cadence de la nuque à l'effusion des cheveux et à la flexion des paupières, comme en un portrait d'elle en lequel son type devenait intelligible et clair.    Il la regardait ; un fragment de la fresque apparaissait dans son visage et dans son corps, que dès lors il chercha toujours à y retrouver, soit qu'il fût auprès d'Odette, soit qu'il pensât seulement à elle; et, bien qu'il ne tînt sans doute au chef-d'œuvre florentin que parce qu'il le retrouvait en elle, pourtant cette ressemblance lui conférait à elle aussi une beauté, la rendait plus précieuse. Swann se reprocha d'avoir méconnu le prix d'un être qui eût paru adorable au grand Sandro, et il se félicita que le plaisir qu'il avait à voir Odette trouvât une justification dans sa propre culture esthétique. Il se dit qu'en associant la pensée d'Odette à ses rêves de bonheur, il ne s'était pas résigné à un pis-aller aussi imparfait qu'il l'avait cru jusqu'ici, puisqu'elle contentait en lui ses goûts d'art les plus raffinés. Il oubliait qu'Odette n'était pas plus pour cela une femme selon son désir, puisque précisément son désir avait toujours été orienté dans un sens opposé à ses goûts esthétiques. Le mot « d'œuvre florentine « rendit un grand service à Swann. Il lui permit, comme un titre, de faire pénétrer l'image d'Odette dans un monde de rêves où elle n'avait pas eu accès jusqu'ici et où elle s'imprégna de noblesse. Et tandis que la vue purement charnelle qu'il avait eue de cette femme, en renouvelant perpétuellement ses doutes sur la qualité de son visage, de son corps, de toute sa beauté, affaiblissait son amour, ces doutes furent détruits, cet amour assuré quand il eut à la place pour base les données d'une esthétique certaine ; sans compter que le baiser et la possession qui semblaient naturels et médiocres s'ils lui étaient accordés par une chair abîmée, venant couronner l'adoration d'une pièce de musée, lui parurent devoir être surnaturels et délicieux.      M. Proust, Un Amour de Swann

   A l'occasion de cet extrait d'Un Amour de Swann je donne, pour aider les élèves à constituer le commentaire à partir d'une explication précise du texte, l'armature du travail préparatoire.   

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« lors il chercha toujours à y retrouver ».

Jamais Swann ne verra d'Odette que ce qui la rapproche du chef-d'œuvreflorentin. « Sans doute » : qui dit ou qui pense « sans doute »? A première lecture, et pour une lecture « psychologique »,c'est « l'auteur ».

Le texte rend impossible la décision.

Tout au plus peut-on y lire le refus de trancher, le rejet descatégories « claires » du romancier qui sait tout. « Cette ressemblance la rendait plus précieuse » : le travail de la métaphore (Odette comparée à la Zéphora, puisdevenue la Zéphora) a permis de comprendre la vérité d'Odette.

Cette vérité, pour Swann, c'était d'être autrechose que ce qu'elle avait l'air d'être (une femme maladive, une cocotte, etc.), d'être un Botticelli.

La métaphore apermis à Swann de « digérer » Odette. « Swann se reprocha [...] adorable au grand Sandro » : à la confusion des univers (celui de l'art et celui de l'amourqui l'a déjà conduit à aimer Odette parce qu'elle ressemblait à un Botticelli), Swann en ajoute une autre : il vachercher des justifications extérieures à son amour en confondant Botticelli le peintre et Sandro l'homme.

Il tombedans l'erreur qui consiste à croire identiques le moi de l'artiste et son moi social, et en vient à justifier son amour parune raison « vulgaire » : elle aurait plu à un homme de génie, donc j'ai raison de l'aimer! Mais on peut lire aussi :Botticelli aurait aimé la peindre et donc j'ai raison de la trouver belle.

Si l'on ajoute que, selon une tradition connue,le modèle du peintre est souvent sa maîtresse (la Fornarina pour Raphaël), on voit comment l'admiration esthétiqueramène au désir érotique. « Swann se reprocha.

Il se félicita que [...] une justification.

Il se dit [...] qu'il ne s'était pas résigné à un pis-aller...» : le texte est construit comme un raisonnement, et même, de plus en plus nettement (voir par exemple la symétriedes propositions), se présente comme une transaction.

Le va-et-vient des arguments, l'abondance des causales etdes consécutives, élabore un nouveau type de justification, logique et réaliste. « Pis-aller aussi imparfait...

Odette, « pis-aller » (!), l'est de deux manières : — bien qu'elle ne corresponde pas à son type, Swann « essaie » de l'aimer; — bien qu'elle ne soit pas de son monde (et notamment qu'elle manque de culture), il essaie de l'aimer. Digérer Odette n'était donc pas seulement indispensable pour l'amour de Swann.

C'était indispensable à ce qu'onpourrait appeler « le standing » de Swann.

L'art a été appelé à la rescousse de l'amour; le voici maintenant utilisépour sauver le snobisme et la mondanité.

Dans l'opération tout a été détourné : l'art, la mondanité, l'amour, qui n'y arien gagné (« puisque précisément son désir avait toujours été orienté dans un sens opposé à ses goûts esthétiques»). La preuve de la réalité de ce problème « social » : a le mot d' « œuvre florentine » [...] lui permit, comme un titre[...].

de faire pénétrer l'image d'Odette dans un monde où elle s'imprégna de noblesse ».

Le détournement de lafonction artistique est évident puisque l'art ne sert plus qu'à faire reconnaître « une parvenue ». Et tandis que...

: vue charnelle, qualité du visage, du corps, de la beauté entrent en opposition avec : « lesdonnées d'une esthétique certaine ».

Le passage accompli par Swann est celui de la nature (purement charnelle =exclusivement charnelle) à la culture.

La nature est perpétuellement soumise au changement (les doutes deSwann); l'œuvre d'art au contraire a ses lois, elle assure et rassure. « Baiser et possession ...

naturels et médiocres ...

surnaturels et délicieux » : c'est la même opposition, avec uneprécision toutefois.

La nature telle quelle est insupportable; pour la regarder, il faut la transformer.

C'est, on l'a dit,le rôle de la métaphore.

Mais ici le désir de Swann pour Odette qui est le désir d'autre chose qu'Odette (une piècede musée) est un désir pervers et maniaque (sans jugement de valeur), puisque Swann désire coucher avec untableau. Organiser le commentaire De l'explication se dégagent des constantes : — le raisonnement justificateur de Swann, et la quête incessante des « bonnes » raisons qu'il a, lui, homme dumonde, d'aimer Odette, femme relativement vulgaire et même prostituée; — la confusion permanente des domaines : amour/art; amour/mondanité; art/mondanité; réalité/constructionimaginaire; — le rôle de la métaphore et la disparition d'Odette en tant que femme réelle ; — « l'éternité », l'éternisation, d'Odette. Du texte on peut donc tirer une certaine image de l'amour et la dégradation de cette image, qui entraîne avec elletoute une autre série de dégradations : ce sont « les péchés de Swann ».

On aurait donc deux « parties » :. »

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