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Ponge, Le Parti pris des choses : "Le Pain"

Publié le 17/01/2022

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Le Pain La surface du pain est merveilleuse d'abord à cause de cette impression quasi panoramique qu'elle donne: comme si l'on avait à sa disposition sous la main les Alpes, le Taurus ou la Cordillère des Andes. Ainsi donc une masse amorphe en train d'éructer fut glissée pour nous dans le four stellaire, où durcissant elle s'est façonnée en vallées, crêtes, ondulations, crevasses... Et tous ces plans dès lors si nettement articulés, ces dalles minces où la lumière avec application couche ses feux, - sans un regard pour la mollesse ignoble sous-jacente. Ce lâche et froid sous-sol que l'on nomme la mie a son tissu pareil à celui des éponges: feuilles ou fleurs y sont comme des soeurs siamoises soudées par tous les coudes à la fois. Lorsque le pain rassit ces fleurs fanent et se rétrécissent: elles se détachent alors les unes des autres, et la masse en devient friable... Mais brisons-la: car le pain doit être dans notre bouche moins objet de respect que de consommation.
Si l'on peut définir la poésie comme un nouveau regard posé sur le monde, transfiguré par le langage, le recueil de Francis Ponge Le Parti pris des choses répond à cette caractéristique. Le recueil se compose d'une succession d'articles décrivant un objet, la crevette, l'eau, la pluie, ici le pain. Alliant un faux réalisme à l'humour, maniant le langage avec virtuosité, Ponge témoigne dans ses poèmes d'un regard neuf posé sur le monde avec affection et humour comme le souligne le titre donné au recueil.

« le cas de l'expression « four stellaire ». Quels sont les différents réseaux d'images et quelles figures de style utilise le poète pour transmuer cet objet banal? Le premier paragraphe joue avec la métaphore filée de la géographie.

Annoncée par l'adjectif « panoramique », ellese développe avec l'évocation de chaînes prestigieuses de montagnes : « les Alpes, le Taurus ou la Cordillère des Andes ».

L'image joue de l'opposition entre l'immense et le petit, entre ces chaînes et les aspérités de la croûte de pain, qui forme un microcosme accessible et disponible pour l'homme : « comme si l'on avait à sa disposition sous la main...

».

L'assimilation entre la croûte et le relief montagneux permet à l'homme de se croire immense, doué de toute-puissance sur le monde physique tel un nouveau Gulliver à Lilliput.

La métaphore filée géographique estprolongée au second paragraphe par celle de la formation du monde et des continents assimilée à la cuisson du pain.Les termes de géographie générale du relief prennent le relai des toponymes : « où durcissant elle s'est façonnée en vallées, crêtes, ondulations, crevasses ».

La lumière, présentée dans la notion de four stellaire, réapparaît à la fin du paragraphe qui évoque les différentes teintes dorées de la croûte « où la lumière couche avec application ses feux ».

La mie qui fait l'objet du troisième paragraphe ne procure pas la même sensation d'émerveillement au poète. Quelques adjectifs franchement dépréciatifs comme « mollesse ignoble, lâche et froid sous-sol » annoncent les métaphores de la flore ou de la maladie « feuilles ou fleurs y sont comme des sœurs siamoises soudées par tous les coudes à la fois ». Ponge recourt à différentes figures de style pour introduire ces images.

Relevons par exemple la comparaisonhypothétique introduite par « comme si » : « comme si l'on avait à sa disposition sous la main les Alpes, le Taurus ou la Cordillère des Andes », la comparai son simple « comme des soeurs siamoises », les métaphores comme « éructer, vallées, crêtes, ondulations, crevasses, sous-sol » qui peuvent être des métaphores filées avec le réseau du troisième paragraphe : « éponges, feuilles, fleurs, faner ». Le nombre et la diversité des images caractérisent ce poème consacré au pain.

La description, tout en renvoyant àdes notions « exactes » (croûte, mie, cuisson du pain, rassissement), inclut le pain dans un univers immense, celuides chaînes de montagnes, du monde sous-marin avec les éponges, de la flore.

Le temps lui-même se plie auxsortilèges de la langue et du poète avec ce second paragraphe qui renvoie à la formation du monde. Le poème de Ponge consacré au pain en présente une description qui tend à l'exhaustivité par la construction dutexte, la palette des tons abordés, la présence des principaux mots réalistes auxquels le lecteur peut associer lepain et une inscription dans le temps pour rendre le cycle du pain de sa cuisson à sa consommation.

La principalecaractéristique du texte est le pouvoir de métamorphose du langage.

Le pain, objet banal mais éminemmentsymbolique, n'est pas envisagé sous ce dernier angle.

Il reste dans une optique réaliste puisque après la description,toute imagée qu'elle soit, le poème s'achève sur la disparition du pain. La floraison d'images permet d'inscrire cet aliment quotidien dans l'univers géographique, historique, végétal etsocial.

Reflet du pouvoir du poète sur le langage et les choses, « le pain » signe le titre du recueil « Le parti pris des choses » dont il est un exemple typique par ses jeux verbaux et son regard neuf porté sur le monde extérieur.. »

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