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Philippe Audoin écrit dans son ouvrage sur Breton (1970) : «Breton assignait au surréalisme l'objectif - suspect aux politiques comme aux philosophes - de contribuer à la formation d'un nouveau mythe. Il ne s'agissait certes pas d'agencer de toutes pièces et d'imposer un tel mythe (pareille ambition supposerait un contresens complet quant au mode d'élaboration des mythes, autant prétendre préfabriquer un rêve...) mais d'appeler sans relâche l'attention sur certains thèmes de revendicat

Publié le 04/07/2011

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breton

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« véritable action, de lui faire manquer son destin.2 La réinterprétation des mythes anciens.

Assez paradoxalement pour un ennemi de la culture traditionnelle ethumaniste, Breton reprend et réinterprète un certain nombre de mythes anciens, fort précis comme par exemple :• le mythe de Samson et Dalila : traditionnellement ce mythe exprime la trahison féminine.

Breton en fait un mythede la séduction (cf.

l'intérêt qu'il attache aux yeux de Dalila, Les Vases communicants, p.

91) dans la perspectivenon plus de la mutilation et du regret, mais de l'espoir et de l'enrichissement, bref de la rencontre ;• le mythe de Diomède : en montrant dans l'Iliade Aphrodite blessée par Diomède, Homère voulait sans doutesuggérer que les dieux étaient soumis à la passion comme les hommes, victimes comme eux de la grande Fatalité.

Enreprenant ce mythe {L'Amour fou, p.

143), Breton veut signifier que l'amour doit être atteint «dans sa chair», quelui, qui se situait hors du temps, doit rencontrer le Temps, sous la forme de la Discorde ;• le mythe de Mélusine : durant le cours de la vie c'est le mythe de la femme qui cache un secret, celui de samétamorphose périodique en serpent.

Breton le réemploie dans Arcane 17, non plus pour condamner la femme, maispour lui assigner un rôle - celui d'intercesseur - en montrant son caractère double, tourné à la fois vers la nature etvers l'esprit ;• le mythe de la quête : Breton reprend le grand mythe de la quête, une quête qui ne vise pas à modifier le passé(Perceval recherche un secret perdu, veut réparer son erreur de n'avoir pas posé la question qui aurait guéri le Roipécheur et libéré son pays), mais à rejoindre un avenir imprévu et imprévisible : c'est ainsi qu'il erre indéfinimentdans les rues de Paris à la quête de la rencontre fondamentale ;• le mythe de la Belle au bois dormant : Breton le retourne complètement : alors que, dans le conte de Perrault, lePrince charmant éveille au fond des bois une vierge endormie, c'est d'une Femme nue dont la rencontre est espéréedans un bois que Breton attend son propre éveil au mystère (Nadja, p.

44).3 Le légendaire dans l'actuel.

Non content de modifier le sens et la valeur des mythes reçus, Breton n'hésite pas àfaire jouer la pensée mythique dans l'univers contemporain : tout devient légende sous sa plume.• Le mythe dans les lieux : Breton a le sentiment que certains lieux sont des lieux de métamorphoses : Paris, commele pic du Teide à Ténériffe, «bouche du ciel en même temps que des enfers», espèce de Sinaï où il va chercher, aumilieu des nuages, les tables de la loi de l'amour, tandis qu'en bas la vallée de la Orotava joue le rôle d'un Eden oud'une terre promise (L'Amour fou, chapitre V).• Le mythe et les êtres : l'apparition en certains lieux de certains êtres fait de ceux-ci les véritables esprits de ceslieux : leur surgissement a quelque chose d'absolu qui ne s'explique ni logiquement ni psychologiquement, maismythiquement (ces êtres sont du reste aussi bien des animaux que des personnes, mais ces animaux prennent toutde suite une allure d'êtres de légende : le Bélier de Nadja, le Dauphin de Breton, le grillon des égouts dans L'Amourfou, p.

93).

Tout devient légendaire pour Breton parce que tout lui paraît passage du passé à l'avenir.

Tout, parlantle langage de notre désir, donne l'impression d'être en mouvement. II Le mythe insaisissable Cependant une pensée aussi mythique a-t-elle été vraiment capable de produire un grand mythe ? Il semble queBreton se soit heurté, dans la recherche d'un mythe, à plusieurs difficultés liées tant à sa méthode qu'à sestendances profondes.1 Le mythe du Couple.

Certes il domine presque toutes les œuvres de Breton et c'est bien un mythe, car il estincarné et n'a pas de valeur psychologique (Breton ne fait pas le roman du couple), mais une valeur exemplaire : ilest au centre des choses, au-dessus du monde (tout couple pour Breton aime avec et pour toute l'humanité).

Lesliens de ce couple apparaissent comme des liens essentiellement créateurs, des liens de fécondité (femme-source,femme-nature, femme-mère, mère des enfants et mère aussi de la poésie).

Au sommet du Teide, Breton entre avecJacqueline «à flanc d'abîme», dans «le château étoilé» : il aura à y lutter contre le Temps, la Mort et la Querelle.2 L'extension abusive.

Mais il est très difficile de savoir où commencent et où s'arrêtent les mythes chez notrepoète, car il y a, à côté du mythe fondamental, trop de mythes secondaires : avec le mythe du Couple on retrouvecelui du château, mais aussi celui de la petite Aube, fille de Breton et de Jacqueline, mythe des commencementsabsolus.

Le mythe s'étend trop loin, perd son unité nécessaire (y a-t-il vraiment un mythe sans personnage uniqueet central ?), et l'on aboutit à une mosaïque de thèmes personnels (les objets évocateurs sont-ils vraiment desmythes ? La Tour Saint-Jacques, dans la «nuit du Tournesol», n'est-elle pas plutôt une obsession propre à Bretonqu'un mythe ?).3 La désincarnation progressive.

Cependant il y a plus grave, car, au fur et à mesure que dans l'œuvre de Breton lesmythes paraissent envahissants, plus ils ont tendance à être désincarnés.

De Nadja à l'Élisa d'Arcane 17, le visagede la femme s'estompe.

Nadja était peut-être trop concrète pour arriver au mythe, mais Jacqueline Lamba et Élisa,trop lointaines, presque invisibles, le dépassent sans doute.4 La tendance à l'universel.

Breton, même s'il les a rénovés, témoigne de la défiance à l'égard des mythes anciens,mais quel mythe moderne a-t-il établi ? Beaucoup moins qu'Apollinaire : la locomotive bloquée dans la forêt vierge(L'Amour fou, p.

13) n'est guère qu'une allégorie ou un objet évoca- teur ; son couple dans une sorte d'Édenremonte à la Genèse ! Au fond, Breton, qui est malgré les apparences un grand classique, ne semble pas avoir réussià placer au cœur de son œuvre autre chose qu'un homme éternel.

Mais si l'homme est la source des mythes, il n'estpas en lui-même un mythe. III Des mythes ouverts : la trilogie surréaliste. »

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