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Pierrot - VERLAINE, Jadis et Naguère

Publié le 28/02/2011

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Ce n'est plus le rêveur lunaire du vieil air Qui riait aux aïeux dans les dessus de porte ; Sa gaîté, comme sa chandelle, hélas ! est morte, Et son spectre aujourd'hui nous hante, mince et clair. Voici que parmi l'effroi d'un long éclair Sa pâle blouse a l'air, au vent froid qui l'emporte, D'un linceul, et sa bouche est béante, de sorte Qu'il semble hurler sous les morsures du ver. Avec le bruit d'un vol d'oiseaux de nuit qui passe, Ses manches blanches font vaguement par l'espace Des signes fous auxquels personne ne répond. Ses yeux sont deux grands trous où rampe du phosphore Et la farine rend plus effroyable encore Sa face exsangue au nez pointu de moribond.

VERLAINE, Jadis et Naguère, 1885.

Vous proposerez de ce texte un commentaire composé. Vous pourriez, par exemple, étudier par quels procédés l'auteur rend sensible sa propre angoisse, à travers la représentation d'un personnage traditionnel. Mais ces indications ne sont pas contraignantes, et vous avez toute latitude pour organiser votre exercice à votre gré. Vous vous abstiendrez seulement de présenter un commentaire linéaire ou séparant artificiellement le fond de la forme.

Paul Verlaine (1844-1896), fils d'officier, enfant tardif d'un vieux ménage. Enfance très choyée. Gâtée par sa mère et sa cousine Elisa, de huit ans son aînée. Il en tombe éperdument amoureux à 19 ans. Mais la jeune femme, mariée et mère de famille repousse ses avances affectueusement mais fermement. Il a 23 ans quand elle meurt et il en est accablé. Il sombre dans sa ire crise d'alcoolisme alors. Cependant après des études moyennes il s'était adonné à la critique littéraire et la poésie. Poèmes saturniens à 22 ans ; Fêtes galantes à 25 ans. Fiançailles et mariage avec La Bonne Chanson, recueil dédié à sa jeune femme, Mathilde. Mais après une période de vie sobre et régulière et la naissance d'un fils, rencontre avec Rimbaud, liaison avec lui, départ du foyer conjugal, divorce ; dispute violente à Bruxelles et coup de revolver contre Rimbaud. Emprisonnement à Mons (Belgique) pour 2 ans. Après Romances sans paroles, c'est le retour, en prison, à la foi de l'enfance. Puis Sagesse, publié après la sortie de prison et une tentative de vie régulière (professeur en Angleterre, puis dans les Ardennes, enfin expérience agricole terminée en faillite). Lié paternellement avec un jeune homme, Lucien Létinois, Verlaine est désespéré à la mort de ce dernier et tombe dans l'ivrognerie complète, la pédérastie, les bagarres, la misère ; presque la mendicité, à la mort de sa mère qui ne l'avait pas abandonné malgré ses brutalités. Jadis et Naguère paraît en 1884 ou 1885 (date discutée), il a 40 ans. Fin de vie soutenue par ses amis poètes et des tournées de conférences. On reconnaît sa remarquable valeur poétique et il est sacré « Prince des poètes «, à la place de Leconte de Lisle décédé, ceci 3 ans avant sa mort à 52 ans.

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« encore une caractéristique de l'habit que ces manches d'une largeur démesurée avec lesquelles le mime soutient desgestes chimériques, manches qui s'agitent comme des voiles ou des ailes.

Verlaine reprend cette comparaisonattendue dans une image auditive :« Avec le bruit d'un vol d'oiseaux...

»Surtout, ce qui est le plus frappant chez Pierrot c'est son masque blanc.

Il est comme enfariné et là encore Verlainesacrifie à la tradition en parlant de « la farine » qui « rend...

sa face exsangue ».

Bref l'ensemble du personnage estsous la marque du blanc, ce qui fait ressortir « sa bouche », chez le mime fortement rouge,» ses yeux » soulignésde fard noir et qui ressemblent alors à « deux grands trous» au milieu de la figure trop blanchie.De plus la représentation sentimentale du Pierrot, toujours sous le signe de la lune et rattaché à l'idée de nuit (sablancheur provoque contraste, de ce fait) est celle d'un « rêveur ».

Peut-être parce qu'il joue traditionnellement desrôles d'amoureux, et bien souvent d'amoureux transi, romanesquement livré donc aux élans d'un rêve compensatoireet adressant à la lune les sérénades que sa belle refuse.

Pierrot est dans l'imagerie populaire un « naïf » qui n'a pasles pieds sur terre ; la « lune » l'a marqué de son halo chimérique.

Quand Prévert et Camé ont voulu l'évoquer dansle film Les Enfants du Paradis (1942), ils l'ont fait évoluer en mouvements ailés, désincarnés, mimant ballades à lalune et naïvement amoureux d'une statue hautaine.C'est bien le Pierrot évoqué par Verlaine, certes, mais le poète le représente nié.

Le premier vers le préciseimmédiatement : « ce n'est plus...

».

L'aspect somme toute débonnaire du mime-pantin va rapidement se gommer,et bien que conservant ses attributs typiques, son masque blanc de théâtre ne sera même plus illusion ; sous lui,puis le remplaçant franchement, ce sera le masque blanc de la mort. *** Ainsi l'image traditionnelle n'est rappelée que pour mieux montrer qu'elle « n'est plus ».

L'allusion du deuxième vers :« Qui riait aux aïeux dans les dessus de porte »,du fait de l'enjambement qui prolonge la phrase sur les deux premiers vers (enjambement : voir Vocabulairetechnique) est elle aussi frappée de suppression, « n'est plus ».

Quant à ce Pierrot « dans les dessus de portes », ilfait penser à un passage de Une saison en enfer de Rimbaud (1873) où le jeune poète qui bouleversa tant — en bienet en mal — la vie de Verlaine, avoue « J'aimais les peintures idiotes, dessus de porte, décors, toiles desaltimbanques, enseignes, enluminures populaires...

» ; tous les éléments s'y trouvent : « peinture » ou « enluminure» ou « enseigne » « populaires » ce qui explique « dessus de porte » : le Pierrot y est peint et nos ancêtres — nos «aïeux » — regardent ce saltimbanque dont le rire est figé sur la toile pour leur être adressé continuellement.Pierrot est-il un réel mime ? Est-il la peinture d'un « dessus de porte » ? L'un et l'autre peut-être ; mais déjà sonidentité se trouble : il n'est plus que fantomatique, un « spectre », car sa silhouette est « mince » comme celle desfantômes et la couleur blanche de son costume est aussi celle du « linceul » que revêtent, dit-on, les « spectres ».La notion de suppression de tout ce qui se rattachait au bon vieux « rêveur lunaire » est soutenue par un travailmétrique où les coupes mettent en valeur la mort de ce qui était agréable.

En particulier – 3 – – 5 – – 2 – – 2 –« Sa gaîté, I comme sa chandelle, I hélas ! II est morte, /» Le premier élément du vers, jusqu'à chandelle, se rythme sur un octosyllabe scandé 3-5, donc sur une cadenceimpaire ; puis effet de tristesse et de chute avec le deuxième élément de l'alexandrin 2-2, l'interjection « hélas ! »soulignée par l'exclamation, coupe forte et le terme essentiel « est morte » rejeté à la fin, après attente de laconstatation.

Même rythme impair avec la suite de la phrase : – 9 – – 3 –« Et son spectre aujourd'hui nous hante, / mince et clair.

» Les deux adjectifs, monosyllabiques en leur prononciation métrique, rejaillissent d'autant mieux que le bref élémentfinal de trois pieds est précisément rejeté en fin de vers.

L'atmosphère devient fantastique, ce sont des visions quise dessinent à travers la « mince et clair[e] » silhouette, et le verbe « hanter » s'explique.

Tout suit alors, tout sedésagrège sur un fond de nuit d'« effroi » le « long éclair » est sans doute la silhouette blanche devenant impréciseet se mouvant « au vent froid qui l'emporte », mais l'ambiguïté est suffisante pour évoquer une nuit diabolique.

LePierrot devient un revenant, un mort spectral avec « linceul », « bouche béante » de cadavre, « morsures du ver »« yeux » qui « sont deux grands trous », « face exsangue », tous les attributs — traditionnels eux aussi — desmorts-fantômes.

L'atmosphère fantastique, également avec ses attributs caractéristiques, acquiert cependant unequalité réelle de terreur ; ce n'est pas un jeu de conte, car la transformation, sous nos yeux, du pantin en tête demort, véritable épouvantail macabre qui fait « des signes fous », « vaguement par l'espace » est le symbole d'uneterreur vraie.

Ce n'est pas un réalisme de pacotille, mais peur véritable devant cette « bouche » qui « semble hurlersous les morsures du ver ».

C'est l'image de l'angoisse de Verlaine, de son mal de vivre.

La différence n'est plusétablie entre le symbole et ce qu'il représente.

La bouche « hurle » d'autant plus qu'elle est muette et ce cri qu'onvoit — « il semble », « béante » — sans l'entendre, n'est-ce pas la douleur du poète, tandis que le « ver » est leremords rongeur ? Les « signes fous », ce sont les demandes désespérées d'aide contre lui-même, signes « auxquelspersonne ne répond ».

Un sentiment de solitude, d'abandon, entoure le pauvre pantin, comme « le pauvre Lélian »ainsi que Verlaine se nommait lui-même.

L'atmosphère fantastique croît, avec ses apanages obligatoires : frôlement,bêtes-porte-malheur (hiboux sans doute) : « Avec le bruit d'un vol d'oiseaux de nuit qui passe ».

Les sonorités sont. »

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