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Polyeucte (Racine) - Scène II - Acte II

Publié le 16/02/2011

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racine

Pauline.  Oui, je l'aime, seigneur, et n'en fais point d'excuse ;  Que tout autre que moi vous flatte et vous abuse,  Pauline a l'âme noble, et parle à coeur ouvert :  Le bruit de votre mort n'est point ce qui vous perd.  Si le ciel en mon choix eût mis mon hyménée,  À vos seules vertus je me serais donnée,  Et toute la rigueur de votre premier sort  Contre votre mérite eût fait un vain effort.  Je découvrais en vous d'assez illustres marques  Pour vous préférer même aux plus heureux monarques ;  Mais puisque mon devoir m'imposait d'autres lois,  De quelque amant pour moi que mon père eût fait choix,  Quand à ce grand pouvoir que la valeur vous donne  Vous auriez ajouté l'éclat d'une couronne,  Quand je vous aurais vu, quand je l'aurais haï,  J'en aurais soupiré, mais j'aurais obéi,  Et sur mes passions ma raison souveraine  Eût blâmé mes soupirs et dissipé ma haine.  Sévère.  Que vous êtes heureuse, et qu'un peu de soupirs  Fait un aisé remède à tous vos déplaisirs !  Ainsi de vos désirs toujours reine absolue,  Les plus grands changements vous trouvent résolue ;  De la plus forte ardeur vous portez vos esprits  Jusqu'à l'indifférence et peut-être au mépris ;  Et votre fermeté fait succéder sans peine  La faveur au dédain, et l'amour à la haine.  Qu'un peu de votre humeur ou de votre vertu  Soulagerait les maux de ce coeur abattu !  Un soupir, une larme à regret épandue  M'aurait déjà guéri de vous avoir perdue ;  Ma raison pourrait tout sur l'amour affaibli,  Et de l'indifférence irait jusqu'à l'oubli ;  Et mon feu désormais se réglant sur le vôtre,  Je me tiendrais heureux entre les bras d'une autre.  Ô trop aimable objet, qui m'avez trop charmé,  Est-ce là comme on aime, et m'avez-vous aimé ?  Pauline.  Je vous l'ai trop fait voir, seigneur ; et si mon âme  Pouvait bien étouffer les restes de sa flamme,  Dieux, que j'éviterais de rigoureux tourments !  Ma raison, il est vrai, dompte mes sentiments ;  Mais quelque autorité que sur eux elle ait prise,  Elle n'y règne pas, elle les tyrannise ;  Et quoique le dehors soit sans émotion,  Le dedans n'est que trouble et que sédition.  Un je ne sais quel charme encor vers vous m'emporte ;  Votre mérite est grand, si ma raison est forte :  Je le vois encor tel qu'il alluma mes feux,  D'autant plus puissamment solliciter mes voeux,  Qu'il est environné de puissance et de gloire,  Qu'en tous lieux après vous il traîne la victoire,  Que j'en sais mieux le prix, et qu'il n'a point déçu  Le généreux espoir que j'en avais conçu.  Mais ce même devoir qui le vainquit dans Rome,  Et qui me range ici dessous les lois d'un homme,  Repousse encor si bien l'effort de tant d'appas,  Qu'il déchire mon âme et ne l'ébranle pas.  C'est cette vertu même, à nos désirs cruelle,  Que vous louiez alors en blasphémant contre elle :  Plaignez-vous-en encor ; mais louez sa rigueur,  Qui triomphe à la fois de vous et de mon coeur ;  Et voyez qu'un devoir moins ferme et moins sincère  N'aurait pas mérité l'amour du grand Sévère.  Sévère.  Ah ! Madame, excusez une aveugle douleur,  Qui ne connaît plus rien que l'excès du malheur :  Je nommais inconstance, et prenais pour un crime  De ce juste devoir l'effort le plus sublime.  De grâce, montrez moins à mes sens désolés  La grandeur de ma perte et ce que vous valez ;  Et cachant par pitié cette vertu si rare,  Qui redouble mes feux lorsqu'elle nous sépare,  Faites voir des défauts qui puissent à leur tour  Affaiblir ma douleur avecque mon amour.  Pauline.  Hélas ! Cette vertu, quoique enfin invincible,  Ne laisse que trop voir une âme trop sensible.  Ces pleurs en sont témoins, et ces lâches soupirs  Qu'arrachent de nos feux les cruels souvenirs :  Trop rigoureux effets d'une aimable présence  Contre qui mon devoir a trop peu de défense !  Mais si vous estimez ce vertueux devoir,  Conservez-m'en la gloire, et cessez de me voir.  Épargnez-moi des pleurs qui coulent à ma honte ;  Épargnez-moi des feux qu'à regret je surmonte ;  Enfin épargnez-moi ces tristes entretiens,  Qui ne font qu'irriter vos tourments et les miens.  Sévère.  Que je me prive ainsi du seul bien qui me reste !  Pauline.  Sauvez-vous d'une vue à tous les deux funeste.  Sévère.  Quel prix de mon amour ! Quel fruit de mes travaux !  Pauline.  C'est le remède seul qui peut guérir nos maux.  Sévère.  Je veux mourir des miens : aimez-en la mémoire.  Pauline.  Je veux guérir des miens : ils souilleraient ma gloire.  Sévère.  Ah ! Puisque votre gloire en prononce l'arrêt,  Il faut que ma douleur cède à son intérêt.  Est-il rien que sur moi cette gloire n'obtienne ?  Elle me rend les soins que je dois à la mienne.  Adieu : je vais chercher au milieu des combats  Cette immortalité que donne un beau trépas,  Et remplir dignement, par une mort pompeuse,  De mes premiers exploits l'attente avantageuse,  Si toutefois, après ce coup mortel du sort,  J'ai de la vie assez pour chercher une mort.  Pauline.  Et moi, dont votre vue augmente le supplice,  Je l'éviterai même en votre sacrifice ;  Et seule dans ma chambre enfermant mes regrets,  Je vais pour vous aux dieux faire des voeux secrets.  Sévère.  Puisse le juste ciel, content de ma ruine,  Combler d'heur et de jours Polyeucte et Pauline !  Pauline.  Puisse trouver Sévère, après tant de malheur,  Une félicité digne de sa valeur !  Sévère.  Il la trouvait en vous.  Pauline.  Je dépendais d'un père.  Sévère.  Ô devoir qui me perd et qui me désespère !  Adieu, trop vertueux objet, et trop charmant.  Pauline.  Adieu, trop malheureux et trop parfait amant. 

Les circonstances :    Sévère, que l'on croyait mort, revient couvert de gloire, sûr d'avoir mérité Pauline et de rentrer en grâce auprès de Félix, qui l'avait évincé pour un prétendant plus riche et plus prestigieux.    L'impression d'ensemble :    Scène lourde de signification psychologique, dans laquelle nous sentons chez Corneille une connaissance profonde et très sûre des mystères du cœur. Deux états d'âme se superposent chez Pauline : l'amour de Polyeucte est refoulé bientôt dans le subconscient, et dès qu'elle voit Sévère elle se sent enveloppée de sa présence. Corneille, en nous montrant Pauline et Sévère vibrants et passionnés, donne à l'ensemble de la scène une courbure lyrique qui rappelle Racine; cependant, par cette sublimité de l'amour et cette aspiration à la gloire, c'est-à-dire avant tout au culte du respect infini de soi-même et de l'être aimé, cette scène demeure hautement et typiquement cornélienne.   

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« Et voyez qu'un devoir moins ferme et moins sincère N'aurait pas mérité l'amour du grand Sévère. Sévère. Ah ! Madame, excusez une aveugle douleur, Qui ne connaît plus rien que l'excès du malheur : Je nommais inconstance, et prenais pour un crime De ce juste devoir l'effort le plus sublime. De grâce, montrez moins à mes sens désolés La grandeur de ma perte et ce que vous valez ; Et cachant par pitié cette vertu si rare, Qui redouble mes feux lorsqu'elle nous sépare, Faites voir des défauts qui puissent à leur tour Affaiblir ma douleur avecque mon amour. Pauline. Hélas ! Cette vertu, quoique enfin invincible, Ne laisse que trop voir une âme trop sensible. Ces pleurs en sont témoins, et ces lâches soupirs Qu'arrachent de nos feux les cruels souvenirs : Trop rigoureux effets d'une aimable présence Contre qui mon devoir a trop peu de défense ! Mais si vous estimez ce vertueux devoir, Conservez-m'en la gloire, et cessez de me voir. Épargnez-moi des pleurs qui coulent à ma honte ; Épargnez-moi des feux qu'à regret je surmonte ; Enfin épargnez-moi ces tristes entretiens, Qui ne font qu'irriter vos tourments et les miens. Sévère. Que je me prive ainsi du seul bien qui me reste ! Pauline. Sauvez-vous d'une vue à tous les deux funeste. Sévère. Quel prix de mon amour ! Quel fruit de mes travaux ! Pauline. C'est le remède seul qui peut guérir nos maux. Sévère. Je veux mourir des miens : aimez-en la mémoire. Pauline. Je veux guérir des miens : ils souilleraient ma gloire. Sévère. Ah ! Puisque votre gloire en prononce l'arrêt, Il faut que ma douleur cède à son intérêt. Est-il rien que sur moi cette gloire n'obtienne ? Elle me rend les soins que je dois à la mienne. Adieu : je vais chercher au milieu des combats Cette immortalité que donne un beau trépas, Et remplir dignement, par une mort pompeuse, De mes premiers exploits l'attente avantageuse, Si toutefois, après ce coup mortel du sort, J'ai de la vie assez pour chercher une mort. Pauline. Et moi, dont votre vue augmente le supplice, Je l'éviterai même en votre sacrifice ; Et seule dans ma chambre enfermant mes regrets, Je vais pour vous aux dieux faire des voeux secrets. Sévère. Puisse le juste ciel, content de ma ruine, Combler d'heur et de jours Polyeucte et Pauline !. »

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